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Et tout le reste est littérature<br />
Littérature étrangère<br />
La chronique d’Antoine Tanguay<br />
<strong>Le</strong> nez dans l’azur<br />
À une époque dominée par la pensée magique et la soif d’un quinze minutes de gloire rédemptrice, alors que tout<br />
semble avoir sa clé (... du succès, de la création, de la confiance, du bonheur éternel...) ou son secret (... du succès<br />
[encore], de la sagesse, de l’harmonie, de l’amour...), il fait parfois bon fermer ses volets sur la clameur du monde et<br />
laisser les mots des écrivains nous livrer leurs clés et leurs secrets à eux. Ce qu’il y a de bien avec ces secrets, c’est<br />
qu’ils ne sont pas livrés avec un mode d’emploi, un guide pour en découvrir les arcanes ou le sens caché, lorsqu’il y en<br />
a un. Pris à la gorge par un emploi du temps qui n’avait pas grand-chose d’estival, j’ai donc préféré aux cures<br />
miracles et aux recettes faciles le risque d’aller me perdre dans des romans animés par une soif<br />
étonnante de liberté, comme on met le nez dans l’azur pour s’envoyer en plein visage toute la majesté du ciel.<br />
Il y a de ces histoires qui nous accueillent comme les aubergistes bienveillants<br />
d’autrefois. Qui nous invitent à prendre un bon repas, à partager une<br />
anecdote ou deux, à siffler un dernier digestif (ou un avant-dernier si on<br />
pousse un peu l’hospitalité) puis à s’endormir dans une literie accueillante.<br />
En marge des récits sur les cicatrices de la mémoire ou les charges contre<br />
l’obscurantisme de notre époque, j’aurai donc préféré fréquenter, la belle<br />
saison durant, deux écrivains, Arto Paasilinna et Laird Hunt, qui partagent<br />
une volonté de faire réfléchir, à travers l’allégorie, sur l’essence des maux qui<br />
affectent les hommes et qui, afin de dépayser tout à fait, ajoutent un zeste<br />
de folklore envoûtant à leurs délicieuses fabulations. <strong>Le</strong>s lecteurs assidus<br />
du journal le <strong>libraire</strong> ne seront guère surpris d’apprendre que j’ai un faible<br />
pour les écrivains qui nous emportent le plus loin et qui, souvent, sont<br />
ceux qui restent le plus près de nous. C’est une formule qui vaut pour<br />
plusieurs, cela dit...<br />
Prenez l’exemple du Finlandais Arto Paasilinna, lui qui année après année<br />
couche sur le papier un autre éloge de la fuite, qu’il s’agisse de se jeter en<br />
groupe du haut d’une colline (Petits suicides entre amis), de suivre un lièvre<br />
curieux (<strong>Le</strong> Lièvre de Vatanen) ou de s’embarquer dans un taxi pour rouler<br />
en direction de n’importe où, au gré du hasard (La Cavale du géomètre).<br />
Auteur d’un peu plus d’une trentaine de romans, Paasilinna est<br />
une célébrité chez lui et peut se targuer d’avoir<br />
vendu plus de livres qu’il y a d’habitants dans son<br />
petit pays. En français, nous avons à ce jour eu<br />
droit à dix traductions seulement, mais il faut préciser<br />
que de l’autre côté de l’Atlantique, on est<br />
très fidèles au chaud Lapon qui, année après<br />
année, s’enfermerait dans sa cabane pour n’en<br />
ressortir qu’au printemps avec un nouveau<br />
roman dans les bras. Prolifique, monsieur<br />
Paasilinna On peut au moins se réjouir en se<br />
disant qu’il y encore plus d’une vingtaine<br />
d’œuvres à découvrir, comme autant<br />
d’escapades au pays de l’indolence et<br />
de l’insolence, là où on arrête le<br />
cours effréné du monde.<br />
Car on entre dans un roman<br />
d’Arto Paasilinna comme on<br />
retrouve de vieux amis au<br />
camp de pêche l’été. Tout y<br />
est : l’air pur, la rosée sur les<br />
vêtements oubliés dehors, la<br />
joie de retrouver les plaisirs<br />
simples comme jouer à courir<br />
à travers les arbres, philosopher<br />
autour d’une bière tiède<br />
et humer l’air vivifiant de la<br />
liberté. <strong>Le</strong> dernier opus de<br />
Paasilinna, <strong>Le</strong> Bestial serviteur<br />
du pasteur Huuskonen,<br />
ne fait pas exception et renouvelle<br />
une formule éprouvée<br />
depuis le célèbre Lièvre<br />
de Vatanen, mais qui<br />
fonctionne toujours.<br />
<strong>Le</strong> Bestial Serviteur<br />
du pasteur<br />
Huuskonen<br />
Arto Paasilinna,<br />
Denoël, coll. Denoël<br />
et d’ailleurs,<br />
310 p., 34,95$<br />
Indiana, Indiana.<br />
<strong>Le</strong>s beaux<br />
moments obscurs<br />
de la nuit<br />
Laird Hunt,<br />
Actes Sud,<br />
224 p., 34,95$<br />
Remplacez le lièvre par un ours, le journaliste par un curé à la foi vacillante,<br />
poussé à la ruine, ajoutez une poignée de personnages truculents,<br />
et vous obtenez une fable réjouissante sur la libre pensée, le sens des<br />
valeurs modernes et le poids de la modernité qui pèse trop, parfois, sur<br />
nos épaules. La vie de curé n’offre plus grand-chose au pasteur<br />
Huuskonen, lui qui accumule les théories sacrilèges (Jésus serait en fait<br />
un stratège militaire redoutable), les folies (il se déniche une passion<br />
pour le javelot ascensionnel, où il suffit de lancer le plus haut possible et<br />
non le plus loin) et les coups de tête (il a accepté d’adopter un ourson<br />
nommé Belzéb). Il n’en faut pas plus pour provoquer son licenciement,<br />
sa dégringolade sociale et précipiter sa fuite, en compagnie de son ours,<br />
bien entendu. Un grand cru pour Paasilinna, dont on ne saurait que trop<br />
recommander la lecture pour traverser la froideur de l’hiver qui s’amène<br />
en traître.<br />
De la Finlande, filons vers les États-Unis où réside un écrivain exceptionnel<br />
qui, sans prétendre se mesurer aux auteurs de grands romans américains<br />
comme ses confrères Annie Proulx, Cormac McCarthy ou Jim<br />
Harrison (qui viennent tous de faire paraître en français de nouveaux<br />
ouvrages, soit dit en passant), explore l’imaginaire des grands espaces<br />
dans une langue empreinte de poésie et où le sens, parfois caché, nous<br />
est livré au compte-gouttes. Découvert par Actes Sud en 2005 avec Une<br />
impossibilité, Laird Hunt ne partage sans doute pas les mœurs campagnardes<br />
et tranquilles de Paasilinna. Son univers, quelque part entre le<br />
conte et le tableau d’inspiration surréaliste, se présente comme une<br />
longue ode à l’amour sauvage, à l’amour perdu, à l’amour du souvenir de<br />
l’amour. Dans Indiana, Indiana, Hunt nous emmène dans la nature<br />
sauvage et dans le cœur des hommes, là où se brouillent souvent les<br />
limites du réel et du rêve. Ainsi, assis au coin du feu, Noé Summers revit<br />
les années passées dans sa ferme de l’Indiana et plus qu’à tout autre<br />
chose, il pense à Opal. De cette femme tant désirée, on saura peu de<br />
choses, sinon qu’elle a été pendant <strong>42</strong> jours le centre de la vie de Noé,<br />
son arche en quelque sorte, son refuge contre la tempête qui agite<br />
constamment son esprit. Puis Opal est partie, emmenée parce qu’elle<br />
n’avait plus contact avec la vie et qu’elle s’était perdue dans sa tête. Il lui<br />
en reste du moins assez pour envoyer à Noé des lettres à la prose<br />
parfumée de folie, certes, mais aussi de vers qui résonnent longtemps<br />
après que l’on ait refermé le roman de Hunt. Noé, qui a aussi des dons<br />
de voyant et qui aide parfois le shérif à coffrer les coupables, est certainement<br />
l’un des très beaux personnages de la littérature américaine. Un<br />
être d’ombre mais aussi de lumière, un être animé par la contradiction,<br />
donc, qui nous fait passer, comme l’indique le sous-titre du roman, de<br />
« beaux moments obscurs de la nuit ». À découvrir, si l’on veut se laisser<br />
envoûter par une prose délicate, parfois noire et refermée sur ellemême,<br />
ce qui n’enlève rien à sa beauté. On ne peut pas tout décrypter<br />
à grands coups de secrets et de clés. Il y a de la beauté dans l’inconnu.<br />
Surtout dans l’inconnu.<br />
Longtemps animateur d’émissions culturelles à la radio,<br />
Antoine Tanguay écrit (souvent à la dernière minute) dans<br />
divers journaux et magazines. Outre les livres, Antoine a<br />
trois passions : la photographie, les voyages et ses deux<br />
Siamois.<br />
© Maggie Taylor<br />
S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 0 7<br />
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