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Numéro 42 - Le libraire

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Essai | biographie | document<br />

<strong>Le</strong> désenchantement<br />

et la fureur<br />

Par Christian Girard, librairie Pantoute<br />

Petite histoire du No Future<br />

« Anarchiste », « nihiliste », « provocateur », « insolent »<br />

et « excessif » sont des mots qui peuvent nous venir à l’esprit<br />

en évoquant le mouvement punk. Et, en effet, rien dans ce<br />

qui se publie sur le sujet ne viendra contester ce lexique. C’est,<br />

du moins, ce que nous démontre Bruno Blum dans son livre<br />

Punk. Sex Pistols, Clash… et l’explosion punk.<br />

Correspon-dant à Londres du mensuel rock Best à la fin des<br />

années 70, en pleine explosion punk, il nous donne toute<br />

l’ampleur du phénomène dans un ouvrage généreusement<br />

illustré. <strong>Le</strong> journaliste en retrace d’abord les origines lointaines.<br />

Tout ce que la musique populaire, la littérature et l’art<br />

en Occident ont connu de radicalement et d’ouvertement<br />

contestataire face à l’ennui et à l’oppression y passe. <strong>Le</strong> blues,<br />

le be-bop, la beat generation, l’internationale situationniste, le<br />

rock’n’roll, tout ce qui depuis environ un siècle appelle la<br />

jeunesse à renverser le monde se voit digne de figurer<br />

dans cette généalogie du punk. Puis viennent les ancêtres<br />

directs, Velvet Underground, Iggy Pop et les Stooges, les<br />

MC5 et David Bowie en tête. Bref, la face obscure et<br />

rageuse des années hippies qui, à grand renfort de<br />

décibels et de distorsion, bottait les fesses aux fleurs<br />

du Summer of love et aux béatitudes hallucinées des<br />

babas cool de tout acabit.<br />

Ce dangereux amalgame d’écorchés vifs et de<br />

perdants, magnifiques ou non, donnera lieu, au<br />

milieu des années 70, à une pétarade sans précédent<br />

dans l’univers musical anglo-saxon. S’il faut fixer un<br />

lieu de naissance, c’est à New York, à l’intérieur du<br />

mythique bar CBGB’S, dans le sillage des<br />

New York Dolls (espèces de Rolling Stones<br />

déguisés en drag queens déjantées) que<br />

les premiers balbutiements du nouveau-né<br />

se feront entendre. On y voit alors défiler une véritable<br />

dream team pour l’amateur du genre : Patti Smith,<br />

Richard Hell, Talking Heads, The Ramones, Blondie, etc.<br />

Ces dandys loqueteux, chaussés de baskets et à la poésie<br />

furieuse ramenaient le rock à son essence première, à une<br />

esthétique faite d’urgence et de fureur, plus près de la rue et<br />

des tripes, renvoyant ainsi au néant la virtuosité mollassonne<br />

des dinosaures hippies confinés aux stades et aux palmarès.<br />

Si, aux États-Unis, le phénomène se manifeste surtout dans<br />

la sphère artistique, il trouve, dans le contexte britannique, un<br />

réel tremplin à son expression sociale et politique.<br />

L’Angleterre de l’époque abrite une jeunesse paumée,<br />

désabusée par la rutilance onéreuse d’une couronne en<br />

déclin, symbole larvé de ce pays aux prises avec des tensions<br />

raciales et sociales, au taux de chômage en constante croissance<br />

et témoin de l’ascension de la droite conservatrice de<br />

Thatcher. Ainsi, dans le patelin de Shakespeare, les égouts de<br />

l’ennui et de la colère ont débordé à la face du monde et des<br />

tas d’adolescents ahuris, se reconnaissant dans la musique,<br />

entre autres, des scandaleux Sex Pistols et des revendicateurs<br />

Clash, ont surfé sur la vague qui en était sortie. Vague furtive<br />

et lourde des excès en tout genre qui ont causé sa perte, mais<br />

dont l’essor trouve encore des échos à notre époque dans le<br />

dynamisme farouchement indépendant qui la caractérisait à<br />

l’égard de l’industrie de la musique formatée et marchande.<br />

<strong>Le</strong> Dictionnaire raisonné du punk de Pierre Mikaïloff,<br />

publié aux éditions Scali, vient compléter à merveille cette<br />

lecture. <strong>Le</strong>s articles contenus dans ce dictionnaire particulier<br />

informent sur les divers éléments et acteurs qui composent<br />

l’univers du punk ou, par leur influence, gravitent autour :<br />

Doc Marten’s, Guy Debord, Sid Vicious, etc. <strong>Le</strong> tout est fait<br />

avec une certaine dose d’humour et un recul qui ne mythifie<br />

en rien le phénomène, mais en donne, toutefois, la juste mesure.<br />

<strong>Le</strong>s orphelins de Baudelaire<br />

Toujours chez Scali, dans la même collection, dirigée par<br />

Patrick Eudeline et vouée au monde du rock, vient de<br />

paraître un ouvrage surprenant par son sujet : <strong>Le</strong>s<br />

Décadents français. Ces derniers, sans constituer à<br />

proprement dit une école, sont rassemblés sous cette<br />

appellation dans un contexte générationnel. On y<br />

retrouve à peu près tous les artistes, les écrivains et les<br />

poètes qui, dans la foulée de Baudelaire et de<br />

Rimbaud et rompant avec la rigidité parnassienne,<br />

ont contesté, autant par leurs œuvres que par leurs<br />

modes de vie, le positivisme et le rationalisme bourgeois<br />

qui sévissaient à la Belle Époque. Un meltingpot<br />

sulfureux, à l’orée balbutiante des avant-gardes<br />

du XX e siècle et clamant son désespoir et sa folie<br />

à la face d’un monde tenu en laisse par les cordons<br />

de la bourse et de la raison d’État en cette période<br />

post-communarde. Une lecture truffée d’anecdotes qui<br />

fait comprendre pourquoi bon nombre de rockers,<br />

presque cent ans après, évoquaient cette tranche<br />

d’histoire littéraire ou s’en inspiraient.<br />

© Bruno Blum<br />

Rock & Folk<br />

Pour terminer et puisque nous traitons de livres concernant<br />

le rock, évoquons le livre-anniversaire des 40 ans de la revue<br />

Rock & Folk paru l’hiver dernier : Génération Rock &<br />

Folk. 40 ans de culture rock. L’existence de ce premier<br />

véritable mensuel de rock en France est une aventure journalistique<br />

à la fois significative et trépidante. Au fil des anecdotes<br />

et des témoignages des différents acteurs qui y ont participé,<br />

des modes et des tendances, c’est en filigrane l’histoire<br />

de la France et du monde des quatre dernières décennies qui<br />

défile sous nos yeux. Bien que parfois critiquable par son côté<br />

verbeux, la revue a tout de même donné l’élan à des plumes<br />

qui ont su forger une approche mûre et bien tournée du rock<br />

dans la langue de Johnny Hallyday.<br />

<strong>Le</strong>s Décadents<br />

français<br />

Marc Dufaud, Scali,<br />

coll. Culture et<br />

contre-culture,<br />

432 p., 45,95$<br />

Punk. Sex Pistols,<br />

Clash ... et<br />

l’explosion punk<br />

Bruno Blum,<br />

Hors-collection,<br />

160 p., 44,95$<br />

Dictionnaire<br />

raisonné du punk<br />

Pierre Mikaïloff,<br />

Scali, 304 p., 44,95$<br />

Génération Rock<br />

& Folk. 40 ans de<br />

culture rock<br />

Christophe Quillien,<br />

Flammarion,<br />

coll. Pop culture,<br />

400 p., 36,95$<br />

S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 0 7<br />

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