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Numéro 42 - Le libraire

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Biographie<br />

Pierre Bourgault<br />

LE FRANC-TIREUR<br />

Quatre ans après son décès, l’intellectuel, polémiste, tribun et communicateur Pierre Bourgault (1934-<br />

2003) continue de fasciner. L’historien, journaliste et directeur des pages culturelles du quotidien <strong>Le</strong><br />

Devoir, Jean-François Nadeau, publie cet automne une toute première biographie de Bourgault jetant un<br />

éclairage nouveau sur ce personnage complexe qui fut au cœur de notre histoire politique et sociale.<br />

Il arrive que les journalistes et les historiens<br />

s’intéressent à des sujets très éloignés de leurs champs<br />

d’intérêt. Jean-François Nadeau, quant à lui, a choisi un<br />

sujet on ne peut plus proche, en replongeant littéralement<br />

dans sa jeunesse estrienne : « J’ai grandi dans le<br />

même patelin que Bourgault, Cookshire, dans les<br />

Cantons-de-l’Est. Ses parents habitaient exactement en<br />

face des miens, rue Craig Sud. Un jour, un oncle à moi,<br />

un monsieur sensé, très calme, posé, est arrivé à la maison<br />

avec des grands yeux et a annoncé : "Pierre<br />

Bourgault est en train de prendre le thé sur la terrasse<br />

avec sa mère!" Et je me souviens de m’être dit : "Mais<br />

qu’est-ce que ça peut bien faire que quelqu’un prenne le<br />

thé en face de chez nous " C’est bête, mais c’est vraiment<br />

une des images de mon enfance qui m’ont le plus<br />

marqué. »<br />

Même si ce souvenir cocasse n’est pas à proprement<br />

parler l’origine de cette monumentale biographie, l’auteur<br />

admet volontiers qu’il a pu conditionner son regard<br />

sur son sujet. Et puis les hasards de l’existence ont fait<br />

que les chemins de Nadeau et de Bourgault se sont<br />

croisés à plusieurs reprises au fil des ans : « J’ai eu souvent<br />

affaire à lui dans ma vie professionnelle; comme<br />

éditeur, c’est moi qui ai fait le choix de textes de son<br />

dernier recueil, parce que c’était une tâche qui ne l’intéressait<br />

pas vraiment. Avant ça, comme journaliste, je<br />

l’avais souvent interviewé. C’est donc quelqu’un qui a<br />

toujours été un peu là et quand je le retrouvais, il y avait<br />

toujours entre nous cette complicité due à nos origines<br />

communes. »<br />

Nul doute que Pierre Bourgault représentait un sujet en<br />

or pour un livre; mais de l’historien ou du journaliste,<br />

lequel des deux Jean-François Nadeau était le plus<br />

intéressé à traduire la fascination première pour le personnage<br />

de cette biographie « Sûrement l’historien,<br />

répond-il. Mais ça s’est passé de manière très étrange. À<br />

la mort de Bourgault, j’ai eu l’idée de lui consacrer un<br />

cahier spécial au Devoir, ce qu’on a fait. Et le lendemain<br />

de la publication, je suis parti aux Îles de la Madeleine<br />

avec mon portable et tous les textes qu’on avait publiés.<br />

J’adore mon métier de journaliste, mais quelque chose<br />

en moi est toujours plus attiré par l’histoire. Alors je<br />

m’étais dit que je profiterais de mes vacances pour rédiger<br />

un article pour une revue d’histoire sérieuse. Au<br />

bout de deux semaines, j’avais écrit une cinquantaine<br />

de feuillets et j’ai vite compris que ce ne serait pas un<br />

simple article, c’était déjà trop long et j’étais encore loin<br />

d’avoir épuisé le sujet. »<br />

L’homme rapaillé<br />

De là la décision d’entreprendre cet essai<br />

biographique, fort différent de ces ouvrages un peu<br />

romancés auxquels les biographes québécois nous ont<br />

habitués depuis quelques années : « Je me suis pris<br />

au jeu d’interroger des gens qui avaient connu<br />

Bourgault. Je suis allé passer mes vacances sur la Côte-<br />

Nord, l’année d’après, pour y suivre sa trace, puisqu’il<br />

Par Stanley Péan<br />

avait été candidat là-bas lors de la campagne de 1966.<br />

Je suis retourné dans mon village pour y recueillir<br />

d’autres témoignages. J’ai consulté des tonnes de<br />

documents d’archives. Et j’ai même retracé dans les<br />

Bahamas sa première grande flamme, au début des<br />

années cinquante, qui était une femme et non un<br />

homme. Parce que Bourgault ne révèlera son homosexualité<br />

que plus tard. Je ne crois pas avoir fait une<br />

biographie à l’américaine, je ne cherchais pas à tout<br />

dire sur Bourgault autant qu’à dire vrai sur lui. Je<br />

voulais en tous cas mettre à jour la complexité de sa<br />

personnalité, montrer le plus de facettes possible de lui<br />

sans prétendre restituer sa vérité parfaite; je crois que<br />

personne ne pourrait le faire. Je n’ai rien inventé, mais<br />

je me permets de montrer comment Bourgault savait<br />

prendre des libertés avec sa propre histoire, comment,<br />

à la manière d’André Malraux, il a parfois eu tendance<br />

à réinventer son passé, pas tant pour le magnifier que<br />

pour le rendre plus cohérent avec la direction qu’il<br />

voulait donner à sa vie. »<br />

Sur le plan de la politique en tout cas, l’historienbiographe<br />

est le premier à documenter la guerre qui<br />

opposa Bourgault, fondateur du Rassemblement pour<br />

l’indépendance nationale, à son contemporain René<br />

Lévesque : « J’ai toujours pensé que Bourgault<br />

exagérait cette animosité, cette rancœur à son égard<br />

qu’il prêtait à Lévesque, mais en fait il les minimisait.<br />

C’est assez épouvantable de le constater. » Avec le recul<br />

que permet le passage des années, et compte tenu de ce<br />

conflit entre Bourgault et Lévesque, faut-il déduire que<br />

la disparition du RIN au profit du Parti québécois était<br />

une erreur « Il y a plusieurs écoles de pensées sur<br />

cette question, croit Jean-François Nadeau. A posteriori,<br />

beaucoup de gens prétendent<br />

qu’on n’aurait jamais<br />

dû saborder le RIN parce<br />

qu’il proposait une option<br />

plus riche, plus à gauche<br />

socialement, plus articulée<br />

que le PQ. Mais au moment<br />

où ça s’est présenté, les circonstances<br />

étaient différentes.<br />

<strong>Le</strong> RIN était<br />

déchiré par des tendances<br />

internes divergentes et en<br />

pratique, au fur et à mesure<br />

que le Mouvement pour la<br />

souveraineté-association<br />

de Lévesque prend de l’ampleur,<br />

le RIN se vide peu à<br />

peu de ses membres déjà<br />

peu nombreux. L’analyse<br />

de Bourgault, D’Allemagne<br />

et consorts était juste : pour<br />

en arriver à la souveraineté,<br />

il fallait une union de toutes<br />

les forces, même si les<br />

points de vue n’étaient pas<br />

forcément les mêmes. »<br />

© courtoisie Lux Éditeur<br />

Mais, selon son biographe, que devrait retenir<br />

l’Histoire de ce personnage complexe « Son exceptionnelle<br />

fidélité à lui-même et à ses idées et idéaux.<br />

Bourgault, c’est un homme qui dit ce qu’il pense et<br />

qui pense ce qu’il dit, en allant toujours droit au but.<br />

C’est assez peu fréquent, et j’imagine que c’est ce<br />

qu’on retiendra plus volontiers de lui, estime Jean-<br />

François Nadeau. Mais peut-être qu’en lisant mon<br />

livre, on découvrira d’autres facettes de l’homme; il<br />

était doté d’un sens de la justice sociale admirable<br />

qui le rapproche de Michel Chartrand, à qui il a dédié<br />

des livres. On peut aussi penser à sa foi étonnante en<br />

la jeunesse. Et même si les méchantes langues diront<br />

qu’il aimait la jeunesse pas seulement pour l’espoir<br />

qu’elle portait en elle, il avait une réelle foi en l’avenir<br />

des jeunes, ce dont peuvent témoigner tous ses<br />

anciens étudiants en communication à l’UQÀM, »<br />

conclut-il.<br />

Bourgault<br />

Jean-François Nadeau,<br />

Lux, 580 p., 36$<br />

© courtoisie Lux Éditeur<br />

S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 0 7<br />

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