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Biographie<br />
Pierre Bourgault<br />
LE FRANC-TIREUR<br />
Quatre ans après son décès, l’intellectuel, polémiste, tribun et communicateur Pierre Bourgault (1934-<br />
2003) continue de fasciner. L’historien, journaliste et directeur des pages culturelles du quotidien <strong>Le</strong><br />
Devoir, Jean-François Nadeau, publie cet automne une toute première biographie de Bourgault jetant un<br />
éclairage nouveau sur ce personnage complexe qui fut au cœur de notre histoire politique et sociale.<br />
Il arrive que les journalistes et les historiens<br />
s’intéressent à des sujets très éloignés de leurs champs<br />
d’intérêt. Jean-François Nadeau, quant à lui, a choisi un<br />
sujet on ne peut plus proche, en replongeant littéralement<br />
dans sa jeunesse estrienne : « J’ai grandi dans le<br />
même patelin que Bourgault, Cookshire, dans les<br />
Cantons-de-l’Est. Ses parents habitaient exactement en<br />
face des miens, rue Craig Sud. Un jour, un oncle à moi,<br />
un monsieur sensé, très calme, posé, est arrivé à la maison<br />
avec des grands yeux et a annoncé : "Pierre<br />
Bourgault est en train de prendre le thé sur la terrasse<br />
avec sa mère!" Et je me souviens de m’être dit : "Mais<br />
qu’est-ce que ça peut bien faire que quelqu’un prenne le<br />
thé en face de chez nous " C’est bête, mais c’est vraiment<br />
une des images de mon enfance qui m’ont le plus<br />
marqué. »<br />
Même si ce souvenir cocasse n’est pas à proprement<br />
parler l’origine de cette monumentale biographie, l’auteur<br />
admet volontiers qu’il a pu conditionner son regard<br />
sur son sujet. Et puis les hasards de l’existence ont fait<br />
que les chemins de Nadeau et de Bourgault se sont<br />
croisés à plusieurs reprises au fil des ans : « J’ai eu souvent<br />
affaire à lui dans ma vie professionnelle; comme<br />
éditeur, c’est moi qui ai fait le choix de textes de son<br />
dernier recueil, parce que c’était une tâche qui ne l’intéressait<br />
pas vraiment. Avant ça, comme journaliste, je<br />
l’avais souvent interviewé. C’est donc quelqu’un qui a<br />
toujours été un peu là et quand je le retrouvais, il y avait<br />
toujours entre nous cette complicité due à nos origines<br />
communes. »<br />
Nul doute que Pierre Bourgault représentait un sujet en<br />
or pour un livre; mais de l’historien ou du journaliste,<br />
lequel des deux Jean-François Nadeau était le plus<br />
intéressé à traduire la fascination première pour le personnage<br />
de cette biographie « Sûrement l’historien,<br />
répond-il. Mais ça s’est passé de manière très étrange. À<br />
la mort de Bourgault, j’ai eu l’idée de lui consacrer un<br />
cahier spécial au Devoir, ce qu’on a fait. Et le lendemain<br />
de la publication, je suis parti aux Îles de la Madeleine<br />
avec mon portable et tous les textes qu’on avait publiés.<br />
J’adore mon métier de journaliste, mais quelque chose<br />
en moi est toujours plus attiré par l’histoire. Alors je<br />
m’étais dit que je profiterais de mes vacances pour rédiger<br />
un article pour une revue d’histoire sérieuse. Au<br />
bout de deux semaines, j’avais écrit une cinquantaine<br />
de feuillets et j’ai vite compris que ce ne serait pas un<br />
simple article, c’était déjà trop long et j’étais encore loin<br />
d’avoir épuisé le sujet. »<br />
L’homme rapaillé<br />
De là la décision d’entreprendre cet essai<br />
biographique, fort différent de ces ouvrages un peu<br />
romancés auxquels les biographes québécois nous ont<br />
habitués depuis quelques années : « Je me suis pris<br />
au jeu d’interroger des gens qui avaient connu<br />
Bourgault. Je suis allé passer mes vacances sur la Côte-<br />
Nord, l’année d’après, pour y suivre sa trace, puisqu’il<br />
Par Stanley Péan<br />
avait été candidat là-bas lors de la campagne de 1966.<br />
Je suis retourné dans mon village pour y recueillir<br />
d’autres témoignages. J’ai consulté des tonnes de<br />
documents d’archives. Et j’ai même retracé dans les<br />
Bahamas sa première grande flamme, au début des<br />
années cinquante, qui était une femme et non un<br />
homme. Parce que Bourgault ne révèlera son homosexualité<br />
que plus tard. Je ne crois pas avoir fait une<br />
biographie à l’américaine, je ne cherchais pas à tout<br />
dire sur Bourgault autant qu’à dire vrai sur lui. Je<br />
voulais en tous cas mettre à jour la complexité de sa<br />
personnalité, montrer le plus de facettes possible de lui<br />
sans prétendre restituer sa vérité parfaite; je crois que<br />
personne ne pourrait le faire. Je n’ai rien inventé, mais<br />
je me permets de montrer comment Bourgault savait<br />
prendre des libertés avec sa propre histoire, comment,<br />
à la manière d’André Malraux, il a parfois eu tendance<br />
à réinventer son passé, pas tant pour le magnifier que<br />
pour le rendre plus cohérent avec la direction qu’il<br />
voulait donner à sa vie. »<br />
Sur le plan de la politique en tout cas, l’historienbiographe<br />
est le premier à documenter la guerre qui<br />
opposa Bourgault, fondateur du Rassemblement pour<br />
l’indépendance nationale, à son contemporain René<br />
Lévesque : « J’ai toujours pensé que Bourgault<br />
exagérait cette animosité, cette rancœur à son égard<br />
qu’il prêtait à Lévesque, mais en fait il les minimisait.<br />
C’est assez épouvantable de le constater. » Avec le recul<br />
que permet le passage des années, et compte tenu de ce<br />
conflit entre Bourgault et Lévesque, faut-il déduire que<br />
la disparition du RIN au profit du Parti québécois était<br />
une erreur « Il y a plusieurs écoles de pensées sur<br />
cette question, croit Jean-François Nadeau. A posteriori,<br />
beaucoup de gens prétendent<br />
qu’on n’aurait jamais<br />
dû saborder le RIN parce<br />
qu’il proposait une option<br />
plus riche, plus à gauche<br />
socialement, plus articulée<br />
que le PQ. Mais au moment<br />
où ça s’est présenté, les circonstances<br />
étaient différentes.<br />
<strong>Le</strong> RIN était<br />
déchiré par des tendances<br />
internes divergentes et en<br />
pratique, au fur et à mesure<br />
que le Mouvement pour la<br />
souveraineté-association<br />
de Lévesque prend de l’ampleur,<br />
le RIN se vide peu à<br />
peu de ses membres déjà<br />
peu nombreux. L’analyse<br />
de Bourgault, D’Allemagne<br />
et consorts était juste : pour<br />
en arriver à la souveraineté,<br />
il fallait une union de toutes<br />
les forces, même si les<br />
points de vue n’étaient pas<br />
forcément les mêmes. »<br />
© courtoisie Lux Éditeur<br />
Mais, selon son biographe, que devrait retenir<br />
l’Histoire de ce personnage complexe « Son exceptionnelle<br />
fidélité à lui-même et à ses idées et idéaux.<br />
Bourgault, c’est un homme qui dit ce qu’il pense et<br />
qui pense ce qu’il dit, en allant toujours droit au but.<br />
C’est assez peu fréquent, et j’imagine que c’est ce<br />
qu’on retiendra plus volontiers de lui, estime Jean-<br />
François Nadeau. Mais peut-être qu’en lisant mon<br />
livre, on découvrira d’autres facettes de l’homme; il<br />
était doté d’un sens de la justice sociale admirable<br />
qui le rapproche de Michel Chartrand, à qui il a dédié<br />
des livres. On peut aussi penser à sa foi étonnante en<br />
la jeunesse. Et même si les méchantes langues diront<br />
qu’il aimait la jeunesse pas seulement pour l’espoir<br />
qu’elle portait en elle, il avait une réelle foi en l’avenir<br />
des jeunes, ce dont peuvent témoigner tous ses<br />
anciens étudiants en communication à l’UQÀM, »<br />
conclut-il.<br />
Bourgault<br />
Jean-François Nadeau,<br />
Lux, 580 p., 36$<br />
© courtoisie Lux Éditeur<br />
S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 0 7<br />
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