Distorsions cognitivesdes sujets acouphéniquesCharlotte REMPPMaître de Mémoire :M. Philippe LURQUINcharlotte.rempp@free.frL’acouphène correspond à la perception d’un son de façonunilatéra<strong>le</strong>, bilatéra<strong>le</strong> ou centra<strong>le</strong>, en l’absence de toutesource sonore externe. D’après Jastreboff (1999), onrelève environ 15% de la population atteinte de ce symptômechronique et 35% ayant déjà ressenti un siff<strong>le</strong>mentd’oreil<strong>le</strong>. La majorité des acouphéniques sont capab<strong>le</strong>sde mettre en place des stratégies d’ajustement efficaces.Cependant, une partie des patients (acouphéniques plaintifs)ne parviennent pas à faire face à ces sons intrusifs etse plaignent davantage des symptômes associés. D’aprèsune étude coréenne, <strong>le</strong>s caractéristiques cognitives tel<strong>le</strong>sque <strong>le</strong>s pensées dysfonctionnel<strong>le</strong>s et fausses croyancesjouent un rô<strong>le</strong> dans la détresse due à l’acouphène (Lee SY,Kim JH, Hong SH, et al, 2004). Cette étude démontre que<strong>le</strong>s pensées et idées fausses sont d’importants facteurs àprendre en compte lors d’un traitement et de l’adaptationpsychologique des patients acouphéniques (Figure 1).Ceux-ci interagissent avec <strong>le</strong>s processus cognitifs, quidonnent naissance à <strong>le</strong>ur tour à des pensées automatiquesinadaptées, appelées éga<strong>le</strong>ment distorsions cognitives.A. Distorsions cognitivesOn définit <strong>le</strong>s distorsions cognitives comme un traitementincorrect de l’information. Ces pensées dysfonctionnel<strong>le</strong>snous amènent à une vision approximative, déformée, voiretota<strong>le</strong>ment inexacte du monde. El<strong>le</strong>s se manifestent habituel<strong>le</strong>mentlorsque nos émotions sont sollicitées et donnentun visage faux de la réalité. Dans ce sens, el<strong>le</strong>s tendent àattribuer un sens particulier à des faits ou des situationssans signification particulière au départ. Ce type d’erreurcommande notre comportement qui va lui-même renforcerla pensée dysfonctionnel<strong>le</strong> qui en est la cause. Ainsi, pourpouvoir modifier <strong>le</strong> comportement d’un individu, il fautmodifier ses pensées dysfonctionnel<strong>le</strong>s.1 Distorsions cognitiveset acouphèneQuand un événement survient, nous l’évaluons et <strong>le</strong> confrontonsà notre pattern personnel de croyances. Lorsque nousvivons un événement émotionnel<strong>le</strong>ment important, noscroyances sont mises à mal : c’est <strong>le</strong> cas lors de l’apparitiond’un acouphène. Ainsi, <strong>le</strong>s schémas de base deprévisibilité et de contrôlabilité deviennent dysfonctionnels.B. Fausses croyances spécifiques àl’acouphèneLa majorité des acouphéniques présentent des distorsionscognitives par rapport à l’acouphène. Ces distorsionsportent sur différents aspects :• Fonctionnel : origine, mécanismes et conséquences del’acouphène,• Emotionnel : influence de l’acouphène sur la vie del’individu (Tab<strong>le</strong>au 1).Figure 1 : Modè<strong>le</strong> de Lee (Lee et al, 2004)Aspect FonctionnelAspect EmotionnelMon acouphène est une maladieJe ne supporterai plus l’acouphèneC’est un signe avant-coureur de problème de santéJe n’aurai plus jamais de si<strong>le</strong>nceL’acouphène est dû au stressIl n’y a pas de solutionMon acouphène va me rendre sourdL’acouphène captera toute mon attentionL’acouphène perturbe mon sommeilL’acouphène va me rendre fouMon acouphène va s’aggraverJe ne pourrai plus faire face à l’avenirIl faut éviter <strong>le</strong> bruit pour protéger l’oreil<strong>le</strong>Tab<strong>le</strong>au 1 : Classification des distorsions cognitives selon <strong>le</strong>urs aspects fonctionnel et émotionnel28 Les Cahiers de l’Audition - N°4/<strong>2012</strong>
Création d’une préséance à la thérapieacoustique d’habituation (TRT)D’après Lurquin P. et Duval T. (2010), 70% des sujetstestés accordent une importance relativement grande à<strong>le</strong>urs croyances vis-à-vis de l’acouphène. En général, on netrouve pas de corrélation entre l’ancienneté de l’acouphèneet l’importance des croyances. Cel<strong>le</strong>s-ci sont fortes et <strong>le</strong>spatients y attachent beaucoup d’importance.Les pensées catastrophiques et croyances dysfonctionnel<strong>le</strong>sinfluencent la détresse de l’acouphène. Les idéesfausses entretiennent <strong>le</strong>s émotions négatives que suscitel’acouphène, empêchant ainsi <strong>le</strong> patient à s’habituer àl’acouphène. Ainsi, il semb<strong>le</strong> primordial de prendre encompte <strong>le</strong>s distorsions cognitives dans <strong>le</strong> cadre d’unethérapie d’habituation à l’acouphène ou tout autre typede prise en charge car, el<strong>le</strong>s peuvent être atténuées pardes explications précises re<strong>le</strong>vant du modè<strong>le</strong> de genèse del’acouphène et de son devenir, des possibilités de traitementet de conseils pour mieux vivre avec ce symptôme.2 Création et évaluation d’uneséance de « counselling »portee sur <strong>le</strong>s distorsionscognitivesL’objectif de ce travail réside en la création et l’évaluationd’une séance de conseils directifs spécifiquement portéssur <strong>le</strong>s distorsions cognitives propres à l’acouphène. Noussouhaitons intervenir avant la thérapie acoustique d’habituation(Tinnitus Retraining Therapy), dans <strong>le</strong> but d’amenuiser<strong>le</strong>s fausses croyances et <strong>le</strong>s craintes pour mieuxpréparer <strong>le</strong> patient à la thérapie sonore.l’acouphène (Salvi et al, 1996 ; Lockwood et al, 1998 ;Mühlnickel et al, 1998 ; Eggermont et al, 19990 ; Noreña etal, 1999 ; Kaltenbach, 2005).2. SolutionsIl existe une multitude de prises en charge qui diffèrent depar <strong>le</strong>urs méthodes et <strong>le</strong>urs finalités. Passant de traitementsmédicamenteux (vasodilatateurs, anxiolytiques, antidépresseurs,acamprosate, etc.) aux moyens physiques (oxygénothérapiehyperbare, stimulation magnétique transcraniennerépétitive, acupuncture, hypnose, etc.), on observe peu derésultats significatifs sur l’acouphène. Ainsi, on retrouveprincipa<strong>le</strong>ment deux types de prises en charge prenant encompte <strong>le</strong>s dimensions psychologique et émotionnel<strong>le</strong>.a. La TCC : Thérapie Cognitivo-Comportementa<strong>le</strong>La TCC agit sur <strong>le</strong>s pensées du patient présentant unedistorsion cognitive et sur <strong>le</strong> comportement à adapter faceau troub<strong>le</strong> dont il est atteint, notamment l’acouphène. Cettethérapie a pour but de modifier <strong>le</strong>s comportements et <strong>le</strong>spensées négatives en utilisant des techniques de déconditionnement.Les études évaluant la TCC démontrent que cette méthodeapporte une amélioration quant à la gêne induite parl’acouphène et <strong>le</strong>s conséquences cognitives et comportementa<strong>le</strong>sgénéra<strong>le</strong>ment ressenties par <strong>le</strong>s patients(Andersson & Lyttkens, 1999 ; Londero et al. 2004 ;Robinson et al., 2008 ; Philippot P et al., 2011). Cependant,malgré ces résultats positifs, la TCC ne semb<strong>le</strong> pas avoir deréels impacts sur l’intensité du son perçu.A. Séance de « Counselling »La séance de Counselling dure environ une heure et s’appuiesur des explications ora<strong>le</strong>s et un support visuel. Lesexplications portent sur <strong>le</strong>s fausses croyances du patientet sont faites de mots simp<strong>le</strong>s et d’exemp<strong>le</strong>s illustratifs(métaphores, parabo<strong>le</strong>s) dans <strong>le</strong> but d’optimiser la compréhension.Ces illustrations et animations se trouvent sous laforme d’un diaporama réalisé à l’aide du logiciel « MicrosoftPowerPoint » comportant 77 diapositives.Afin de réaliser un outil comp<strong>le</strong>t, il est nécessaire d’établirun travail de recherche quant aux principa<strong>le</strong>s idées reçues.b. La T.R.T : Tinnitus Retraining TherapyBasée sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> neurophysiologique de Jastreboff(Jastreboff, 1999), cette thérapie est proposée pour <strong>le</strong>scas d’acouphène et d’hyperacousie. El<strong>le</strong> repose sur deuxpiliers principaux : une association de conseils directifs(Counselling en anglais) et la stimulation auditive à l’aided’un générateur de bruit blanc (Figure 2).1. Origine de l’acouphèneDans la littérature, différentes théories portant sur l’origineet <strong>le</strong> mécanisme de l’acouphène sont mentionnées.Cependant l’hypothèse prédominante est cel<strong>le</strong> du rô<strong>le</strong> dela plasticité cérébra<strong>le</strong>. Ainsi, on établit que la désafférentationinduite par une perte auditive engendre une réorganisationdu cortex auditif responsab<strong>le</strong> de l’émergence deFigure 2 : Modè<strong>le</strong> neurophysiologique de Jastreboff(Jastreboff, 1999)Les Cahiers de l’Audition - N°4/<strong>2012</strong>29