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Numéro 50 - Le libraire

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Littérature étrangèreO LIVIERR OLINVivre pour faire reculer la mortEn 1881, Édouard Manet, peintre génial et parfois honni de son vivant, fait le portrait d’Eugène Pertuiset, chasseurde lions en Algérie, mais aussi viveur, magnétiseur, explorateur, inventeur et trafiquant d’armes et, ce qui nous intéresse ici,pionnier de l’exploration en Terre de Feu. « Pourquoi Manet, “ ce riant blond Manet/ De qui la grâce émanait ” a-t-il peintce gros lard? […] Voilà ce que tu te demandes devant le Chasseur de lions, dans la seconde salle du second étage duMuseu de Arte » (Extrait de Un chasseur de lions).Par Florence Meney<strong>Le</strong> lecteur aussi, se le demande: pourquoi OlivierRolin, écrivain célébré, ancien journaliste, hommeengagé, baroudeur, lettré, entre autres, a-t-il choiside consacrer des mois de travail, de rechercheméticuleuse et un ouvrage entier à la relationétrange qui exista entre le célèbre peintre du XIX esiècle et l’un de ses modèles éphémères, un aventu -rier viveur, hâbleur, avec lequel l’artiste tissa une singulièreamitié?Un quart de siècle d’histoireEn entrevue pour le <strong>libraire</strong>, l’auteur français, dontles ouvrages ont été souvent en lice parmi les prestigieuseslistes de prix littéraires (il a par exemple étéle lauréat du Femina 1994 pour Port-Soudan, auSeuil), fait preuve d’une simplicité et d’une humilitédésarmante en répondant à cette question, commes’il réfléchissait encore sur sa démarche: « Il y avingt-sept ans, apprenti journaliste, j’étais enArgentine. J’avais couvert la guerre des Malouinespour le Nouvel Observateur et je me baladais. J’aiacheté un petit livre sur les explorateurs, et je tombesur ce personnage qui part en expédition en Terre deFeu parce qu’il est à la recherche d’un trésor. »Olivier Rolin se rappelle avoir trouvé le personnage« marrant » et avoir été interpellé parce qu’on disaitqu’il était trafiquant d’armes. En plus, ajoute-t-il, « laTerre de Feu m’a toujours fasciné... ». <strong>Le</strong> tempspasse, avec son lot de livres et d’aventures, et ce n’estqu’un quart de siècle plus tard, alors qu’il flâne dansle musée de São Paolo, au Brésil, qu’il tombe sur unportrait d’Édouard Manet, « et c’est ce type, ce chasseurde lions, Pertuiset, qui est représenté ». Unedouble rencontre, à vingt-cinq ans d’écart, qui estainsi le point de départ d’Un chasseur de lions, unlivre complexe, érudit, éclaté, plein de vitalité et decouleurs. Un récit qui s’attache aux pas de ces deuxpersonnages. Entre le peintre et l’aventurier, la voixde l’auteur, elle, discrète, observatrice, glisse ses propresréflexions sur son passé et son existence. Et surla condition humaine.<strong>Le</strong> romanesque documentéOlivier Rolin rapporte le bonheur de fouiller la vieréelle et d’ajouter tout un pan romanesque au destinde ces deux hommes que tout oppose, « l’un célèbreet raffiné, l’autre débordant, plutôt grossier et viveur,mais avec des qualités, tout de même ». Mêlant ima -gination et faits réels, Un chasseur de lions entraînele lecteur des salons parisiens en Amérique du Sud eten Terre de Feu, dans le sillage des deux hommes,étrange couple mal assorti. Il observe et décrit, dansune orgie géniale de saveurs, d’anecdotes, de personnagesparfois assez felliniens, les tribulations rocambolesquesdu chasseur de lions.Qu’est-ce qui a attiré Manet vers ce Pertuiset, ce semibrigand?« J’imagine que le gros homme l’amusait,explique Olivier Rolin. C’était un être assez vantard,qui racontait ses histoires de sauvages, de traficd’armes. Cela devait le distraire, lui qui fréquentaitUn chasseur de lionsOlivier Rolin, Seuil,coll. Fiction & Cie,240 p., 27,95$essentiellement les salons parisiens. » L’ouvrage recèledes trésors d’évocations sur le milieu et les attachementsd’Édouard Manet, dans ce Paris mondain oùl’on croise les Mallarmé, les Zola et autres membres del’élite intellectuelle et artistique de l’époque: « Manetn’aimait pas beaucoup sortir de son monde, assezfermé, souligne l’auteur. Il rencontrait son cercle, iln’y a, en fait, que là qu’il se plaisait. Sa vie, c’étaitParis. » Ce qui tranche d’autant plus avec l’existencede son chasseur de lions.© Hannah/OpaleAmasser les histoiresLa complexité du récit étonnera plus d’un lecteur.Comment son auteur est-il parvenu à tisser le fil detrois vies, avec une telle générosité de détails, d’allusionsartistiques, politiques, historiques, sociales, parfoismétaphysiques, tout en parvenant à une grandecohérence? « Je l’ai écrit assez vite, mais avant, pendantpas loin de deux ans, j’ai lu beaucoup de chosessur ces deux hommes: des biographies de Manet, deslivres de ce Pertuiset. Car il a écrit! Je suis retournéen Amérique du Sud, j’ai dépouillé des journaux del’époque, au Pérou, au Chili... J’ai pris des cahiersentiers de notes », déclare-t-il. L’écrivain poursuit:« J’avais beaucoup amassé de documentation, et cequi se passe, en général, c’est qu’on sent spontanémentque l’on doit en laisser tomber une bonne partie.On a une tonne d’informations et c’est uniquementcent kilos qui vont servir. Ç’a été le cas », dit-ilavec cet humour léger que l’on retrouve dansson œuvre.Mais où au juste Olivier Rolin se situe-t-il, dans cettesingulière histoire à trois voix? « Manet me plaît nettementplus que Pertuiset », précise-t-il. Et la richessedes pages s’illustre par ces contrastes qui construisentla vie et le monde.L’omniprésence des femmesContraste, aussi, chez les personnages féminins duroman. Femme réelle et femme inventée, confirmel’auteur. On y retrouve plusieurs grandes figures, dontcelle du modèle de Manet, Berthe Morisot, qui étaitelle-même également peintre ainsi que belle-sœur del’artiste. Manet éprouvait pour elle un fort attachement.« Dans le cas de Berthe, je ne me suis pas permisd’inventer grand-chose, précise Olivier Rolin.C’est une femme que j’aime beaucoup, un personnageassez magnifique, avec lequel je n’ai pas voulu prendretrop de libertés. »Une autre, par contre, aussi charnelle que Berthe estéthérée, aussi avide que Berthe est raffinée, est sortiede son imagination: « L’autre femme majeure duroman, c’est la maîtresse du chasseur de lion,Géraldine. Elle est complètement inventée à partird’articles de journaux de l’époque, certains parlantd’une chanteuse d’opérette qui chantait aussi bienWagner qu’Offenbach, et qui déclenchait des émeutes.C’est la señorita Geraldine. » Et dont Olivier Rolinimagine qu’elle deviendra ensuite le modèle de Manet,pour le seul (vrai) tableau dont le modèle demeureinconnu.<strong>Le</strong> livre s’achève sur la fin d’Édouard Manet, qui meurtà 51 ans de gangrène. La mort, latente sous la vitalitédu texte, qui fige l’artiste et son modèle dans l’éternité.Olivier Rolin a choisi de combattre aux côtés de cesdeux hommes et sur un quart de siècle de vie personnelle.<strong>Le</strong> lion s’est tapi pour un temps dans l’ombre, ila reculé. Olivier Rolin: 1 - Mort: 0.D É C E M B R E 2 0 0 8 | J A N V I E R 2 0 0 927

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