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Numéro 50 - Le libraire

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Littérature étrangèreL UCÍAE TXEBARRÍAL’antiromantiqueSon premier roman, Amour, Prozacet autres curiosités, qui racontel’histoire de trois sœurs en quête debonheur et recourant aux expé -dients les plus divers, continuepourtant de faire son chemin plusde douze ans après sa publication.Ce best-seller instantané, traduitdans vingt-sept langues, vient juste deparaître en Israël. Mais pour elle, c’estde l’histoire ancienne, un livre écrit parune femme qui n’a plus grand-chose àvoir avec celle qu’elle est devenue aujourd’hui.Et n’essayez surtout pas de lui faireparler de la biographie sur Kurt Cobain etCourtney Love qui l’avait précédé: « J’avais 28ans, j’étais jeune et j’avais besoin d’argent. Est-cequ’on peut parler d’autre chose? », lance-t-elled’une voix suppliante dès qu’on aborde la question.« Imaginez qu’à 40 ans, poursuit-elle, on vous demandeencore des nouvelles d’un homme dont vous avez divorcéà 30! » Lucía Etxebarría se souvient d’ailleurs avecamusement d’un étudiant canadien qui la harcelaitpour parler d’un de ses premiers livres: « Il n’arrêtaitpas de me parler de la page 124, et de ce qui se passaità la page 124! Mais moi, je ne me souvenais plus toutde ce que j’avais écrit dans cette fameuse page 124! »,s’exclame-t-elle.Quand le succès vous colle à la peauExit la nostalgie, donc, quand on discute avec la romancièreespagnole, qui a pourtant connu le succès dès sesdébuts. Au point qu’on peut certainement parler d’un« phénomène Etxebarría ». Alors que son premierroman lui vaut les louanges publiques d’Ana MariaMatute, une auteure respectée et bien établie enEspagne, son deuxième, Béatriz et les corps célestes,remporte le Nadal, le plus ancien des prix littérairesespagnols, et s’envole aussitôt à 200 000 exemplairesalors que, généralement, il ne vaut à ses auteurs qu’unsuccès d’estime. Puis en 2004, nouvelle consécrationalors qu’elle rafle le très prestigieux Planeta, presqueaussi lucratif qu’un Nobel, grâce à Un miracle en équilibre.Si ce livre où une femme dit tout l’amour qu’elle apour sa petite fille alors que sa mère se meurt à l’hôpitala tant séduit, c’est sans doute parce qu’il touche unthème universel en parcourant la vie de femmes degénérations différentes, entre la naissance et la mort.Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est lamort plus que la maternité qui a servi de moteur àl’écrivaine: « J’étais en train de perdre mon père enmême temps qu’un ami très cher, ils étaient tous lesdeux à l’hôpital et, pour l’un comme pour l’autre, jePar Catherine Lachausséesavais que c’était la fin. J’avais déjà perdu tant d’amis, àcause de l’héroïne, puis du sida, que je ne pouvais plusarrêter d’imaginer que j’allais mourir demain. Et je medisais: “ Il faut que ma fille sache qu’on n’a qu’une seulevie, et qu’il ne faut pas la gaspiller en perte de temps eten discussions inutiles. ” »À l’instar des livres précédents, Un miracle enéquilibre offre aussi une réflexion décapante sur lefait d’être une femme dans le monde d’aujourd’hui,thème cher à Etxebarría, qui n’en revient pas devoir à quel point notre société demeure machistealors que, encore et toujours, les femmes se laissentronger par le doute et les remises en question:« Pour faire ma vie, j’ai dû travailler dur, faire dessacrifices incroyables. En tant que mère célibataire— la première de ma famille! —, j’ai dû trouver denouvelles solutions pour des situations nouvelles.Mais en Espagne, comme dans le reste du monde, jepense qu’il y a toujours un chemin plus facile pourun homme. Et il ne sera pas jugé, comme je l’ai étéà cause du contenu sexuel demes livres. Qu’un homme écrivece genre de choses, ce n’est pasun pro blème. Moi, pour desscènes qui n’étaient même passi osées, j’étais cataloguée‘‘écrivaine érotique’’, ‘‘adepte dusadomasochisme’’, ‘‘enfant terrible’’ou ‘‘écrivaine polémiste’’. Et jepense que ce serait la même choseau Québec. » Un Québec qu’elletrouve plutôt puritain, finalement,avec ses enfants qui ne se baignentjamais nus, ces poitrines qu’on ne dévoilejamais en public, et où il est mal vu detoucher les inconnus — surtout ceux del’autre sexe, et surtout dans un bar! Elle sesouvient encore de l’émeute qu’elle a failli provoqueren se pro menant nue entre sa chambre et lasalle de bain dans l’appartement qu’elle partageaitavec d’autres locataires du temps où elle vivait àMontréal. Et elle n’en revient toujours pas d’avoir étéjetée en prison pour avoir osé porter un monokinien Californie!Une Espagne en déséquilibrePour une raison ou pour une autre, quoi qu’elle diseet quoi qu’elle fasse, la controverse semble luicoller aux talons autant que le succès. Sa fréquentationde la faune homosexuelle madrilène lui ad’ailleurs valu une étiquette d’auteure lesbienneaussi tenace qu’injustifiée: « Ça, c’est parce que jevis au centre-ville!, explique- t-elle. À Madrid, laplupart des familles vivent en banlieue, parce queles appartements du centre sont carrément hors deprix. Internet est d’ailleurs devenu le seul moyenpour moi de garder contact avec mes amis hétérosexuels.Alors mes copines lesbiennes sont lesseules que je peux voir tous les jours. C’est probablementdifficile à comprendre au Québec, où jetrouve la vie incroyablement bon marché. » Sonpays, elle l’observe donc depuis son quartier, sanscomplaisance, transformant son quotidien enmatière à roman sitôt qu’il a été absorbé parl’imaginaire. Ainsi en va-t-il de la mort de son père,devenue la mort d’une mère dans Un miracle enéquilibre, alors qu’un meurtre sordide est reprispresque tel quel dans Cosmofobia. Et quand ellerécupère une pénible poursuite qu’on lui a intentéepour plagiat et la transforme dans un livre en unprocès rocambolesque contre un magazine àpotins, on ne peut certainement pas lui reprocherde manquer d’air ni de piquant!Cosmofobia10/18, 416 p., 14,95$Un miracleen équilibre10/18, 414 p., 15,95$Béatrizet les corps célestes10/18, 316 p., 15,95$Amour, Prozac etautres curiosités10/18, 282 p., 15,95$D É C E M B R E 2 0 0 8 | J A N V I E R 2 0 0 928

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