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rire larmes

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À l'heure des divorces érigés en norme, les couples qui se séparent sont légions mais peu de<br />

ruptures entraînent des drames, heureusement ! Matéo, lui, dès sa deuxième copine et son premier<br />

échec, ne l'a pas supporté...<br />

Faut-il blâmer une hyper-sensibilité, une hyper-fragilité ou une pathologie ? Il avouait luimême<br />

-enfin, c'est ce qu'on a su en lisant son journal- souffrir de ne pas comprendre pourquoi il<br />

était comme ça. Et comme il n'avait pas les outils pour analyser ou corriger ses failles, il accusait<br />

ceux qu'il pouvait, à savoir, ses parents !<br />

Bien sûr que cela fait mal à entendre et bien sûr qu'il ne faut pas y accorder de crédit vu qu'il<br />

n'était plus que l'ombre de lui-même mais quelque part, il avait raison. Nous n'avons pas su déceler<br />

les risques potentiels de ses travers et nous n'avons pas pu prévenir son malheur, nous sommes donc<br />

bien fautifs.<br />

Il nous faudra vivre avec ce poids jusqu'à la fin de notre vie car nous sommes, difficile de le<br />

ressentir autrement, un petit peu responsables de sa mort. S'il a 'vrillé' comme ça, s'il a pu s'enfoncer<br />

aussi vite, aussi loin (quatre mois lui auront suffi pour perdre définitivement pied), c'est sans doute<br />

qu'il relevait de la psychiatrie. On ne le saura jamais mais on aurait dû le faire suivre par un<br />

spécialiste, peut-être nous aurait-il confirmé qu'il était autiste, victime de tel trouble ou simplement<br />

précoce et excessivement renfermé ? Son drame nous fait regretter de ne pas avoir consulté mais de<br />

toute façon, maintenant, il est trop tard ! Il a emporté avec lui sa singularité et nos espoirs de le voir<br />

un jour épanoui. Enfant, il était quand même souriant, malicieux, passionné par plein de choses, il<br />

était aussi heureux que n'importe qui ! Le seul problème était sa timidité maladive (je la nommerai<br />

ainsi par défaut) mais il avait commencé à flirter sérieusement, nous pensions donc qu'il ne lui<br />

manquait qu'un enfant pour s'ouvrir définitivement ! Hélas, il n'en aura pas eu le temps. Incapable<br />

de verbaliser ses émotions et d'aller vers les autres, il a tenté une fois de donner tout son cœur mais<br />

son élue n'en a pas voulu...<br />

Enfin, je me sens coupable de l'avoir mal compris à ce point-là. Quand je l'ai ramené chez<br />

nous, je croyais que le simple fait de lui redonner sa chambre guérirait ses maux, alors que, bien sûr<br />

il n'en a rien été. Son cœur était resté là-bas et son mal était si profond qu'il aurait fallu agir<br />

autrement ! Après deux tentatives de suicide -que nous avons apprises après coup-, la situation était<br />

gravissime mais je n'y croyais pas. Tout s'était passé si loin -et on nous l'avait juste rapporté- que<br />

nous n'en avions pas pris la mesure. Pourtant, ses deux tentatives auraient dû nous alerter mais<br />

naïvement, je croyais que le simple fait de nous avoir à ses côtés le remonterait. Erreur lourde à<br />

assumer puisque sa troisième tentative a été fatale...<br />

Nous étions si désemparés que la seule chose que nous lui proposions était de se choisir une<br />

nouvelle voie puisqu'il ne voulait plus être ingénieur mais comment peut-on décider d'un métier<br />

quand on est persuadé que la vie ne sert à rien ? Nous pensions « inscription » quand il pensait<br />

«continuer à vivre ou pas », alors forcément, le dialogue a tourné court !<br />

Et le climat s'est tellement détérioré qu'il est parti dans la première fac qui l'a pris et je<br />

l'avoue, j'ai été soulagé qu'il parte de chez nous. Furieux de le voir nous rejeter en bloc autant que<br />

de constater notre échec à atteindre et soigner notre fils, j'ai préféré le voir partir. Sa fac était à cinq<br />

cent kilomètres et cela nous inquiétait mais nous avions été parfaitement incapables de lui redonner<br />

le sou<strong>rire</strong> ou la parole, alors que faire d'autre ?...<br />

En le laissant partir -ce que cautionnait le psychiatre-, nous savions que nous l'abandonnions<br />

à son sort et que nous lui offrions le choix de la mort, mais puisque ce départ était son vœu, il était<br />

difficile de nous y opposer. Et encore une fois, jamais, je n'imaginais qu'il irait se tuer...<br />

Au final, sommes-nous coupables de l'avoir trop couvé, trop aimé depuis sa tendre enfance,<br />

au point qu'il n'était pas armé pour affronter le monde du dehors et les échecs qui vont avec ?<br />

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