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Dernier épilogue<br />
– Attention au bus, Jacques !<br />
Ma douce a toujours eu peur en voiture et depuis le drame, ça ne s'est pas arrangé. Compatissant à<br />
ses craintes irrationnelles- parce que je l'avais vu le bus, et j'allais même peut-être freiner ! -, je<br />
réagis avec la diplomatie d'un cadre de Bygmalion devant la brigade financière :<br />
– Tout va bien, chounette ! Je l'ai vu, je me gare plus loin. Elle arrive à quelle heure, notre<br />
Juliette ?<br />
– Son train devrait arriver dans cinq minutes. Je vais voir si je la trouve, fait-elle en ouvrant<br />
sa portière.<br />
– Reste-là, il pleut ! On est quatre sur le parking, elle va bien nous repérer !<br />
Ma Françoise se rassoit dans la voiture mais ne cesse d'essuyer le pare-brise pour guetter les<br />
arrivants. J'aurais envie de lui rappeler que la pluie tombe au-dehors et que sa frénésie de nettoyage<br />
est inutile mais je me contente de remettre les essuie-glaces.<br />
Elle tient le coup depuis la mort de Matéo mais je la sens quand même fragile, alors je la<br />
ménage. Soudain, notre Juliette apparaît en talons, veston et pantalon habillé, il est loin le temps du<br />
noir absolu sous l'emprise de Adam le maléfique ! Mais je n'ai même pas le temps de complimenter<br />
sa tenue que ma douce s'est déjà lancée à sa rencontre :<br />
– Chounette, tu vas prendre la crève !<br />
Une petite voix détestable me glisse que je n'ai pas de cœur, alors moi aussi, je sors l'accueillir sous<br />
la pluie ! Les effusions sont humides mais chaleureuses. Parfois, ça vaut le coup de mouiller la<br />
chemise.<br />
– Donne-moi ton sac, je vais le mettre à l'arrière et montez, on va être 'trempe »' !<br />
Ma douce se réarrange dans le miroir de courtoisie tandis qu'elle va aux nouvelles :<br />
– Alors, ta semaine s'est bien passée ?<br />
– Trop bien, maman ! Jean-Gui est trop génial, il m'a fait découvrir le vieux Lyon, c'est trop<br />
sympa !<br />
Tout en démarrant, je reprends mon rôle habituel et lui demande :<br />
– Mais tu te rappelles qu'il y a un vieux bâtiment où tu t'es inscrite et où ils donnent des<br />
cours, je crois ? Tu y es passée cette semaine ?<br />
– Oh p'pa, bien sûr ! J'ai des super notes et j'ai jamais autant bossé de ma vie !<br />
– Tu veux dire que cette année, tu as acheté des cahiers ?<br />
– Jacques ! me tance ma douce. Si elle te le dit, fais-lui confiance !<br />
– J'te promets, p'pa ! Rien que pour l'acidité, j'suis au top : j'ai pas loupé un cours ! Et en<br />
plus, ils sont trop biens nos cours magistrals !<br />
Toujours cette aisance en vocabulaire, cette grâce dans la langue de Molière. Pas de doute,<br />
c'est ma fille !<br />
– J'espère qu'ils ne vont pas trop vous presser le citron pour le « certificat d'acidité »,<br />
marmonné-je, en regardant ma douce. Mais celle-ci gloussait déjà avant ma vanne. Qu'est-ce qui se<br />
passe ? Je jette un œil au rétro et vois ma fille tout sou<strong>rire</strong> qui tapote l'épaule de sa mère :<br />
– Quoi ? m'offusqué-je. Il n'y a plus que moi pour défendre la langue française ?<br />
– Papounet ! J'ai fait exprès ! J'étais sûre que t'allais partir au quart de tour !<br />
Et mes deux femmes de glousser de plus belle en se fichant de ma poire ! Ah, elle est belle la<br />
jeunesse : plus aucun respect pour les ancêtres !<br />
– C'est ça, marrez-vous ! Mais on va aller chercher Einstein et à deux contre deux, ça ne sera<br />
plus la même !<br />
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