rire larmes

même cas, grâce aux séances d'acupuncture qui m'apaisent et grâce à mes enfants qui me font
sourire tous les jours. Les proches et les collègues ont aussi aidé, je les en remercie vivement. Mais
comment être sûr que je ne vais pas craquer avec le temps ? Ou que ma femme sombrera la
première ?
Pour l'instant, nous avons plus ou moins digéré la violence de l'acte et plus ou moins accepté
avec résignation qu'on ne le verrait plus jamais et qu'il nous faudrait finir notre vie ainsi mais cette
relative sérénité durera-t-elle ou n'est-elle qu'une illusion qui va voler en éclat bientôt ? Notre
cerveau se mure-t-il dans un déni confortable ou a-t-on réellement appréhendé le tragique de la
chose ?
Espérons que notre raison tiendra mieux qu'un château de cartes et que malgré la peine et les
petites piques qui ne manqueront pas de nous plier en deux -l'autre jour, on a vu dans un film de
série B des étudiants qui appelaient leur coloc' manquant la rentrée et bien sûr, nous avons repensé
au portable de notre Matéo décédé qui sonnait quand même, puisque ses copains se demandaient
pourquoi il n'était pas en cours ! -, que malgré tout donc, nous resterons debout, avec nos deux
enfants restants.
Les questions continueront, les doutes, les reproches se mêleront mais aujourd'hui,
fondamentalement, je crois que notre Matéo n'était pas armé pour être heureux dans notre monde. Je
regrette de ne pas l'avoir emmené chez un spécialiste quand il était petit car alors, peut-être aurais-je
eu des clés pour l'apprécier différemment et le comprendre, mais cela aurai-il changé sa destinée : je
n'en suis pas sûr. Depuis son enfance, il vivait en retrait du monde, à sa façon, mais quand il a fallu
y plonger, se frotter à la réalité, il ne l'a pas supporté. Et lui qui était toujours plus spectateur
qu'acteur est parti de la plus violente des façons, dans un ultime paradoxe. Encore une fois, c'est ma
version et mon impression, peut-être que je suis loin de sa vérité mais j'aime à croire que ses
carences d'expressions affectives -inversement proportionnelles à ses capacités intellectuelles- l'ont
empêché de vivre en paix avec les autres, c'est triste.
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Voilà, il y aura des hauts et des bas, des larmes et de l'émotion car on n'en a pas fini avec la
disparition de Julien (notre Matéo s'appelait Julien, il avait vingt-trois ans).
Tous les constats cliniques ci-dessus peuvent expliquer, analyser pour tenter de contrôler les
larmes, il n'empêche que c'est dur sans lui !
C'est dur pour ses camarades de 'boquette', qui ont été là jusqu'au bout. C'est dur pour ses
cousins-cousines, avec qui il a fait des parties de cartes mémorables ou dansé devant la famille
admirative. C'est dur pour ses grand-parents dont il était aussi l'enfant et dur parce qu'ils vivent
forcément notre peine. C'est dur pour ses frères qui doivent continuer à vivre malgré cette horreur et
même si je ne sais pas comment ils gèrent ça, j'espère qu'ils arriveront à être pleinement heureux car
ils n'y sont pour rien. Et enfin, bien sûr que c'est dur pour nous, ses parents.
Moi, je ne verrai plus mon petit écolier, si brillant, si appliqué. Ah, mon Julien...
D'ailleurs, je pense que ton dernier choix pour des cours en fac te convenait parfaitement
puisque là où d'autres seraient partis bosser, toi, tu ne voulais pas. Tu étais mieux à ta place à
l'école, où des professeurs étanchaient ta soif de connaissances ou piquaient ta curiosité en
spectateur-receveur silencieux et fidèle à toi-même.
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