l'histoire « Walk it back » de The National 28 © DR
L’élégance. Le qualificatif revient souvent dans la presse lorsqu’il est question de The National, un groupe américain dont l’audience n’a jamais réussi à toucher le grand public en France. Chez les puristes d’un rock de grande classe - dans le sillage de REM et du mythique Michael Stipe s’il faut trouver quelques filiations -, The National est une référence, sinon LA référence. La voix de baryton de Matt Berninger donne sa coloration chaude à toutes les compositions de The National, un groupe composé de deux doublettes de frères (Aaron et Bryce Dessner aux guitares, Bryan et Scott Devendorf à la rythmique). Assez confidentiel en France, mais lié à quelques valeurs sûres comme Sufjan Stevens ou My Brightest Diamond, dont ils ont été des collaborateurs occasionnels (et réciproquement), le groupe de Brooklyn s’est fait remarquer en s’engageant, aux côtés de Barack Obama, lors de sa première campagne présidentielle (2008). Leur titre Fake Empire à la rythmique imparable sera même utilisé pour plusieurs clips de campagnes de celui qui deviendra le premier président noir américain. _Nouvel album Sleep well beast En septembre dernier, The National a sorti son nouvel album, Sleep well beast, lequel recèle un titre étrange. Walk it back, - littéralement « Marche arrière » -, intègre un texte lu par une voix féminine – celle de la compagne de Matt Berninger. Cette courte insertion est tirée d’un article du New-York Times Magazine de 2004. Dans un dossier consacré à l’administration Bush et à ses « faucons » impérialistes, au moment de leur toute-puissance post-11 septembre, une déclaration était attribuée à un conseiller de George Bush, Karl Rove. Comme un écho au Fake empire de l’album Boxer (2007). « People like you are still living in what we call the reality-based community. You believe that solutions emerge from your judicious study of discernible reality. That’s not the way the world really works anymore. We’re an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you are studying that reality — judiciously, as you will — we’ll act again, creating other new realities, which you can study too, and that’s how things will sort out. We’re history’s actors, and you, all of you, will be left to just study what we do ». Et donc en français : « Les gens comme vous vivent encore dans ce que nous appelons une communauté fondée sur la réalité. Vous croyez que des solutions émergent de votre étude judicieuse de la réalité perceptible. Ce n'est plus comme ça que le monde fonctionne en réalité. Nous sommes un empire à présent, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudierez cette réalité - judicieusement, comme vous le ferez - nous agirons à nouveau, créant d'autres réalités nouvelles, que vous pourrez étudier aussi, et c'est ainsi que les rôles se répartiront. Nous sommes les acteurs de l'histoire, et vous, vous tous, réduits à étudier de ce que nous faisons ». Karl Rove s’est toujours défendu d’avoir dit cela devant le journaliste du New York Times Ron Suskind, mais la citation fait peu de doute. On trouve dans cette déclaration tout le cynisme et le mépris de classe dont l’administration Trump n’est pas non plus avare. Evoquant la « réalité », elle fait écho aux arrangements du nouveau président des Etats-Unis par son invention des « alternative facts ». L’histoire pourrait s’arrêter là, mais un reporter de l’hebdomadaire Newsweek a voulu donner à écouter ce titre, Walk it back, à ce fameux Karl Rove, lequel commenta : « ça commence comme un morceau d’Euro Tech Pop puis chemine vers un air plus énergique, plus facile à danser. Mais à mon avis, ça ne fera pas le Top 40 ! » Plutôt remuant, mais toujours élégant, Walk it back est un titre à part dans cet album qui demeure dans la droite ligne de ce que The National sait faire de mieux : une musique racée, à l’écart des modes, portée par une rythmique impeccable et la voix, chaude et profonde, de son chanteur, Matt Berninger. Sleep well beast est l’un des « must have » de cet automne 2017. Pas si loin que cela de ses albums référence, Boxer et Alligator. americanmary.com M musique 29 TEXTE cyrille planson