INTERVENTION DE STÉPHANE ROZÈS Politologue, maître de conférences à Sciences Po Paris et HEC, Stéphane Rozès a dirigé l’institut de sondage CSA avant de devenir en 2009 président de la société de conseil Cap (Conseils, analyses et perspectives). Il a accompagné plusieurs hommes politiques de différents bords en tant que consultant, intervient régulièrement dans les médias et contribue à <strong>des</strong> ouvrages collectifs sur <strong>des</strong> questions politiques et sociétales. 14 <strong>Assises</strong> <strong>des</strong> <strong>métiers</strong> d’art – 28 et 29 juin <strong>2019</strong>, Palais <strong>des</strong> Congrès de Perpignan
« LES MÉTIERS D’ART ET L’IMAGINAIRE FRANÇAIS, UN DIALOGUE INTIME ET PERMANENT » 2 PAR M. STÉPHANE ROZÈS M. Stéphane ROZÈS — Je vous remercie de votre accueil et de votre confiance pour écouter et échanger avec vous. Effectivement, comme Philippe Loiseau m’y invite à brûle-pourpoint, je dirai qu’il y a, au fond, de façon suffisamment indicative, la manière dont vous voyez la société française, la façon dont vous percevez le regard de la société française sur vous et vos propres ressentis et analyses sur ce qu'est votre profession avec ses atouts, ses difficultés et ses enjeux. À brûle-pourpoint, vous avez tout à fait raison de décrire la société française comme étant très pessimiste. Nous sommes les plus pessimistes au monde dans les étu<strong>des</strong> internationales. Or, dans les analyses internationales, on voit bien que, quoique dégradé, le système économique et social français est, contrairement à ce que pensent les Français, tout à fait avantageux. Il vaut mieux être un salarié français qu'un salarié allemand, en termes de couverture sociale et de politique de redistribution. Les Français ne le voient pas, mais c'est la réalité. Philippe Loiseau a rappelé que mon travail, depuis 35 ans, est d'analyser les comportements <strong>des</strong> Français et de nos amis étrangers et d'essayer de comprendre la façon dont fonctionnent les sociétés. Cela veut dire que le pessimisme français n'a pas essentiellement de raisons économiques et sociales. Cela traversera le propos qui est le mien sur ce que vous êtes et votre rapport aux sociétés. Selon moi, les raisons sont culturelles : nos façons d'être et de faire à nous, Français, ne correspondent pas à ce qui semble peu à peu s'imposer dans le monde et en Europe, et qui semble être vécu comme une contrainte par nos compatriotes. Mme la Présidente, Aude Tahon, a mentionné le mouvement <strong>des</strong> Gilets Jaunes que nous avons pu connaître, au début, soutenu par 80 % <strong>des</strong> Français. Le pessimisme <strong>des</strong> Français est absolument réel. En même temps, votre état d’esprit – et on pouvait s’y attendre, sinon vous ne seriez pas là – est personnellement combatif. Vous mettez en avant l'engagement pour un gros tiers d'entre vous et ensuite, la confiance, la solidarité et l’inquiétude. Vous mettez en avant le repli pour les Français, mais vous n'êtes pas du tout dans le repli. Au pire, vous pouvez être pessimistes concernant la situation qui est la vôtre, mais vous êtes combatifs, même si vous êtes éventuellement pessimistes. Tout d'abord, ce qui vous caractérise est que vous êtes en mouvement. À juste titre, vous estimez que vous n'êtes pas reconnus. Pourtant, dans la question suivante, vous voyez votre apport au plan culturel et de la dynamique <strong>des</strong> territoires. Vous verrez que mon propos essaie d'expliquer cette contradiction. Comment se fait-il que vous apportiez à la société et que vous ne soyez pas reconnus ? Je vais même plus loin : non seulement vous apportez à la société, mais en ce moment, les Français apprécient ce que vous êtes. Mon propos essaiera de rendre compte de ce paradoxe apparent. Ce qui est très intéressant, c'est que les deux tiers d'entre vous estiment que votre profession va se développer à l'avenir. Vous voyez les obstacles, mais vous sentez bien que quelque chose porte vos <strong>métiers</strong> <strong>d'art</strong>, nonobstant les difficultés. Nous y reviendrons lors <strong>des</strong> débats. Dans les apports, vous mettez en avant essentiellement les dimensions culturelles et le développement <strong>des</strong> territoires par ailleurs. Vous ne mettez pas tellement en avant la dimension économique alors même que, dans la question d'après, vous indiquez que vous comptez tout d'abord sur vos clients. Vos clients sont vos principaux atouts avec les collectivités territoriales. Au fond, qu'est-ce qu’un client pour les <strong>métiers</strong> <strong>d'art</strong> ? Ce n'est pas seulement un consommateur, c’est quelqu'un qui investit dans quelque chose qui va au-delà du produit qu'il acquiert. C'est là que, pour nous, Français, un peu cartésiens, il y a d’un côté la valeur économique et de l'autre, l'art et la culture. À juste titre, vous ressentez bien, dans votre exercice professionnel que vous dédiez aux <strong>métiers</strong> d’art, que vous mettez à disposition <strong>des</strong> produits que vous avez vous-mêmes façonnés en travaillant <strong>des</strong> matériaux et que les personnes qui les acquièrent mêlent à la fois l'usage de ce que vous produisez et une valeur immatérielle tout à fait décisive, qui fait votre singularité. D'ailleurs, c'est ainsi que vous caractérisez la spécificité de vos <strong>métiers</strong> : c'est tout d'abord la création à 45 % et ensuite, le savoir-faire. Les difficultés principales sont celles qu’Ateliers d'Art de France essaie de lever : la question du statut et de la branche. Les deux combats sont liés en ce que le sujet est de convaincre les pouvoirs publics, alors même que vous ne leur faites pas confiance. C'est ce qu'il faut prendre en compte : spontanément, vous ne faites pas confiance aux pouvoirs publics, mais les batailles pour les convaincre doivent être médiées par ce qu’il se passe dans la société, ce qui agite la société et votre capacité à convaincre les responsables et les élus, non seulement au plan local, mais aussi au plan national. I.2. Les <strong>métiers</strong> d’art et l’imaginaire français, un dialogue intime et permanent 15