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Recueil des Assises des métiers d'art 2019

Nos Assises qui se sont déroulées en juin dernier à Perpignan ont démontré la force collective de notre communauté si chacun d’entre nous s’engage au plus près de son atelier pour défendre de façon unie la juste place des professionnels de métiers d’art. Les échanges lors de ces Assises témoignent que le climat de la société morose, même s’il est perceptible par tous, n’a pas eu d’emprise sur la confiance et l’espoir que nous plaçons dans notre secteur en tant que professionnels de métiers d’art. Forts de cette énergie, faisons de 2020 une année de mobilisation pour les métiers d’art !

Nos Assises qui se sont déroulées en juin dernier à Perpignan ont démontré la force collective de notre communauté si chacun d’entre nous s’engage au plus près de son atelier pour défendre de façon unie la juste place des professionnels de métiers d’art.

Les échanges lors de ces Assises témoignent que le climat de la société morose, même s’il est perceptible par tous, n’a pas eu d’emprise sur la confiance et l’espoir que nous plaçons dans notre secteur en tant que professionnels de métiers d’art.

Forts de cette énergie, faisons de 2020 une année de mobilisation pour les métiers d’art !

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Ce qui est frappant quand on se promène dans<br />

les allées de la Biennale, c’est la présence <strong>des</strong><br />

matières. L'engagement est un engagement<br />

dans la matière, qui devient matériau.<br />

Il y a eu mille analyses sur le sujet. Vous avez<br />

peut-être lu quelques-uns <strong>des</strong> livres les plus intéressants<br />

récemment sur la question, notamment<br />

celui d'un Américain, Matthew Crawford, appelé<br />

Shop Class as Soulcraft, qui a été traduit bizarrement<br />

en français par un titre un peu clinquant,<br />

mais plutôt pas mal : Éloge du carburateur.<br />

C’est un philosophe qui est aussi mécanicien de<br />

motos, ce qui est rassurant.<br />

Dans son livre, il dit quelque chose que je trouve<br />

extrêmement simple et pertinent. Quand on a<br />

affaire à de la matière, on doit se plier aux exigences<br />

d'objets qui ont leur propre façon d'être,<br />

non négociable. Il cite un passage magnifique<br />

d’une philosophe britannique, Iris Murdoch :<br />

« C'est comme quand j'apprends le russe, une<br />

langue étrangère ». Si je fais l’apprentissage du<br />

russe, je vois que cette langue a une structure qui<br />

commande le respect. Je ne peux la changer.<br />

En revanche, je peux parler avec une langue.<br />

Nous sommes libres à l'intérieur d'une structure.<br />

Nous évoluons dans cette structure. Quand je<br />

fais l'apprentissage et que je joue avec cette<br />

structure, elle est non négociable, sinon ce n'est<br />

plus du russe.<br />

De la même façon, on peut dire que ce qui est<br />

frappant dans votre travail avec la matière,<br />

c'est quelque chose comme une intimité avec<br />

la matière, qui révèle <strong>des</strong> potentialités de la<br />

matière, mais apparemment, sans la forcer. Il<br />

semble qu’il y a une structure non négociable<br />

dans chacune <strong>des</strong> matières. On ne peut pas la<br />

changer. On ne peut pas dire que le fil de fer<br />

devient subitement du feutre.<br />

En revanche, une chose est incroyablement<br />

frappante pour un observateur totalement naïf<br />

et extérieur comme moi : on a l'impression que,<br />

subitement, les potentialités qui sont dans la<br />

matière sont révélées par un très long engagement<br />

dans l’intimité de la matière.<br />

Ce que je vais faire est abominable et injuste :<br />

je vais citer. En préparant cette conférence, j’ai<br />

compulsé le catalogue de la Biennale. Tout<br />

m’a frappé. J’en donne quelques exemples : le<br />

bureau Wave de l'ébéniste Pierre Renart, que<br />

j'ai trouvé absolument incroyable ; les bijoux en<br />

feutre Night and Day d'Evelyne Alice Bridier ; les<br />

gran<strong>des</strong> prairies en ardoise de Sabine Fillit ; les<br />

coffrets et les boîtes à cigares de Walter Bellini<br />

en ébène du Gabon.<br />

Il y a toutes ces matières : ébène, ardoise, feutre.<br />

Je n'avais jamais imaginé que le feutre puisse<br />

devenir un bijou. Je n'avais jamais imaginé que,<br />

dans un coffret, le mystère ne soit pas à l'intérieur.<br />

Quand on a un coffret, on se dit toujours que<br />

ce qui est mystérieux est dedans. En voyant le<br />

coffret, je me suis dit que ce qui était mystérieux<br />

n’était pas dedans, mais le coffret lui-même.<br />

Comment cela a-t-il pu arriver ? Cela m'a énormément<br />

frappé.<br />

À mon avis, l'engagement est là. Vous êtes tous<br />

engagés dans <strong>des</strong> matières. C’est parfois une<br />

seule et parfois plusieurs, mais c'est une caractéristique<br />

absolument profonde.<br />

La deuxième caractéristique, c'est l'engagement<br />

dans le corps. C'est un peu banal parce que,<br />

bien sûr, vous travaillez avec votre esprit. C’est<br />

toujours un corps-esprit.<br />

Vous n'avez évidemment pas affaire avec la<br />

matière en général, la matière abstraite qui<br />

n’existe pas. C'est une matière de physicien.<br />

Vous avez affaire à quelque chose de lourd, de<br />

pesant, de rugueux, de lisse, de froid, de chaud.<br />

Vous avez affaire à quelque chose qui se touche<br />

avec la main.<br />

Un livre magnifique d'un sociologue, Richard<br />

Sennett, traduit récemment sous le titre Ce que<br />

sait la main, est consacré au savoir de la main. Il<br />

cite, par exemple, les propos d'une jeune femme<br />

qui fait l'apprentissage du métier de souffleur de<br />

verre. Il montre que c'est un très long apprentissage<br />

<strong>des</strong> gestes du corps, la façon dont le corps<br />

finit par se mettre en contact avec cette matière<br />

et par faire en sorte que ce qui pourrait être une<br />

sorte de poche visqueuse et informe de verre, qui<br />

pourrait retomber en rien du tout, par <strong>des</strong> gestes,<br />

d'un seul coup, prend forme.<br />

Il y a aussi le livre qui m'a été conseillé par<br />

Philippe Loiseau et que j’ai lu avec passion. Il<br />

a été publié récemment. C’est un livre d’Arthur<br />

Lochmann, appelé La vie solide – La charpente<br />

comme éthique du faire, consacré à la charpente.<br />

Il y a <strong>des</strong> passages magnifiques,<br />

notamment un très long passage sur la façon<br />

d’apprendre à utiliser une scie. Lochmann dit que<br />

travailler avec une scie est un geste qui implique<br />

une multitude de parties du corps. C'est long<br />

à apprendre. Cela ne se fait pas en quelques<br />

minutes. Tout le corps travaille la matière.<br />

Matthew Crawford, toujours le même, mais dans<br />

un livre plus récent qui s'appelle Contact, prend<br />

aussi l'exemple <strong>des</strong> souffleurs de verre. Il parle<br />

cette fois de l'aspect communicationnel. Dans le<br />

fond, le corps n'est pas uniquement ce qui met en<br />

contact avec la matière, mais ce qui me permet<br />

de communiquer. Pourquoi ? Il explique dans<br />

un long passage que, dans l'atelier de verrerie<br />

– que certains d’entre vous connaissent bien<br />

mieux que moi, car je n'ai jamais mis les pieds<br />

dans un atelier de verrerie, mais j'ai lu le livre –,<br />

cela va trop vite pour communiquer de façon<br />

verbale. Il faut communiquer par gestes, par<br />

le corps, car on n'a pas le temps de parler. La<br />

matière va trop vite, le geste va trop vite. Cela<br />

passe par le corps.<br />

Évidemment, la transmission est au cœur <strong>des</strong><br />

<strong>métiers</strong> <strong>d'art</strong>.<br />

La transmission, disent-ils tous, n'est pas l'explication.<br />

C'est la monstration : je montre le geste.<br />

Je transmets en montrant par le corps, beaucoup<br />

plus qu'en écrivant un traité pour expliquer comment,<br />

en 19 étapes, je souffle du verre ou je fais<br />

telle ou telle chose. C'est un engagement dans<br />

le corps.<br />

Ensuite, c'est un engagement dans une tradition.<br />

C'est extrêmement frappant : vous êtes tous inscrits<br />

dans <strong>des</strong> matières qui sont travaillées, pour<br />

certaines, depuis la nuit <strong>des</strong> temps ou <strong>des</strong> siècles,<br />

avec <strong>des</strong> façons de faire qui sont inscrites dans<br />

les traditions.<br />

La tradition a souvent mauvaise presse, ce qui est<br />

dommage. Il faut comprendre ce que veut dire<br />

vraiment une tradition. Elle repose sur trois éléments<br />

qui la caractérisent principalement.<br />

La première chose est qu’on a l'idée globale<br />

d'une vérité qui doit être transmise. Cette idée<br />

est qu’on s'oppose à l'ignorance, à l'oubli, à<br />

l'erreur. Des choses ont été découvertes avant<br />

nous, par <strong>des</strong> anciens. Il ne faut pas l'oublier. Il<br />

faut le transmettre, sinon ce serait de l'oubli, de<br />

l'ignorance, de l'erreur.<br />

La deuxième caractéristique est que cette<br />

vérité doit être transmise consciemment,<br />

volontairement. En d’autres termes, un comportement<br />

routinier, machinal n'est pas une tradition.<br />

Une tradition est vécue consciemment,<br />

volontairement.<br />

La troisième caractéristique est peut-être pour<br />

moi la plus importante : la tradition n'est pas forcément<br />

la reproduction à l’identique, le maintien<br />

opiniâtre du passé. C'est le propre du traditionalisme<br />

et pas de la tradition. La tradition est<br />

quelque chose qui, au contraire, rend possible<br />

la re-création.<br />

Cette tradition est une valeur. Dans ma spécialité<br />

qui est plutôt l'éthique et la philosophie<br />

48 <strong>Assises</strong> <strong>des</strong> <strong>métiers</strong> d’art – 28 et 29 juin <strong>2019</strong>, Palais <strong>des</strong> Congrès de Perpignan

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