Recueil des Assises des métiers d'art 2019

Mme Christine BROWAEYS
— J’ai un parti-pris par rapport au textile. Pour
moi, c’est une matière très « émotionnelle », très
multi-sensorielle qui, étant donné sa proximité
avec le corps humain, permet de capter des
émotions.
Je peux vous présenter cette image d'un vêtement
fait par Jenny Tillotson, une artiste designer
textile qui est aussi experte dans le domaine
des neurosciences. Elle travaille beaucoup sur
la captation de l'émotion de la personne et, en
lien avec les émotions, sur le fait de développer
des sensations de nature olfactive. Au fur et à
mesure que les émotions changent, les parfums
seront différents. Cela peut être des sensations
lumineuses. On va vraiment travailler sur les ressentis,
les sensations du corps, sur ce qui va être
transmis de façon interactive aux personnes de
l’entourage. C'est un peu particulier, car ce qui
relève de l'émotion est quelque chose d'intime.
Il y a beaucoup de recherches dans le domaine
de l'intelligence artificielle. Les neurosciences
travaillent de pair avec l’intelligence artificielle.
Ce n'est pas nouveau. J’en ai fait quand je travaillais
dans le médical, au début de ma carrière
à Montpellier, pour essayer de travailler les
images. À cette époque, les moyens de calcul
faisaient défaut. Aujourd’hui, ils existent.
Inès Mesmar
Cela a ses limites. Ce n’est pas ce qui va remplacer
la transmission maître-apprenti, car derrière,
il y a une histoire. L’apprentissage n'est jamais
une reproduction à l'identique. Il y a une assimilation,
une refondation par la personne qui
récupère les acquis.
Pour moi, l'apprentissage, c'est l’histoire d’un
individu qui essaie de prendre la suite d’une
histoire. Il essaie de reprendre les gestes d'un
maître d'apprentissage, mais il ne fera jamais la
même chose, et heureusement ! C’est un individu
différent qui a une sensation de matière, une
imagination matérielle, comme disait Bachelard.
Il a une histoire par rapport à la matière, qui va
être la sienne.
Les recherches en robotique permettent de travailler,
de rabâcher, de répéter un geste pour
essayer de l'acquérir, mais ce n'est pas ce qui
va faire la transmission de l'histoire de ce geste.
M. Philippe LOISEAU
— Cette fois aussi, la réponse est partielle et
très limitée. Le champ possible du digital dans
ce domaine ne remplace jamais la transmission
physique ni la pédagogie.
Mme Christine BROWAEYS
— Il y a aussi une dimension dont je n’ai pas
parlé : la dimension éthique. Le geste est quelque
chose de personnel. Capter un geste avec du
digital pour le mémoriser et le transmettre, pour
moi, est presque un vol d'identité. C'est quelque
chose qui me gêne beaucoup. C'est un bon sujet
de discussion.
M. Philippe LOISEAU
— Enfin, vous travaillez sur de nouveaux matériaux
textiles. Par curiosité, pouvez-vous nous
donner des illustrations de nouveaux matériaux
textiles sur lesquels vous travaillez ou que vous
promouvez ?
Il faut à tout prix qu'on ait la maîtrise de l'humain,
avec toutes ces nouvelles technologies. Ce qui
me fait un peu peur aujourd'hui, c'est la perte
d'identité, le défaut de sensation et, peutêtre plus
chez les jeunes, le fait de ne pas savoir déterminer
ce qui relève de la sphère individuelle, de
la sphère propre, quelque chose qui concerne
le moi.
Nous avons précédemment parlé de la société
de consommation, etc. En fin de compte, il y a
une perte de la différenciation entre quelque
chose qui nous construit, qui nous identifie, qui
est notre histoire d’individu, et ce qui relève
d'une sphère beaucoup plus large. Avec tous
ces moyens, le danger est que cette frontière
s'émousse un peu trop.
M. Philippe LOISEAU
— Je vous remercie.
Nous passons à une tout autre perspective et à
une tout autre frontière. Je m'adresse à Inès Mesmar,
fondatrice de la Fabrique Nomade.
(Applaudissements.)
38 Assises des métiers d’art – 28 et 29 juin 2019, Palais des Congrès de Perpignan