Recueil des Assises des métiers d'art 2019

construit des modèles d’accompagnement vers
différentes orientations de la créativité.
La créativité peut s'inscrire dans la technique,
dans l’expression, dans la conception. Les formations
ont été développées dans ce sens.
Pour des personnes qui souhaiteraient intégrer
les entreprises au premier niveau, la formation
est très courte, sur neuf mois.
Pour les personnes qui veulent créer leur entreprise,
avec les adultes qui, par ailleurs, ont des
acquis généraux et de maturité, la formation est
proposée en deux ans.
M. Philippe LOISEAU
— Deviennent-ils tous des bijoutiers, des joailliers
? Sans parler de succès, quel est le destin
des professionnels qui viennent à l'AFEDAP ?
M. Franck MASSÉ
— Nous avons mené, il y a une dizaine d'années,
une étude pour savoir quels avaient été
les résultats de ces formations. Plus de 80 % des
personnes se sont inscrites dans les métiers d'art.
À peu près 50 % des personnes créent leur entreprise,
parmi les adultes, et 50 % intègrent des
entreprises existantes.
M. Philippe LOISEAU
— Nous aurons l'occasion de revenir, y compris
à travers les questions qui pourront vous être
posées, sur cette expérience extrêmement originale
et intéressante d’école de formation à la
bijouterie-joaillerie. L’AFEDAP est une initiative
de professionnels et c’est un atelier dans l'école.
C'est un angle extrêmement intéressant.
INTERVENTION DE
JESUS ANGEL PRIETO
Enseignant à la Massana,
école barcelonaise d’art et de design
M. Philippe LOISEAU
— Je m'adresse à un autre enseignant qui est
dans un autre univers : la Massana. Vous pourrez
présenter en quelques mots ce qu’est la Massana
à Barcelone.
J'ai une question, mais je ne sais pas si vous
pourrez y répondre. Quelle place occupent les
artisans d'art en Catalogne et plus largement,
en Espagne ? Nous avons parlé de la représentation
dans certains pays. L'Espagne est à
30 kilomètres. En deux mots, quelle observation
avez-vous de l'artisanat d'art en Espagne ?
M. Jesus Angel PRIETO
— Pardonnez-moi mon français. J'espère ne
pas détruire votre langue. Pour un Catalan,
le français est parfois un peu difficile. Vous
me corrigerez.
Je vous remercie de m’avoir invité.
L'école Massana est une école de la municipalité
et de l’État catalan. Elle a été créée en
1929 par un philanthrope qui voulait donner
une formation artistique de métier à des jeunes
ouvrières de l'industrie.
L'école, qui est très ancienne, a été créée comme
école de design textile. Après, elle a continué
comme école des beaux-arts.
Avec d’autres personnes, ce philanthrope a eu
cette idée de créer une école dédiée à cette
formation. Notre école a trois lignes : arts visuels,
arts appliqués et design.
Pour répondre à la seconde question, en
Espagne en général, cela fait seulement cinq
ans qu'on parle de cela.
L'artisanat a été touché par le franquisme. Franco
a fait de l’artisanat une réponse contre le communisme
et le capitalisme. C’est curieux. Quelquefois,
les dictateurs sont très créatifs !
(Rires.)
Le pays n'avait pas une forte industrie. L'artisanat,
c’était l’industrie espagnole. Il y avait des
formations aux métiers domestiques pour les
femmes. On faisait beaucoup de choses dans
ce domaine, mais on a laissé tomber.
Que s’est-il passé ? Quand sont arrivées les
années 60 à Barcelone, l'idée était que la
modernité, c'était le design. L'artisanat était
quelque chose de très ancien et très lié à l’idéologie
franquiste. Cela a beaucoup marqué notre
relation avec l'artisanat.
Dans cette idée de design comme nouvelle
esthétique moderne, comme modernisation de
l’industrie faite par un beau design, avec le fonctionnalisme,
nous avons été très influencés par
le Bauhaus et par le multiforme. En fait, le design
catalan, c’est très allemand, mais je n’en parlerai
pas ici, parce qu’alors là !... C'est notre bagarre
au sujet de l'identité.
L'identité artisanale est plus intéressante, mais
le point de vue du design est que l'artisanat est
une chose ancienne. Notre musée de l'artisanat
catalan est dans le Musée ethnologique
de Barcelone, à côté des objets de coiffure…
Mais nous sommes très fiers de notre Musée du
Design ! C'est comme cela.
À la fin des années 60, la contreculture s’est tournée
vers l'artisanat, juste par réaction politique
contre la consommation et l’industrie. Cela a
généré une situation très intéressante. À ce
moment-là, il y avait encore cette idée folklorique
de l'artisanat classique. L'artisanat, qui était
une contre-culture, est presque tombé parce
qu’à la fin, c’était devenu un artisanat de foire
pour les villages, avec très peu de qualité, etc.
Il y a eu ensuite une bonne ligne : le design est
sorti des écoles d'art, avec de nouvelles formations
qui ont mélangé la volonté d'être un art et la
volonté de rester sage avec le design. Pour finir,
il y a eu les makers, etc.
M. Philippe LOISEAU
— Je vous remercie pour cette présentation de
la place de l'artisanat d'art en Espagne.
Quel est le projet pédagogique de votre école
et surtout, quels professionnels cherchez-vous
à former ? En pariant sur quelles compétences,
quels savoirs, quelles qualités personnelles ?
Quels professionnels formez-vous ? À quoi les
formez-vous ? Qu’avez-vous envie qu'ils partagent,
voire qu'ils défendent ou qu'ils incarnent ?
M. Jesus Angel PRIETO
— C'est compliqué parce que c'est une formation
pour le futur. Il faut toujours avoir une idée de
prospective. Quelques écoles sont dans l'idée
de suivre la ligne du marché et de la société.
D’autres écoles essaient d’avoir un style plus
ouvert, mais c’est un risque.
Dans notre école, c'est très clair, il y a trois lignes :
les arts visuels, le design et les arts appliqués.
Le design, c'est la culture du projet.
Les arts visuels, c'est la culture de l’investigation,
au sens très ouvert. C’est la recherche
des artistes.
Les arts appliqués sont le processus.
Dans la partie qui est celle qui nous intéresse le
plus, nous sommes très concernés par le fait de
ne pas perdre la centralité de l’atelier, c’est-àdire
de faire avec les mains. Mais c’est un vrai
problème, car chez nous, le système n’est pas
34 Assises des métiers d’art – 28 et 29 juin 2019, Palais des Congrès de Perpignan