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Ambiance<br />
metal pour<br />
Youv Dee, le<br />
fan d’Iron<br />
Maiden.<br />
Le flow du rap a connu nombre de<br />
mutations, et peut paraître plus facile<br />
aujourd’hui, moins complexe pour<br />
une oreille peu experte. Est-ce qu’il<br />
reste intéressant pour les vôtres ?<br />
Le flow du rap aujourd’hui est toujours<br />
très travaillé. J’ai interviewé le rappeur<br />
Isha, qui a 33 ans et qui rappe depuis<br />
longtemps. Je lui demandais s’il était<br />
plus dur de faire des morceaux très actuels<br />
de trap ou de boom bap à l’ancienne.<br />
Il m’a répondu : « Des morceaux<br />
de trap. Parce que des morceaux de<br />
boom bap, rapper 8 minutes en faisant<br />
des rimes, je sais le faire. Mais la trap,<br />
c’est faire de l’économie de mots, placer<br />
les bons mots aux bons endroits, trouver<br />
une autre manière de rimer, de faire<br />
des punchlines, de trouver des refrains. »<br />
Comme l’explique Isha, le rap aujourd’hui<br />
n’est pas moins travaillé, c’est une autre<br />
manière de travailler et d’écrire. Un<br />
rappeur qui va rimer 12 minutes sans<br />
refrain, ça peut sembler plus impressionnant<br />
qu’un morceau de 2 minutes où il<br />
y a moins de mots, mais ça ne l’est pas<br />
forcément. Quand comme moi tu as<br />
bouffé énormément de rap « traditionnel<br />
», tu as envie d’être surpris, de voir<br />
de nouvelles choses, de voir jusqu’où le<br />
rap peut aller.<br />
Le rap dans ses sonorités les plus<br />
innovantes est-il déjà présent sans que<br />
nous en soyons encore conscients ?<br />
On dira peut-être aujourd’hui d’un<br />
son que ce n’est pas du rap alors qu’il<br />
deviendra un standard d’ici quelques<br />
années, voire décennies ?<br />
Exactement. Si on cryogénisait un<br />
auditeur de 1995 et qu’on le réveillait<br />
en 2015 pour lui faire écouter le groupe<br />
PNL, à aucun moment il ne se dira que<br />
c’est du rap. Mais pour celui qui a écouté<br />
du rap depuis 1995, l’évolution est beaucoup<br />
plus logique, car il a vu par quoi<br />
le rap est passé. De même, si l’on fait<br />
écouter du rap des années 90 à des fans<br />
de PNL ou de rap actuel en leur disant<br />
« Écoute ! Écoute comment le mec rappe,<br />
il est bon ! », ils vont trouver ça profondément<br />
chiant, alors que c’est bien du rap<br />
et que ces gens sont des fans de rap.<br />
On entend souvent dire que le rap en<br />
France est la musique numéro un, la<br />
plus écoutée… Est-ce une réalité ?<br />
Ce sont des notions qu’il faut relativiser.<br />
Quand on regarde le top des streamings,<br />
il n’y a que des rappeurs, c’est une réalité.<br />
Si Gambi ou Heuss L’Enfoiré font plus<br />
de streams que Patrick Bruel, est-ce que<br />
cela veut dire qu’ils sont plus connus en<br />
France que Patrick Bruel ? Je ne pense<br />
pas. Si Patrick Bruel et Heuss L’Enfoiré<br />
sortent un album demain, Heuss L’Enfoiré<br />
fera de meilleurs chiffres en streaming<br />
que Patrick Bruel, mais il va vendre peutêtre<br />
cinq mille CD là où Patrick Bruel va<br />
en vendre quatre-vingt dix mille. Ce sont<br />
deux canaux très différents. Le streaming<br />
est en grande majorité utilisé par des<br />
jeunes, qui en grande majorité écoutent<br />
du rap, donc, forcément, le streaming est<br />
devenu le terrain de jeu des rappeurs. Là<br />
où dans les supermarchés et hypermarchés,<br />
c’est la variété qui vend des palettes<br />
de CD quand il y a de grosses sorties.<br />
Le succès du rap, au-delà des rappeurs<br />
eux-mêmes, est également très lié au<br />
travail des producteurs, qui créent les<br />
instrumentaux du rap. Par le passé, ils<br />
n’étaient pas forcément mis en avant,<br />
mais il semble qu’aujourd’hui, ils sont<br />
beaucoup plus identifiés...<br />
Il y a toujours eu des producteurs dans le<br />
rap, mais ils sont en effet beaucoup plus<br />
mis en avant. La preuve de cette évolution<br />
est l’avalanche d’albums réalisés par<br />
des producteurs, qui invitent des artistes<br />
et sortent un album. On peut citer les<br />
projets de Myth Syzer, Ikaz Boi, DJ Weedim<br />
ou Ghost Killer Track… Cela prouve<br />
un intérêt du public et du milieu pour ce<br />
genre de projets centrés autour de producteurs.<br />
Ils sont davantage respectés et<br />
identifiés, c’est une vraie nouveauté dans<br />
le rap français. Même les topliners sont<br />
identifiés aujourd’hui...<br />
« Quand je vois les artistes en<br />
promo ou lors de nos émissions,<br />
ils sont à l’heure, très respectueux,<br />
entourés d’attachés de<br />
presse. C’est une industrie,<br />
ils viennent au travail. »<br />
Dans le « gamos » du<br />
duo de rappeurs DTF.<br />
C’est quoi, un topliner ?<br />
Ce sont des gens qui, en studio, trouvent<br />
des mélodies pour des morceaux. C’est<br />
quelque chose qui était peu évoqué par<br />
le passé, car ça pouvait impliquer que le<br />
rappeur ne faisait pas tout lui-même,<br />
mais maintenant on sait que ça existe,<br />
notamment sur de gros albums, comme<br />
ceux de Booba. A partir du moment où<br />
Booba a tombé le masque et reconnu<br />
qu’il ne faisait pas tout lui-même, ça a<br />
décomplexé pas mal de gens. Les métiers<br />
de l’ombre sont plus identifiés que par le<br />
passé, et c’est un signe que cette musique<br />
se porte bien. Cela permet aussi de dire<br />
aux jeunes que dans l’industrie du rap,<br />
on peut être autre chose qu’un rappeur.<br />
Le rap assume des choses qu’il n’aurait<br />
pas forcément assumées par le passé ?<br />
Clairement. À partir du moment où le<br />
très puissant rappeur américain Young<br />
Thug s’affiche en robe sur la pochette de<br />
l’un de ses albums, tout en étant super<br />
gangster dans ses textes, les gens ont<br />
74 THE RED BULLETIN