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The Red Bulletin Avril 2020 (FR)

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Ambiance<br />

metal pour<br />

Youv Dee, le<br />

fan d’Iron<br />

Maiden.<br />

Le flow du rap a connu nombre de<br />

mutations, et peut paraître plus facile<br />

aujourd’hui, moins complexe pour<br />

une oreille peu experte. Est-ce qu’il<br />

reste intéressant pour les vôtres ?<br />

Le flow du rap aujourd’hui est toujours<br />

très travaillé. J’ai interviewé le rappeur<br />

Isha, qui a 33 ans et qui rappe depuis<br />

longtemps. Je lui demandais s’il était<br />

plus dur de faire des morceaux très actuels<br />

de trap ou de boom bap à l’ancienne.<br />

Il m’a répondu : « Des morceaux<br />

de trap. Parce que des morceaux de<br />

boom bap, rapper 8 minutes en faisant<br />

des rimes, je sais le faire. Mais la trap,<br />

c’est faire de l’économie de mots, placer<br />

les bons mots aux bons endroits, trouver<br />

une autre manière de rimer, de faire<br />

des punchlines, de trouver des refrains. »<br />

Comme l’explique Isha, le rap aujourd’hui<br />

n’est pas moins travaillé, c’est une autre<br />

manière de travailler et d’écrire. Un<br />

rappeur qui va rimer 12 minutes sans<br />

refrain, ça peut sembler plus impressionnant<br />

qu’un morceau de 2 minutes où il<br />

y a moins de mots, mais ça ne l’est pas<br />

forcément. Quand comme moi tu as<br />

bouffé énormément de rap « traditionnel<br />

», tu as envie d’être surpris, de voir<br />

de nouvelles choses, de voir jusqu’où le<br />

rap peut aller.<br />

Le rap dans ses sonorités les plus<br />

innovantes est-il déjà présent sans que<br />

nous en soyons encore conscients ?<br />

On dira peut-être aujourd’hui d’un<br />

son que ce n’est pas du rap alors qu’il<br />

deviendra un standard d’ici quelques<br />

années, voire décennies ?<br />

Exactement. Si on cryogénisait un<br />

auditeur de 1995 et qu’on le réveillait<br />

en 2015 pour lui faire écouter le groupe<br />

PNL, à aucun moment il ne se dira que<br />

c’est du rap. Mais pour celui qui a écouté<br />

du rap depuis 1995, l’évolution est beaucoup<br />

plus logique, car il a vu par quoi<br />

le rap est passé. De même, si l’on fait<br />

écouter du rap des années 90 à des fans<br />

de PNL ou de rap actuel en leur disant<br />

« Écoute ! Écoute comment le mec rappe,<br />

il est bon ! », ils vont trouver ça profondément<br />

chiant, alors que c’est bien du rap<br />

et que ces gens sont des fans de rap.<br />

On entend souvent dire que le rap en<br />

France est la musique numéro un, la<br />

plus écoutée… Est-ce une réalité ?<br />

Ce sont des notions qu’il faut relativiser.<br />

Quand on regarde le top des streamings,<br />

il n’y a que des rappeurs, c’est une réalité.<br />

Si Gambi ou Heuss L’Enfoiré font plus<br />

de streams que Patrick Bruel, est-ce que<br />

cela veut dire qu’ils sont plus connus en<br />

France que Patrick Bruel ? Je ne pense<br />

pas. Si Patrick Bruel et Heuss L’Enfoiré<br />

sortent un album demain, Heuss L’Enfoiré<br />

fera de meilleurs chiffres en streaming<br />

que Patrick Bruel, mais il va vendre peutêtre<br />

cinq mille CD là où Patrick Bruel va<br />

en vendre quatre-vingt dix mille. Ce sont<br />

deux canaux très différents. Le streaming<br />

est en grande majorité utilisé par des<br />

jeunes, qui en grande majorité écoutent<br />

du rap, donc, forcément, le streaming est<br />

devenu le terrain de jeu des rappeurs. Là<br />

où dans les supermarchés et hypermarchés,<br />

c’est la variété qui vend des palettes<br />

de CD quand il y a de grosses sorties.<br />

Le succès du rap, au-delà des rappeurs<br />

eux-mêmes, est également très lié au<br />

travail des producteurs, qui créent les<br />

instrumentaux du rap. Par le passé, ils<br />

n’étaient pas forcément mis en avant,<br />

mais il semble qu’aujourd’hui, ils sont<br />

beaucoup plus identifiés...<br />

Il y a toujours eu des producteurs dans le<br />

rap, mais ils sont en effet beaucoup plus<br />

mis en avant. La preuve de cette évolution<br />

est l’avalanche d’albums réalisés par<br />

des producteurs, qui invitent des artistes<br />

et sortent un album. On peut citer les<br />

projets de Myth Syzer, Ikaz Boi, DJ Weedim<br />

ou Ghost Killer Track… Cela prouve<br />

un intérêt du public et du milieu pour ce<br />

genre de projets centrés autour de producteurs.<br />

Ils sont davantage respectés et<br />

identifiés, c’est une vraie nouveauté dans<br />

le rap français. Même les topliners sont<br />

identifiés aujourd’hui...<br />

« Quand je vois les artistes en<br />

promo ou lors de nos émissions,<br />

ils sont à l’heure, très respectueux,<br />

entourés d’attachés de<br />

presse. C’est une industrie,<br />

ils viennent au travail. »<br />

Dans le « gamos » du<br />

duo de rappeurs DTF.<br />

C’est quoi, un topliner ?<br />

Ce sont des gens qui, en studio, trouvent<br />

des mélodies pour des morceaux. C’est<br />

quelque chose qui était peu évoqué par<br />

le passé, car ça pouvait impliquer que le<br />

rappeur ne faisait pas tout lui-même,<br />

mais maintenant on sait que ça existe,<br />

notamment sur de gros albums, comme<br />

ceux de Booba. A partir du moment où<br />

Booba a tombé le masque et reconnu<br />

qu’il ne faisait pas tout lui-même, ça a<br />

décomplexé pas mal de gens. Les métiers<br />

de l’ombre sont plus identifiés que par le<br />

passé, et c’est un signe que cette musique<br />

se porte bien. Cela permet aussi de dire<br />

aux jeunes que dans l’industrie du rap,<br />

on peut être autre chose qu’un rappeur.<br />

Le rap assume des choses qu’il n’aurait<br />

pas forcément assumées par le passé ?<br />

Clairement. À partir du moment où le<br />

très puissant rappeur américain Young<br />

Thug s’affiche en robe sur la pochette de<br />

l’un de ses albums, tout en étant super<br />

gangster dans ses textes, les gens ont<br />

74 THE RED BULLETIN

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