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CHRONIQUEHEURE<br />
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LE PRIX DE L’HISTOIRE Après s’être momentanément interrompue, la<br />
course à la conquête d’une aura patrimoniale se poursuit au sein des marques qui ont à<br />
la fois des moyens et une histoire demeurée intacte, même partiellement. Une histoire<br />
dont il reste suffisamment d’éléments une fois la poussière poutzée, malgré les rachats et<br />
les reventes, malgré le syndrome de la table rase exercé presque maladivement par tout<br />
repreneur qui se respecte. Malgré aussi les errances de certains managers qui, notamment<br />
au sortir de la crise des années 1970, ont mené à la benne à ordures tant de trésors<br />
irremplaçables, sous prétexte qu’ils s’avéraient bien inutiles face aux nouveaux enjeux<br />
d’une horlogerie virant au quartz. S’ils avaient su! Dans le sillage du retour aux arts<br />
mécaniques, ce culte de l’histoire est devenu un enjeu sensible auprès des<br />
consommateurs. D’autant que, durant ces trente dernières années, les excellentes<br />
performances des ventes aux enchères horlogères, panachées de records et de démesure,<br />
ont fait office de facteur amplifiant. D’un seul coup, la récente crise a stoppé ces élans. A<br />
l’orée d’une esquisse de reprise, les affaires historiques reprennent. Le musée Omega<br />
rouvre, flambant refait, la Heritage Gallery de Jaeger-LeCoultre relance son programme<br />
d’expositions temporaires, mettant l’invention à l’honneur. Quant à la Piaget Time Gallery,<br />
elle est habitée par une tournante dédiée à son mythique modèle Polo, si cher à la famille<br />
Piaget et pourtant vigoureusement décrié par le repreneur juste après le rachat de la<br />
marque! Reste que ces initiatives, pilotées par les départements communication plus que<br />
par un attaché de la direction, sont porteuses de messages dirigés et partiaux. Et même<br />
si le métier d’historien est entré en horlogerie, après avoir été empiriquement exercé par<br />
des employés affublés du titre de «mémoire vivante de l’entreprise», il se peut que<br />
l’Histoire et ses vérités en souffrent. En effet, les intérêts divergent. D’un côté, la louange<br />
d’une enseigne se nourrissant de son propre prestige, gommant ses errances et ses<br />
passages à vide; de l’autre, l’univers des chercheurs indépendants, avides de découvertes<br />
désintéressées. Tel Joseph Florès, passionné d’histoire qui, après avoir consulté un<br />
manuscrit daté du 23 décembre 1878 de l’Académie royale des sciences de Paris, a<br />
démontré que le père de la première montre automatique était Dieudonné-Hubert Sarton<br />
(1748-1828), horloger liégeois, et non pas Abraham-Louis Perrelet (1729-1826), comme<br />
il est communément admis depuis que l’ont affirmé Alfred Chapuis et Eugène Jaquet<br />
dans leur ouvrage de 1952. Juste un exemple… A l’heure où le «H» majuscule de l’Histoire<br />
horlogère pourrait être consolidé, certains de ses garants y perçoivent non pas ses ouvrières<br />
origines, mais son versant alerte-au-luxe-dans-un-monde-en-crise. Ils ont tout faux:<br />
à Genève, ils viennent même de supprimer le Musée de l’horlogerie et de l’émaillerie,<br />
transformant en corpus de collections ce qui était, depuis 1969-1972, une filiale<br />
autonome du Musée d’art et d’histoire.<br />
Joël A. Grandjean<br />
Rédacteur en chef JSH – Journal Suisse d’Horlogerie<br />
«A l’orée<br />
d’une esquisse<br />
de reprise,<br />
les affaires<br />
historiques<br />
reprennent.»