Point de mire La fabrique du temps Quelle heure est-il? Depuis l’Antiquité, les astronomes ont répondu à cette question en déterminant le temps à partir des mouvements des corps célestes. Ce n’est que depuis une soixantaine d’années que les horloges atomiques mesurent le temps. Avec un écart de seulement une seconde tous les 30 millions d’années, elles sont extrêmement stables et précises. Prof. D r André Stefanov, Institut de physique appliquée, Université de Berne De l’astronomie à l’horloge atomique: les fabriques du temps autour du globe veillent à ce que nos montres soient toujours à l’heure. Photos: Wikimedia/ Primärfrequenznormal FoCS-2, Institut fédéral de métrologie METAS 18 1/22 vsao /<strong>asmac</strong> <strong>Journal</strong>
Point de mire De nos jours, remettre sa montre à l’heure n’est plus un geste très courant. Dans notre monde hyperconnecté, parmi les multiples informations qui circulent en permanence entre une myriade d’appareils, on peut trouver des informations de synchronisation de l’heure. Ainsi nos smartphones, les horloges radiosynchronisées ou même des appareils ménagers indiquent toujours l’heure exacte. Mais nous ne sommes pas forcément conscients des efforts scientifiques et techniques déployés pour définir, réaliser et distribuer le temps. Un temps universel L’époque où chaque village avait son heure affichée par l’horloge du clocher est révolue depuis longtemps. Il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une seule heure, techniquement appelée échelle de temps, au niveau mondial. Celle-ci est le temps universel coordonné, UTC en abrégé. Localement, les différents fuseaux horaires sont définis en ajoutant ou soustrayant un nombre bien défini d’heures à UTC. Ainsi, l’heure en Suisse, selon le fuseau horaire d’Europe centrale, est UTC+1 en hiver et UTC+2 en été. Afin de définir UTC, il est nécessaire d’avoir une horloge de référence unique et commune, en principe la meilleure qui nous soit accessible. Une horloge est constituée de manière générale par un processus physique périodique, qui se répète de manière régulière, et par un dispositif comptant ces répétitions. Jusqu’aux années 1950, les phénomènes physiques les plus stables dans le temps étaient les mouvements des corps célestes. C’est ainsi que depuis l’Antiquité, les astronomes avaient la charge de déterminer le temps. La rotation de la Terre qui définit les jours en est l’exemple le plus simple. Mais la vitesse de rotation de la Terre fluctue légèrement de manière aléatoire et des observations toujours plus poussées de la mécanique céleste devinrent nécessaires. Les atomes remplacent l’astronomie Après la Deuxième Guerre mondiale, les progrès considérables tant scientifiques dans la compréhension des processus atomiques, que technologiques dans le domaine de la génération et la détection d’ondes électromagnétiques (développements poussés par les technologies militaires pour les radars) ont permis la réalisation d’horloges atomiques. Dans une horloge ordinaire, les oscillations sont générées de manière mécanique (par un pendule ou un ressort) ou électrique (par un oscillateur à quartz). Ces oscillations sont sensibles aux détails exacts de la construction ainsi qu’aux conditions extérieures, comme la température ou la pression atmosphérique. Ainsi chaque horloge individuelle possède une fréquence propre qui diffère des autres. Une horloge atomique utilise quant à elle les oscillations intrinsèques d’atomes, par exemple des atomes de césium. Chaque type d’atomes peut absorber et émettre des radiations électromagnétiques de fréquences bien définies. Comme les propriétés des atomes sont les mêmes partout dans l’univers et en tout temps, en principe toute horloge utilisant le même type d’atomes va être sensible à la même fréquence, quels que soient les détails de sa construction. Une condition cependant est de pouvoir mesurer de manière précise les propriétés d’émission et d’absorption des ondes par des atomes. Dans l’idéal, un atome isolé et à l’arrêt interagit avec des micro-ondes et va absorber une fréquence unique. Dans le cas de l’atome de césium, cette fréquence a été choisie comme étant par définition 9 192 631 770 oscillations par seconde; c’est la définition officielle de la seconde depuis 1967. En effet, c’est à cette période que les performances des horloges atomiques ont surpassé les observations astronomiques pour définir le temps. En pratique, les horloges atomiques ne sont pas parfaites et des déviations peuvent apparaître, étant donné que les atomes ne sont pas parfaitement immobiles. De nos jours, les meilleures horloges atomiques dévieraient par rapport à une horloge parfaite de seulement une seconde tous les 30 millions d’années. C’est 1 million de fois mieux que le temps rapporté par des observations astronomiques. Il existe une douzaine de telles horloges à travers le monde, dénommées étalons primaires de fréquence. De nombreuses horloges atomiques commerciales avec des performances moindres sont également largement utilisées, en majorité pour synchroniser les réseaux de télécommunication. Fabriques du temps nationales Il existe une différence importante entre une échelle de temps astronomique et une échelle atomique. Dans le cas de la première, il y a une seule horloge perpétuelle, le mouvement de la Terre, alors qu’il est impossible de construire une horloge atomique qui ne s’arrête jamais. C’est pour cela que UTC n’est pas «fabriqué» par une seule horloge, mais est une moyenne d’environ 650 horloges atomiques commerciales réparties dans 80 institutions dans le monde. Les valeurs de ces horloges sont régulièrement comparées à l’aide de liaisons satellitaires. Une valeur moyenne est calculée et ensuite corrigée par les mesures réalisées sur les étalons primaires de fréquence dans des laboratoires de métrologie nationaux. Ainsi, UTC n’est pas réalisé par une horloge seule mais est le résultat des calculs réalisés par le Bureau international des poids et mesures (BIPM) à Paris et publiés mensuellement. Afin de pouvoir physiquement synchroniser des horloges en temps réel, des approximations de UTC sont réalisées dans les laboratoires nationaux de métrologie. Par exemple, le temps officiel suisse UTC(CH) est réalisé par l’Institut fédéral de métrologie METAS. Sa différence avec UTC est de l’ordre de quelques milliardièmes de secondes, soit suffisante pour toutes les applications. UTC(CH) est accessible au public par l’intermédiaire de services de calibration ou de serveurs Internet sur lesquels tout ordinateur peut venir se synchroniser. <strong>No</strong>us voyons donc que le simple fait d’automatiser la mise à l’heure de son téléphone ou son ordinateur est le résultat d’une chaîne de comparaison mettant en jeu des technologies de pointe. Des horloges ultraprécises dans des laboratoires servent ainsi de références pour synchroniser tous les systèmes informatiques, de télécommunication et de navigation satellitaire dont nous dépendons. vsao /<strong>asmac</strong> <strong>Journal</strong> 1/22 19