PSC 10-08 - FSP
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«Tout jugement crée un<br />
rapport de force.»<br />
37<br />
me donner plus de peine. Nos jugements<br />
forment une sorte de grille que<br />
nous calquons sur la réalité pour la<br />
rendre plus prévisible. C’est particulièrement<br />
frappant en ce qui concerne<br />
les jugements de valeur: qu’il est<br />
rassurant de croire pouvoir départager<br />
le bien du mal !<br />
Pensez-vous que l’on ne puisse pas départager<br />
le bien du mal ?<br />
Cette question est très délicate et les<br />
philosophes n’ont pas fini d’en débattre.<br />
Personnellement, je ne connais<br />
aucune définition de ces termes qui<br />
fassent l’unanimité. Et surtout, ce<br />
qui m’effraie, c’est que les personnes<br />
qui se targuent de savoir ce que sont<br />
le bien et le mal se placent systématiquement<br />
du bon côté de la barrière.<br />
Quand le président américain définit<br />
l’axe du mal, il pointe toujours<br />
d’autres pays que le sien. De plus, ces<br />
définitions subissent des détournements<br />
pour le moins préoccupants:<br />
qu’on songe aux très nombreuses armées<br />
de ce monde parties guerroyer<br />
et massacrer en invoquant la protection<br />
divine, parce qu’elles étaient persuadées<br />
de lutter pour la bonne<br />
cause (le tristement célèbre «Gott mit<br />
uns» des troupes de Hitler). Regardez<br />
ce que certaines personnes ont<br />
pu faire du message d’amour au centre<br />
du christianisme: l’Inquisition,<br />
l’évangélisation forcée, les guerres de<br />
religion, etc. A chaque fois que quelqu’un<br />
cherche à imposer sa définition<br />
du bien, la guerre ou en tout cas<br />
les conflits ne sont jamais très loin.<br />
Ça me fait encore froid dans le dos de<br />
penser que les individus qui étaient<br />
aux commandes des avions qui se<br />
sont écrasés dans les tours jumelles le<br />
11 septembre étaient intimement persuadés<br />
de faire le bien et de se préparer<br />
un paradis fort enviable…<br />
N’est-ce pas dangereux de relativiser ainsi<br />
les valeurs ? Si le bien et le mal ne sont<br />
plus des valeurs auxquelles se référer, tout<br />
ne devient-il pas permis ?<br />
Aucunement. Les lois sont faites pour<br />
se prémunir de ce danger. Nul besoin<br />
d’invoquer Dieu ou le Bien pour<br />
édicter des lois, dont le but final est<br />
de créer les conditions de vie les plus<br />
agréables pour tous, du moins en démocratie.<br />
Quant à la morale, on peut<br />
adopter la ligne minimale: ne pas<br />
nuire, ne pas occasionner de souffrances<br />
à autrui. C’est déjà tout un<br />
travail de s’y tenir…<br />
Mais mon livre n’a aucune finalité<br />
politique ou juridique. Je tente juste<br />
de démontrer que nos jugements<br />
sont des causes de souffrance, et qu’il<br />
nous est possible de les réduire.<br />
Quels sont les moyens que vous préconisez<br />
pour arrêter de juger ?<br />
A l’impossible nul n’est tenu ! Notre<br />
langage est fait de catégorisations et<br />
jugements de toutes sortes. Ne plus<br />
juger du tout relève à mes yeux d’une<br />
utopie. Essayons déjà de moins juger,<br />
en commençant par renoncer aux jugements<br />
de valeur, les plus nocifs<br />
dans la communication. Pour cela,<br />
nous pouvons essayer de décrire ce<br />
que nous percevons plutôt que de<br />
le qualifier: «Le soleil brille.» plutôt<br />
que: «Il fait beau.»; «Le salaire d’un<br />
enseignant est de 6’000.- fr.» plutôt<br />
que: «Les enseignants sont trop (ou<br />
pas assez) payés.». Et nous pouvons<br />
ajouter notre ressenti face à ces descriptions<br />
objectives qui paraissent<br />
parfois sèches: «Je suis fâché lorsque<br />
je vois tes habits à même le sol.»<br />
(et non: «Tu n’as pas rangé ta chambre.»);<br />
«Je suis effrayé lorsqu’un automobiliste<br />
me dépasse et qu’une autre<br />
voiture arrive en face.» (et non: «quel<br />
c… !»); «Je suis content de ce que<br />
vous avez accompli.» (et non: «Vous<br />
êtes très doué.»).<br />
Une autre façon de travailler le nonjugement<br />
est de relativiser ses propres<br />
convictions, par exemple en essayant<br />
de soutenir un avis contraire au sien,<br />
ou en développant son empathie,<br />
la faculté de se mettre à la place de<br />
quelqu’un d’autre. De façon générale,<br />
mieux nous comprenons les autres,<br />
moins nous les jugeons…<br />
Interview: Yves-Alexandre Thalmann<br />
et Vadim Frosio<br />
A lire: «Le non-jugement, de la théorie à<br />
la pratique», paru aux éditions Jouvence<br />
(20<strong>08</strong>).<br />
L’auteur propose une réflexion systématique<br />
sur notre propension à juger. Une première<br />
partie s’attache à expliquer ce qu’est<br />
le jugement, sur quoi il se base, comment<br />
il se construit, ainsi que ses effets (nocifs)<br />
sur les autres et sur soi-même. La deuxième<br />
partie propose des entraînements pratiques<br />
et concrets au non-jugement, allant<br />
de la relativisation des opinions au lâcherprise<br />
en passant par les outils de communication<br />
(type Communication Non Violente).<br />
Yves-Alexandre Thalmann est psychologue<br />
<strong>FSP</strong> et formateur d’adultes. Il est l’auteur<br />
d’une dizaine de livres, dont «Au diable la<br />
culpabilité» (Editions Jouvence, 2005).<br />
Site Internet: www.yathalmann.ch<br />
PANORAMA<br />
PSYCHOSCOPE <strong>10</strong>/20<strong>08</strong>