AGRICULTURES
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DOSSIER <strong>AGRICULTURES</strong><br />
s<br />
fondée sur les modèles de fonctionnement<br />
des écosystèmes, qui permettrait<br />
d’obtenir des rendements<br />
analogues à ceux obtenus par l’agriculture<br />
« conventionnelle », avec les<br />
avantages de l’agriculture biologique<br />
– sans engrais chimiques ni pesticides,<br />
mais avec recours à des variétés<br />
naturellement résistantes aux<br />
maladies, et élevage en plein air fondé<br />
sur une alimentation du cheptel d’origine<br />
locale. En outre, cette agriculture<br />
se fonde sur une diminution de<br />
la taille des parcelles et un accroissement<br />
de la biodiversité de l’espace<br />
rural, en pratiquant des assolements<br />
comptant un plus grand nombre<br />
d’espèces cultivées simultanément.<br />
Ce type d’agriculture imposerait des<br />
bouleversements socio-économiques,<br />
car il implique l’existence d’exploitations<br />
plus nombreuses et de plus<br />
faible taille que celles de l’agriculture<br />
« conventionnelle », une plus<br />
grande attention et une expertise<br />
supérieure dans le suivi des cultures<br />
ou des animaux d’élevage, donc un<br />
personnel plus nombreux et plus<br />
qualifié que celui que comptent de<br />
nos jours les exploitations agricoles.<br />
Cela mettrait aussi un terme à la<br />
« désertification » des campagnes et<br />
créerait de nombreux emplois en des<br />
temps où ils font tant défaut…<br />
Toutefois, le développement rapide<br />
d’une telle agriculture et son extension<br />
à l’ensemble du monde, bien<br />
qu’il soit garant d’une durabilité de<br />
la production agricole, ne permettra<br />
en aucun cas, dans le long terme,<br />
d’assurer la sécurité alimentaire mondiale<br />
si l’effectif total de l’humanité<br />
ne se stabilise pas rapidement au<br />
cours du présent siècle.<br />
*FRANÇOIS RAMADE est professeur<br />
émérite d’écologie à la faculté des sciences<br />
d’Orsay, université de Paris-Sud XI.<br />
À LIRE : François Ramade, Un monde sans<br />
famine? Vers une agriculture durable, Dunod,<br />
coll. « Université-Sciences », 2014, 332 p.<br />
ÉCRIVEZ-NOUS À<br />
progressistes@pcf.fr<br />
NOURRIR L’HUMANITÉ<br />
OU ACCEPTER L’ULTRALIBÉRALISME :<br />
L’HEURE DES CHOIX<br />
Depuis le début des années 2000, l’agriculture subit une nouvelle financiarisation<br />
: arrivée massive de capitaux extérieurs au monde agricole, développement<br />
des spéculations financières sur le prix des matières premières,<br />
accaparement à grande échelle de terres par des investisseurs privés…<br />
La finance mondialisée fait de l’agriculture et de l’alimentation des objets de<br />
profits, avec de graves retombées.<br />
Dans les pays<br />
pauvres ou<br />
émergents, les<br />
terrains agricoles<br />
sont accaparés<br />
par les grands<br />
groupes étrangers,<br />
chassant parfois<br />
avec violence les<br />
paysans locaux,<br />
avec la complicité<br />
de leur<br />
gouvernement.<br />
Les productions<br />
sont ensuite<br />
exportées,<br />
achevant la<br />
dépossession<br />
des populations<br />
locales.<br />
PAR AURÉLIE TROUVÉ*,<br />
L’ACCAPAREMENT DES TERRES<br />
Certes, dans l’histoire, les paysans<br />
ont souvent été privés de leurs terres.<br />
Soumis à la colonisation ou à la collectivisation,<br />
ils en ont été dépossédés<br />
dans de nombreux pays. Or la<br />
situation prend un nouveau tournant,<br />
avec un accaparement des<br />
terres à très grande échelle depuis<br />
quelques années. Il s’agit d’abord de<br />
fonds souverains appartenant à des<br />
pays qui ont des liquidités monétaires<br />
importantes, comme l’Arabie<br />
saoudite. Ces pays achètent des surfaces<br />
immenses hors de leurs frontières<br />
pour faire fructifier leur argent,<br />
ou encore pour sécuriser leur approvisionnement<br />
alimentaire, ou énergétique<br />
par la culture d’agrocarburants<br />
; il s’agit aussi de grands<br />
entrepreneurs et de fonds financiers<br />
profitant de la hausse des prix alimentaires<br />
et de la demande en agrocarburants<br />
pour investir dans les<br />
terres. Les rendements financiers,<br />
véritable objectif de cet accaparement<br />
des terres, peuvent alors facilement<br />
atteindre 10 à 20 % 1 .<br />
Olivier De Schutter, rapporteur des<br />
Nations unies pour le droit à l’alimentation,<br />
estime qu’en trois ans<br />
seulement (de 2006 à 2009) 15 à 20 millions<br />
d’hectares ont été accaparés<br />
de cette façon, soit l’équivalent de<br />
la surface agricole de la France. Les<br />
pays touchés sont avant tout pauvres<br />
ou émergents, en Afrique subsaharienne,<br />
mais aussi en Asie, en<br />
Amérique latine et en Europe de l’Est.<br />
Leurs gouvernements recherchent<br />
de l’argent frais, et se rendent ainsi<br />
complices de cette nouvelle occupation<br />
des terres.<br />
Que se passe-t-il quand les grands<br />
investisseurs mettent la main sur ces<br />
terres ? Pour maximiser les rendements<br />
financiers, il faut que les loyers,<br />
les impôts fonciers versés et la redistribution<br />
des gains vers l’État et la<br />
population locale soient les plus faibles<br />
possibles. Les habitants y gagnent<br />
donc peu. Et surtout cet accaparement<br />
est une lourde menace pour<br />
leur sécurité alimentaire : les productions<br />
sont essentiellement dirigées<br />
vers les exportations, et non<br />
vers les populations locales. Les paysans<br />
sont souvent chassés de leurs<br />
terres ancestrales, car ils ne disposent<br />
que de titres de propriété informels.<br />
Enfin, en cas de résistance, les<br />
nouveaux propriétaires ou les États<br />
n’hésitent pas à utiliser la violence<br />
physique.<br />
Les paysans chassés sont alors obligés<br />
de travailler dans ces méga -<br />
exploitations, dans des conditions<br />
en général très dures, sans droits<br />
sociaux et pour des salaires de misère.<br />
Quant à ceux qui réussissent à sauvegarder<br />
des lopins de terre, ils risquent<br />
de subir le détournement des<br />
eaux souterraines, leur pollution et<br />
Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2015