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AGRICULTURES

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LA RECHERCHE AGRONOMIQUE EST-ELLE EN MESURE<br />

DE RÉPONDRE AUX DÉFIS POSÉS À L’AGRICULTURE?<br />

Nourrir l’humanité tout en préservant l’environnement et la santé des travailleurs et des êtres humains : voilà un<br />

beau défi pour les chercheurs agronomes. Pourtant, les dispositifs de recherche et d’enseignement supérieur<br />

ne semblent pas leur permettre de se consacrer aux nécessaires mutations de l’agriculture.<br />

PAR HENDRIK DAVI*,<br />

LOURD BILAN<br />

Aujourd’hui, dans le monde 1 milliard<br />

de personnes souffrent de la<br />

faim ; l’obésité avec les complications<br />

qui lui sont associées – diabète<br />

et maladies cardio-vasculaires –<br />

concerne 35 % des adultes ; les sols,<br />

les eaux de surface et souterraines<br />

sont largement pollués par les nitrates<br />

et pesticides du fait de l’usage massif<br />

de produits phytosanitaires; l’agriculture<br />

est aussi une très forte consommatrice<br />

d’eau (irrigation) et est<br />

responsable de 12 % des émissions<br />

de gaz à effet de serre 1 . Le bilan social<br />

n’est guère meilleur : la population<br />

d’agriculteurs ne cesse de diminuer,<br />

et ils cultivent des surfaces de plus<br />

en plus importantes, souvent au<br />

détriment de leur santé, car ils sont<br />

plus touchés que d’autres professions<br />

par certains cancers, les accidents<br />

au travail et les suicides. Et tout<br />

cela pour de faibles salaires.<br />

Dans ce contexte dégradé, les deux<br />

grands défis auxquels va devoir faire<br />

face l’agriculture de demain sont<br />

d’assurer la sécurité alimentaire d’une<br />

population mondiale en croissance<br />

et d’opérer la nécessaire transition<br />

écologique du système agricole.<br />

L’URGENCE D’UNE AGRICULTURE<br />

ÉCOLOGIQUE<br />

Actuellement de 7,3 milliards (Asie<br />

60 %, Afrique 16 %, Europe 10 %), la<br />

population mondiale sera comprise<br />

entre 7 et 16 milliards en 2100 (Asie<br />

43 %, Afrique 38 %, Europe 6 %). Or<br />

les potentialités de productions présentes<br />

et futures sont inégalement<br />

réparties et seront conditionnées par<br />

le réchauffement climatique et le<br />

manque de terres arables ; de plus,<br />

la modification des comportements<br />

alimentaires est une tendance lourde<br />

qu’il sera difficile d’inverser.<br />

Le coût écologique de notre modèle<br />

agricole n’est par ailleurs plus supportable.<br />

Ce modèle fondé sur la<br />

mécanisation, la sélection génétique<br />

et les intrants a été efficient, car il a<br />

permis une augmentation exceptionnelle<br />

des rendements. Mais à<br />

long terme il n’est pas durable, car<br />

en plus d’être trop polluant il recourt<br />

à l’usage massif des énergies fossiles.<br />

Il faut donc le transformer pour aller<br />

vers une agriculture écologique, qui<br />

tire parti des ressources génétiques<br />

Le monde<br />

scientifique voit<br />

dangereusement<br />

ses recherches<br />

toujours plus<br />

orientées, par<br />

divers moyens,<br />

vers la recherche<br />

de plus de profits<br />

pour le privé,<br />

au détriment<br />

du reste.<br />

existantes, des savoirs vernaculaires<br />

des agriculteurs, ainsi que des avancées<br />

dans les sciences écologiques<br />

et agronomiques.<br />

Hélas, nous n’allons pas dans le bon<br />

sens : libéralisation des échanges et<br />

spéculation des multinationales ou<br />

marchandisation du vivant…, ces<br />

choix néolibéraux imprègnent aussi<br />

les objectifs dévolus à l’enseignement<br />

supérieur et à la recherche agronomique,<br />

qui subissent eux-mêmes<br />

des mutations.<br />

UNE RECHERCHE ORIENTÉE<br />

La science est un champ social particulier<br />

dont l’évolution dépend à la<br />

fois de facteurs externes (l’organisation<br />

du champ scientifique et ses<br />

relations avec les autres champs politiques<br />

ou économiques) et de ses<br />

dynamiques internes (transformation<br />

des techniques, révolutions<br />

scientifiques).<br />

Le service public de la recherche<br />

subit une remise en cause sans précédent<br />

du fait de la stratégie de choc<br />

néolibéral. La quête de financements<br />

et leur justification phagocytent le<br />

temps qui devrait être consacré à<br />

la recherche. La précarité devient<br />

le sort d’un nombre grandissant de<br />

chercheurs. La mise sous pression<br />

du personnel par primes individualisées<br />

et évaluations menace les collectifs<br />

de travail.<br />

Enfin, la course aux publications,<br />

qui sert les grands groupes de l’édition,<br />

dénature la production scientifique<br />

et en complique la diffusion.<br />

Ces mutations profondes sont la<br />

conséquence de trois orientations<br />

définies par l’UE :<br />

– gagner la compétition de l’excellence<br />

2 et faire de la science une marchandise<br />

presque comme les autres;<br />

– mettre la science au service de<br />

l’innovation des entreprises privées<br />

en territorialisant les recherches ;<br />

– augmenter la productivité des agents<br />

par des réformes managériales.<br />

s<br />

AVRIL-MAI-JUIN 2015 Progressistes

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