AGRICULTURES
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DOSSIER <strong>AGRICULTURES</strong><br />
UNE CRISE DURABLE FRAPPE LE PRODUCTIVISME BRETON<br />
La Bretagne est depuis au moins quatre décennies la région agricole la plus<br />
productive de France. Mais elle connaîtra de grandes difficultés dans les<br />
prochaines années du fait des effets pervers du productivisme agricole,<br />
qui seront longs à se résorber. Il est urgent de repenser le modèle.<br />
PAR GÉRARD LE PUILL*,<br />
Les quatre départements bretons<br />
concentrent environ 55 %<br />
de notre production porcine,<br />
40 % de notre production d’œufs,<br />
30 % de la volaille de chair, 21 % de<br />
la production laitière et 20 % de la<br />
production de viande bovine sur 7 %<br />
du territoire national.<br />
En raison du prix mondial relativement<br />
bas des produits pétroliers, des<br />
céréales et du soja, cette concentration<br />
des productions animales en<br />
Bretagne a pu, pendant un certain<br />
temps, donner des avantages de compétitivité<br />
à la région ; d’autant que,<br />
dans l’industrie agroalimentaire, la<br />
transformation de gros volumes de<br />
viande, de lait et d’œufs bénéficiait<br />
d’économies d’échelle.<br />
ÉLEVAGE HORS-SOL:<br />
LE PRIX À PAYER<br />
Mais la fragilité de la Bretagne agricole<br />
provient désormais du fait qu’elle<br />
compte beaucoup d’élevages de volailles<br />
et de porcs inclus dans un système<br />
hors sol: les bêtes sont confinées dans<br />
des bâtiments dont elles ne sortent<br />
que pour aller à l’abattoir. L’éleveur<br />
dispose souvent de quelques hectares<br />
de terres sur lesquelles il cultive des<br />
céréales ou fait de la production laitière,<br />
et il doit souvent passer des<br />
accords avec d’autres paysans capables<br />
de lui fournir des hectares pour<br />
recycler en fertilisants les lisiers et les<br />
fumiers de son élevage, sans que l’on<br />
parvienne vraiment à faire reculer les<br />
pollutions induites par les excès d’azote,<br />
dont les algues vertes du littoral sont<br />
les plaies les plus visibles.<br />
Ce même éleveur hors sol doit aussi<br />
acheter les aliments pour son bétail<br />
aux industriels. En Bretagne, la part<br />
des aliments du bétail achetée par<br />
les éleveurs représente 78 % de la<br />
valeur totale des aliments consommés<br />
par les animaux. Cette part<br />
approche les 100 % dans les élevages<br />
hors sol de porcs, de volailles et de<br />
veaux de boucherie, ces derniers<br />
“<br />
De gré ou de force, l’agriculture bretonne<br />
va devoir évoluer vers moins de volume et plus<br />
de qualité; elle devra moins viser les marchés<br />
internationaux et mieux satisfaire la demande<br />
régionale et nationale.<br />
“<br />
consommant surtout du lait préalablement<br />
séché, en poudre, et dilué<br />
dans de l’eau au moment d’être servi<br />
à l’auge, ce qui le rend coûteux en<br />
énergie. Les achats d’aliments composés<br />
sont nettement moindres dans<br />
les élevages laitiers intensifs qui produisent<br />
du maïs et de l’herbe ; néanmoins,<br />
on y achète beaucoup de tourteaux<br />
de soja pour équilibrer la ration<br />
alimentaire des vaches laitières. Le<br />
prix de revient de ce lait est nettement<br />
plus élevé que celui des vaches<br />
nourries à l’herbe avec un mélange<br />
judicieux de graminées et de légumineuses<br />
produites à la ferme.<br />
QUAND LE MODÈLE SE HEURTE<br />
À SES PROPRES LIMITES<br />
Première zone laitière de France, la<br />
Bretagne transforme 30 % de son lait<br />
en fromages d’entrée de gamme à<br />
faible valeur ajoutée, 5 % en lait de<br />
consommation, 8 % en crème conditionnée<br />
et 1 % en lait fermenté. Mais<br />
40 % du lait breton est transformé<br />
en beurre et 16 % en poudre, laquelle<br />
retourne, en partie, à l’élevage des<br />
veaux en batterie. Or, en cas de surproduction<br />
laitière, le beurre et la<br />
poudre voient leur production augmenter<br />
comme produits de dégagement<br />
stockables… et leurs prix baissent<br />
par la même occasion. À titre<br />
de comparaison, la carte laitière de<br />
la France entière c’est 41 % de fromage,<br />
32 % de beurre et 7 % de poudre<br />
de lait. Ces proportions masquent<br />
en partie le fait que beaucoup<br />
d’autres régions transforment plus<br />
de 50 % de leur lait en fromages sous<br />
signes de qualité, c’est notamment<br />
le cas en Franche-Comté et, dans<br />
une moindre mesure, en Normandie<br />
et en Auvergne.<br />
Les algues vertes<br />
symbolisent auprès<br />
du grand public<br />
les conséquences<br />
néfastes du<br />
modèle productif<br />
breton.<br />
Dernier ouvrage :<br />
L’écologie peut encore<br />
sauver l’économie,<br />
coédition Pascal<br />
Galodé/ L’Humanité,<br />
mai 2015, 314 p.<br />
Avec la fin des quotas en Europe et<br />
l’augmentation des volumes de production<br />
laitière annoncée par plusieurs<br />
pays européens, les débouchés<br />
du lait breton seront de plus en<br />
plus dépendants des achats de poudre<br />
et de beurre hors de l’Union européenne,<br />
ce qui se traduira par une<br />
grande volatilité du prix du lait pour<br />
les éleveurs. Dans la production porcine,<br />
beaucoup d’élevages bretons<br />
perdent de l’argent depuis l’automne<br />
2014, sans que la technicité des éleveurs<br />
soit en cause. En effet, les transformateurs<br />
allemands peuvent mieux<br />
payer les éleveurs d’outre-Rhin tout<br />
en concurrençant le porc breton sur<br />
le marché français, car leurs abattoirs<br />
font travailler 75 % de salariés<br />
« détachés » d’Europe centrale, pour<br />
lesquels les entreprises cotisent très<br />
peu. Quant aux volailles bretonnes,<br />
trop de volumes ne s’exportent qu’avec<br />
de faibles marges vers l’Arabie saoudite<br />
et quelques pays du Proche-<br />
Orient.<br />
INCONTOURNABLE ÉVOLUTION<br />
De gré ou de force, l’agriculture bretonne<br />
va devoir évoluer vers moins<br />
de volume et plus de qualité ; elle<br />
devra moins viser les marchés internationaux<br />
et mieux satisfaire la<br />
demande régionale et nationale. C’est<br />
une mutation qui prendra du temps,<br />
d’autant plus que ni les bâtiments<br />
d’élevage ni les unités de transformation<br />
n’ont été conçus pour prendre<br />
ce virage. Ajoutons que les orientations<br />
véhiculées par les FDSEA<br />
(Fédérations départementales des<br />
syndicats d’exploitants agricoles)<br />
bretonnes et la Chambre régionale<br />
d’agriculture ne sont pas pour le<br />
moment porteuses de réflexions permettant<br />
de sortir de l’impasse. n<br />
*GÉRARD LE PUILL est journaliste<br />
et essayiste.<br />
Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2015