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PDF - 7.1 Mo - Numéro Zéro #1

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Mais elle rappelle bien plus encore, la démarche du Capitaine Lonchamps,<br />

artiste belge, peintre "neigiste" qui lui aussi développe depuis 1987 une<br />

oeuvre et une pensée de la répétition à travers un motif "le flocon de neige"<br />

qu'il projette sur des fonds noirs, tels que de couvertures, des pneus neiges,<br />

des bidons de mazout et également sur des photos et des peintures trouvées<br />

ici et là. Il s'agit pour ces artistes de réinterpréter, rafraîchir, réveiller<br />

la peinture avec humour et ironie grâce à des hommages revivifiants. En<br />

1980, Jacques Halbert intervient directement sur une peinture en collant un<br />

sticker cerise sur une oeuvre de Francis Picabia exposée au Grand Palais.<br />

Il faudra plusieurs jours avant que quelqu’un s’en aperçoive et l’enlève. En<br />

1975, Jacques Halbert débute des petits formats à la manière des grands<br />

peintres, Picasso, Calder, Pollock, Léger, Kandinsky, Soutine, et bien d’autres.<br />

Il reproduit à l’identique la manière de peindre de ces artistes tant observés<br />

et admirés mais il ajoute la cerise, sa cerise comme figure centrale ou<br />

anecdotique. Et pourquoi Jacques Halbert devrait choisir entre la culture<br />

populaire et la grande peinture de musée ? Cette position constitue une<br />

singularité, une anomalie de l’histoire de l’art, oui, mais bien belle. Dès l’apparition<br />

des premières cerises, Jacques Halbert s’autorise un entre deux, et<br />

choisit d’être dans son époque, celle des années 70 où les deux chefs de file<br />

sont pour lui Joseph Beuys et Andy Warhol, entre l’art conceptuel et l’art issu<br />

de la culture populaire, dans cet intervalle entre l’art et la vie.<br />

Depuis plus de trente cinq ans, l’œuvre de Jacques Halbert se développe<br />

comme un ensemble de recherches illimitées et atemporelles à partir d’un<br />

même motif. À observer de près ou de loin cette œuvre composée de plus<br />

de mille peintures, un constat nous interpelle : la répétition a des nuances<br />

et la différence existe. Ceci n’explique pas cela. Ceci explique la capacité de<br />

résistance de cette œuvre et cela ne suffit pas à expliquer sa réelle force<br />

picturale. Car Jacques Halbert peint sur de multiples supports tels que des<br />

toiles, des toiles libres, du papier, du papier peint, du carton, de la nourriture,<br />

des autocollants (stickers), des murs, des vêtements, selon des rythmes<br />

réguliers ou aléatoires et presque toujours sur une surface monochrome de<br />

préférence bleue. Jacques Halbert n’explique ce choix, cette évidence pour<br />

le bleu comme fond — qui n’est lui pas un mystère — que par le fait que<br />

dans sa collection d’images, les cerises étaient représentées accrochées à<br />

une branche avec le ciel comme arrière-plan, comme fond d’image. Jacques<br />

Halbert peint principalement à l’acrylique et par aplats ce qui consiste à<br />

appliquer des champs colorés et uniformes. Cette technique picturale par<br />

aplats met en avant une réalité chromatique dont le rouge et le bleu sont<br />

les assises fondamentales.<br />

Outre la répétition d'un même motif, en 1975, Jacques Halbert écrit son manifeste<br />

"Comment peindre une cerise" décrivant ainsi toutes les étapes d'un<br />

protocole qui le rapproche ici fondamentalement des artistes de BMPT.<br />

« Comment peindre une cerise » (1975)<br />

Pour mener à bien cette entreprise, il est conseillé d’être habile et patient.<br />

Le travail s’effectue en huit phases et temps de séchage:<br />

1 - Vous dessinez un cercle vaguement ovale que vous remplissez de<br />

carmin<br />

2 – Vous appliquez sur la partie gauche de la cerise une lune de terre de<br />

sienne brûlée<br />

3 – Vous mettez du rouge vermillon sur le bout de votre index droit et<br />

vous l’appliquez sur le milieu de la cerise, un peu à droite<br />

4 – Vous mettez maintenant du rose sur le même doigt, très peu, et vous<br />

le posez au centre de la tâche rouge vermillon<br />

5 – A l’aide d’un pinceau fin, vous appliquez un point blanc sur la tâche<br />

rose<br />

6 – Toujours avec ce pinceau fin, vous mettez un filet de terre d’ombre<br />

brûlée sur l’extrémité gauche de votre cerise<br />

7 – Vous dessinez au pinceau fin chargé de vert émeraude la queue du<br />

fruit<br />

8 – Vous éclaircissez, avec du blanc, votre vert émeraude et vous en mettez<br />

un filet sur la queue.<br />

Si vous avez suivi à la lettre ces conseils, vous avez sous les yeux une cerise<br />

peinte par vous. Vous êtes donc un artiste. »<br />

Mais n’oublions pas qu’à la grande différence de BMPT, Jacques Halbert<br />

répète un motif purement figuratif. La technique par aplats décrite plus<br />

haut dans le manifeste « Comment peindre une cerise » permet à cette<br />

œuvre de rentrer dans une véritable démarche d’abstraction, processus<br />

qui délie la cerise en un véritable cercle chromatique. Une ombre portée<br />

à gauche est additionnée au motif, ce qui lui donne du volume dans la<br />

surface de la toile sans toutefois le détacher du fond car il n’y a ni perspective,<br />

ni lignes de fuite, le motif étant peint et répété à son échelle réelle.<br />

La surface monochrome permet à Jacques Halbert de rentrer dans une<br />

spatialité infinie et donner une dimension all-over grâce au motif parsemé<br />

sur l'ensemble de la toile. Cet effet all over est renforcé par le contraste<br />

entre le rouge et le bleu, il nous confronte à un phénomène physique<br />

nommé la persistance rétinienne. Cette rémanence consiste à mettre en<br />

activité une image dominée par des couleurs primaires même après la<br />

disparition de celle-ci dans notre champ de vision.<br />

Jacques Halbert réalise en 1979, une série de peintures sur papier où<br />

les cerises sont peintes de la même couleur que le fond - c’est à dire :<br />

« Cerises bleues sur fond bleu », « Cerises blanches sur fond blanc »,<br />

« Cerises vertes sur fond vert », « Cerises rouges sur fond rouge », et<br />

« Cerises jaunes sur fond jaune ». Et sur toiles, les cerises sont de temps à<br />

autres, vertes, jaunes, rouges sur un fond bleu intense. Autant dire qu’en<br />

présence des trois couleurs primaires, le rouge, le vert et le bleu, le cercle<br />

chromatique d’un point de vu physique est brillamment interrogé et mis<br />

en évidence pour en saisir tous ses accords ou ses désaccords. « Les dites<br />

figures nous apprennent plus sur la peinture que n’importe quel traité ne<br />

le ferait », Pierre Giquel, 2003. Les cerises sont peintes suivant plusieurs<br />

compositions, de manière aléatoire, en alignement régulier ou en suite,<br />

formant une ligne droite, ou bien encore une ou des courbes.<br />

A la fin des années 70, Jacques Halbert part vivre aux Etats-Unis, à New<br />

York. Il faut attendre plus de vingt ans pour qu’il rentre en France, en<br />

Touraine, sa région natale. Son retour en 2003 est annoncé par l’artiste<br />

comme « le retour du merle moqueur » vers ses origines, cette origine perdue<br />

dont parle Heidegger. En 2006, le Centre de Création Contemporaine<br />

de Tours présente la première rétrospective « cerisiste » de l’artiste. Outre<br />

une vingtaine d’œuvres de toutes périodes exposées, le peintre réalise<br />

pour cette exposition de nouvelles productions aux formats monumentaux<br />

mettant ainsi plus que jamais en évidence les aplats de couleurs,<br />

les variations entre les fonds bleus des toiles et le motif, l’effet all-over,<br />

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