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PDF - 7.1 Mo - Numéro Zéro #1

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Tu veux dire qu’il n’y a pas de vérité ?<br />

C’est ça. Par exemple : le 11 septembre. J’ai regardé à peu près tout ce qui<br />

a pu être fait à ce sujet, c’est-à-dire des centaines, voire des milliers de<br />

sources. Je pars du principe que je prendrais au moins dix avis différents<br />

sur une chose et pas seulement ce que nous balancent Paris Match ou<br />

TF1. Je veux, en tant que citoyen, savoir ce qui se passe et, étrangement,<br />

après des années des recherches, ce qui est dit par la majorité des médias,<br />

à mon sens, c’est de la propagande.<br />

Cet esprit critique exacerbé est-il lié à ton histoire personnelle ?<br />

Je n’ai pas encore réfléchi à cela, mais ça ne m’étonnerait pas. Quand<br />

j’étais à l’école, je ne savais même pas ce qu’était une religion, parce<br />

qu’on était dans un cadre laïque : on était des Yougoslaves. Deux ans<br />

avant que la guerre ne débute, on a commencé à me demander qui<br />

j’étais.<br />

En serbo-croate, on dit « hrvat » pour croate. Ça sonnait bien, donc<br />

j’ai dit : « hrvat. » Mais je ne savais pas ce que cela voulait dire et tu<br />

passes, en deux ans, à une chose qu’on t’impose. On te dit que tu es<br />

musulman. Et toi : « Oui, mais c’est quoi ? » Tu ne t’identifies pas à cela.<br />

Pourtant, ils n’ont pas tué les gens pour ce qu’ils avaient fait, mais pour<br />

ce qu’ils étaient. Après l’exil, il y a eu les trois ou quatre premières années<br />

où j’étais dans un processus d’hybridation. Je m’identifiais à ce qu’on<br />

m’avait imposé.<br />

Finalement, tu revendiquais une identité... De Bosniaque musulman, du<br />

fait, aussi, que la guerre continuait.<br />

Il fallait prendre parti ?<br />

Tu peux prendre parti en tant qu’être humain, ce que je fais aujourd’hui.<br />

Je n’ai plus aucun parti pris lié à une quelconque appartenance, héritée<br />

ou subie. Mais il y a eu ce processus pendant les quatre premières<br />

années où je m’identifiais à ça, alors que ce n’est pas du tout moi. Des<br />

choses du genre : « Je ne mange pas de cochon. » Et puis, au bout d’un<br />

certain temps, je me suis dit : « Avant, je mangeais du cochon. » Mais on<br />

t’a tellement dit que tu es musulman... Et puis en arrivant ici, le mec qui<br />

m’a accueilli me forçait à manger du cochon : « Tu n’es pas musulman !<br />

Si tu ne manges pas de cochon, tu ne manges rien. »<br />

Donc, il y a eu des choses comme cela qui m’ont amené à me poser<br />

des questions. « Pas de cochon », qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi,<br />

tout d’un coup, des individus ont-ils réussi à faire monter le sentiment<br />

patriotique d’une nation ? Pour mettre en œuvre cette stupidité, il n’y<br />

a rien de plus facile ! Tu fais un peu peur, tu fais vivre les gens dans la<br />

misère, et puis voilà. Ils ont donc réussi. Mais moi, qu’est-ce que je fais à<br />

dire que je ne bois pas d’alcool, que je ne mange pas de cochon ?<br />

Alors, tu défais le nœud qui s’est fait et puis tu analyses. Il y a quelques<br />

années, j’ai pondu mon premier autoportrait, qui parle justement de cela<br />

et qui s’appelle Autoportrait au jambon de Bayonne. J’y ai décortiqué de<br />

quoi est composé un bon jambon de Bayonne, de quoi est composée<br />

une boîte de ravioli ; et, en troisième, j’ai mis des fleurs, mais j’ai<br />

marqué : « Ceci n’a rien à voir. » Il suffisait finalement de comparer<br />

ce qu’il y a dans un jambon de Bayonne et ce qu’il y a dans une boîte<br />

de ravioli pour savoir d’où provient, dans l’Islam, le fait de ne pas<br />

manger de cochon.<br />

C’était un conseil scientifique, médical parce qu’il n’y avait pas de<br />

moyen de conservation et que ça contient une graisse qui pourrit<br />

plus vite. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. J’ai comparé ces deux choses-là<br />

et, en haut, j’ai fait une série de photographies avec moi de<br />

face et une fille de dos portant une chemise blanche sur laquelle j’ai<br />

imprimé : « Où sont les ishtihads ? » Les ishtihads sont un des piliers<br />

fondateurs de l’Islam. Ils invitent le culte à une réflexion sur lui-même<br />

et à son avancement à travers le temps, les époques. Si tu bannis<br />

les équivalents des ishtihads de n’importe quel culte religieux, c’est<br />

la nuit noire, c’est du fascisme. Voilà, c’était une grande parenthèse<br />

sur l’islam, alors que ce n’est qu’une des choses, parmi d’autres, que<br />

je décortique.<br />

Dans mes œuvres, je décortique surtout les réseaux de l’argent qui<br />

ont encore plus de poids et de présence que tout le reste, parce que<br />

les événements géopolitiques découlent aussi de comment l’argent<br />

est créé et de comment il fonctionne. C’est la chose qui gère absolument<br />

tout. C’est un dogme qui est bien plus grand que n’importe<br />

quelle religion ou même toutes les religions ensemble, et on n’y<br />

connaît rien. On ne sait pas ce que c’est, comment ça fonctionne.<br />

Que sont ces foutus bouts de papier ? Qui les imprime ? Qui les<br />

possède ? Ça c’est une des causes majeures de la transformation, de<br />

cette hybridation, qu’a connues mon travail entre la longue période<br />

de la peinture pour la peinture et après, le stade du citoyen qui n’en<br />

pouvait plus.<br />

J’en avais marre de dire : « On nous ment, on nous exploite… » Du<br />

coup, je me suis mis à décortiquer le on. La première étape, c’était : le<br />

on est un enculé. Mais après, je n’étais pas satisfait. J’ai voulu savoir ce<br />

que c’est ce on. Qu’est-ce qu’il a dans les tripes ? Comment ça fonctionne<br />

? C’est quoi la machine ? Même mettre des noms : Qui ? Quoi ?<br />

Comment ? La chose la plus difficile, c’était de ne pas tomber dans<br />

une chose un peu réactionnaire en donnant plus de réponses que de<br />

questions. Je pense que j’ai réussi avec la notion de tableau noir, sur<br />

lequel tu écris, tu effaces et tu écris encore : l’étude perpétuelle<br />

Je suppose que cela t’a amené à revenir, également, sur les événements<br />

qui se sont produits en Bosnie ?<br />

Non. Je me sens beaucoup plus concerné par ce qui se passe dans<br />

n’importe quel pays où il y a des problèmes aujourd’hui que par ce<br />

qui s’est passé en Bosnie-Herzégovine de 1991 à 1995. Je n’ai plus ce<br />

sentiment de douleur, de mal-être ou de manque parce que, comme<br />

je te l’ai expliqué, le nœud qui s’était formé où j’ai fini pas m’identifier<br />

à la chose qu’on me forçait à être, je l’ai démêlé.<br />

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