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PDF - 7.1 Mo - Numéro Zéro #1

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Au risque de l’aporie : art et expérience<br />

chez John Dewey<br />

par Bamba Gueye<br />

« À quelle profondeur l’art pénètre-t-il l’intimité du monde ? Et y a-t-il, en<br />

dehors de l’artiste, d’autres formes artistiques ? L’œuvre d’art, quand elle<br />

apparaît sans artiste, par exemple. Comme corps, comme organisation […].<br />

Dans quelle mesure l’artiste n’est qu’une étape préliminaire. Que signifie le<br />

« sujet » ? Le monde comme œuvre d’art s’engendrant elle-même 1 . »<br />

Le constat de notre monde est celui d’une division des pratiques, où chacune<br />

d’elle tend à faire d’elle-même une spécialité toujours plus spécialisée. L’art,<br />

le politique, la pédagogie, la philosophie, la technique, fonctionnent come<br />

autant de domaines séparés : les artistes font de l’art, les philosophes font<br />

de la philosophie, les politiciens font de la politique, etc. Toutes ces pratiques<br />

sont cependant indissociables de l’expérience commune, et c’est la fidélité à<br />

cette expérience, l’ensemble d’où elles émerge, qui appelle la nécessité critique<br />

à manifester des modes de résonance entre elles. Penser la communauté<br />

de l’expérience, plutôt qu’exacerber sa division et sa séparation. Il s’agira ici<br />

de mettre en rapport, à partir de deux écrits de John Dewey, L’Art comme<br />

expérience et <strong>Mo</strong>n Credo pédagogique, les deux domaines pratiques que sont<br />

l’art et la pédagogie, et à explorer le lieu de leur rencontre : le décloisonnement<br />

de la pédagogie vers l’art et de l’art vers la pédagogie. La question plus<br />

générale découlant de cette mise en rapport consiste à opérer la critique de<br />

la séparation des pratiques en différents secteurs d’activités spécifiques, c’està-dire<br />

en même temps à penser le lieu de leur communauté : une fois encore,<br />

décloisonnement et porosité entre les différents modes de l’expérience, et<br />

en particulier entre l’art et la pédagogie.<br />

L’Art comme expérience, de John Dewey, nourrira ce décloisonnement. Décrire<br />

l’art comme expérience revient à le relier à la totalité des formes de l’expérience.<br />

Et un des enjeux de l’écrit de John Dewey se propose effectivement de<br />

penser « la fonction de l’art par rapport à d’autres modes de l’expérience. »<br />

D’un côté, « la seule chose à dire sur l’art, c’est que c’est une chose en<br />

soi. L’art est art en tant que tel et laissons tout le reste au reste. L’art en<br />

lui-même n’est rien d’autre que de l’art. L’art n’est pas ce qui n’est pas<br />

de l’art. » Mais d’un autre côté, et de manière paradoxale, « l’art est de<br />

l’art pour autant qu’il est aussi du non-art, autre chose que de l’art 2 . »<br />

L’intuition du présent questionnement se situe dans la deuxième branche<br />

de l’alternative, c’est-à-dire dans la rencontre entre l’art et le reste de<br />

l’expérience. Relier l’art et le non-art, c’est en effet penser l’art en fonction<br />

de son interaction avec les formes de l’expérience commune, et en même<br />

temps penser ces formes du point de vue de l’art. Le concept d’art risque<br />

toujours, dans cette optique, de perdre sa raison d’être, si nous voyons<br />

toutefois en lui un mode d’expérience spécifique, c’est-à-dire isolé et<br />

détaché des autres modes de l’expérience.<br />

John Dewey commence son ouvrage en faisant le constat suivant : dans<br />

la société industrielle occidentale, il y a coupure et rupture entre les<br />

formes de l’art et les formes de la vie commune. L’art évolue dans une<br />

sphère séparée de la vie, et l’expérience commune est fragmentée en<br />

différentes sphères d’activité spécifiques : l’interaction entre l’être vivant<br />

et son environnement est rompue. La volonté de rétablir la continuité<br />

entre l’art et la vie part effectivement du constat de leur séparation et<br />

de leur rupture : nous pouvons trouver, dans les expériences que nous<br />

ne considérons pas généralement comme esthétiques, les germes et<br />

les racines de l’expérience esthétique, c’est-à-dire jamais, à proprement<br />

parler, l’expérience esthétique elle-même. Il y a donc bien une différence<br />

entre l’expérience esthétique et l’ensemble de nos activités quotidiennes.<br />

Comme le note un commentateur, « si pour Dewey cette continuité mérite<br />

d’être restaurée, c’est qu’elle ne va pas de soi ou qu’elle s’est perdue 3 . »<br />

Tel est le nœud de l’argumentation de John Dewey et le risque de son<br />

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