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PDF - 7.1 Mo - Numéro Zéro #1

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Création photographique brésilienne<br />

entre contemporanéité et anachronisme (Le jeu du voile)<br />

par Samuel de Jesus<br />

Dans son essai Devant l’image, Georges Didi-Huberman observe que<br />

regarder une image consisterait finalement à la penser en tant que<br />

structure : « un devant-dedans : inaccessible et imposant sa distance,<br />

si proche soit-elle – car c’est la distance d’un contact suspendu, d’un impossible<br />

rapport de chair à chair. Cela veut juste dire [...] que l’image est<br />

structurée comme un seuil 1 . »Un seuil ou une sorte de jeu qui viendrait<br />

dès lors alerter aussi bien notre regard que notre place de spectateur,<br />

mis à distance mais désireux de transpercer le dais opaque qui nous<br />

en sépare. Or, s’il est effectivement question de seuil, nous pouvons de<br />

plus constater que de nombreuses œuvres photographiques en général,<br />

et celles d’artistes-photographes brésiliens, partagent le fait d’être<br />

chargées d’un effet similaire à un celui d’un voile. Un effet par lequel<br />

viendrait s’instaurer un jeu entre l’image et celui qui la contemple, au<br />

sein de pratiques ayant aussi bien recours aux images d’archives, ou<br />

encore significatives d’une volonté délibérée de privilégier le flou, de<br />

la couleur saturée, conférant à ces images une forte ascendance picturale.<br />

C’est à partir de ce postulat que je voudrais convier le lecteur à un<br />

voyage au cœur d’un univers « imagétique » aussi riche et inhabituel<br />

que le corpus iconographique façonné au cours des dix dernières années<br />

peut nous apparaître complexe. Complexe et mystérieux dans son<br />

contenu, il interroge néanmoins notre perception de l’image mais aussi<br />

le regard que nous portons sur le monde et le temps. Cette présentation<br />

n’a pas pour dessein de dresser un parcours historique linéaire de la<br />

photographie contemporaine brésilienne. Néanmoins, nous observerons<br />

que ces images, par cet effet ou plus exactement ce jeu du voile<br />

qui les habitent viennent alors défier, par leur aspect anachronique et<br />

leur facture fortement picturale, ce qui a régit depuis les vingt dernières<br />

années le champ de la création photographique au Brésil, répondant aux<br />

impératifs médiatiques ne cessant de diffuser les sempiternels clichés<br />

d’une nation jadis aux bords du chaos. Soit une logique de production<br />

d’image que Jacques Rancière a si bien analysée comme étant de l’ordre<br />

de l’esthétique compassionnelle. L’énigme que nous proposent ces<br />

photographies, visant à atteindre l’objet photographique « clairement<br />

et distinctement », trouve sa motivation dans la mesure où cet objet<br />

semble à la fois émaner d’un réel et être recouvert d’un voile, dès lors<br />

où il est : « «voilé « par sa charge plus grande de sémanticité». Par<br />

là même, il est plus «complexe» : «l’ailleurs» est plus compliqué que<br />

«l’ici-maintenant « des localisations spatio-temporelles 2 . » Ce voile,<br />

véritable catafalque opaque autant que translucide, se dépose comme<br />

le résultat d’une longue mutation, dont l’héritage et le changement de<br />

régime ne se réfèrent pas tant directement au médium, ni au support,<br />

qu’à une démarche artistique dont les œuvres ici présentées viennent<br />

témoigner d’une posture photographique inattendue. Et cela au sein<br />

d’un climat de création et de production particulièrement effervescent,<br />

dont l’avènement est commenté par le critique et lui-même photographe<br />

brésilien Pedro Karp Vasquez de la manière suivante :<br />

« La photographie évolua de manière assez particulière au Brésil, passant<br />

d’une phase d’ample diffusion dans les ultimes décennies du XIXe<br />

siècle pour une période de semi-hibernation, de laquelle elle vient<br />

seulement se réveiller réellement au final de la décennie des années<br />

soixante de ce siècle [...] 3 »<br />

Ce constat n’est pour autant pas le simple fruit d’une mauvaise diffusion<br />

vers l’extérieur des frontières ou de la seule indifférence d’un monde<br />

nord occidental, mais également celui d’une profonde méconnaissance<br />

nationale, conséquence directe de la politique culturelle des régimes<br />

autoritaristes militaires dès les années soixante 4 . Ce parcours a pour<br />

enjeu d’explorer quatre approches et mises en œuvre singulières de<br />

ce jeu du voile, autour d’œuvres d’artistes-photographes qui s’avèrent<br />

être autant surprennantes qu’originales, et dont la perception que nous<br />

pouvons en avoir finit par produire une étrange sensation de trouble.<br />

C’est ce trouble qui vient s’inoculer dès lors au cœur des images réappropriées<br />

par la photographe Rosângela Renno qui poursuit inexorablement<br />

sa réflexion sur le poids et le rôle proéminant de l’archive.<br />

Chez Miguel Rio Branco, le voile devient le nimbe d’une muse mélancolique<br />

incarnant cette saudade contemporaine que le poète romanti-

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