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PDF - 7.1 Mo - Numéro Zéro #1

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Est-ce pour autant tu as complètement tiré un trait sur cette histoire ?<br />

J’ai complètement tiré un trait là-dessus. Aucun de mes travaux ne mentionne<br />

la guerre, les crimes de guerre ou les souffrances antérieures de la<br />

Bosnie-Herzégovine.<br />

Tu y es retourné en 2008 à l’occasion de l’International Festival Sarajevo.<br />

Comment as-tu vécu ce moment ?<br />

Je représentais les deux, et Bosnie Herzégovine, et France… mais plutôt la<br />

France. Mais cette notion d’appartenance a une entité quelconque, q’uelle<br />

soit d’ordre religieux, ethnique, national, racial ou sexuel, je n’en ai rien à<br />

faire ! J’ai même des autoportraits en complet hybride qui sont en préparation.<br />

Je suis une sorte d’hybride pour lequel les notions de patriotisme, de<br />

nationalité, de couleur de peau, de religion sont complètement obsolètes,<br />

inexistantes.<br />

Mais ce complet détachement par rapports à ces questions n’est pas for-<br />

cément facile à tenir ?<br />

Souvent, quand je discute avec des gens, ils ont du mal à comprendre cela.<br />

Après, quand ils rentrent dans mon travail, ils finissent par le comprendre<br />

parce que je mets tout sur la table. Je n’ai pas peur de parler de quoi que<br />

ce soit. À aucun moment, on ne sentira un parti pris dû au fait que je suis<br />

né quelque part ou que j’ai hérité d’une religion.<br />

Est-ce que ça signifie que tu as effacé de tes œuvres tout ce qui relève<br />

de l’affectif ou du sentimental ? Parce que toutes ces questions d’identités<br />

sont liées à ce type d’affects.<br />

Pas du tout. Il y a beaucoup de sentiments, il y a de l’humour, il y a beaucoup<br />

de colère. Mais tout cela n’est pas motivé par mes origines ou la<br />

guerre. Cette colère est venue ces dernières années, alors que la guerre<br />

en Bosnie est terminée depuis longtemps. Ce ne sont pas les restes de<br />

Bosnie-Herzégovine qui ont motivé ça, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Si<br />

je me sens préoccupé par la Bosnie Herzégovine aujourd’hui, c’est en raison<br />

de la gouvernance criminelle des trois partis, musulman, serbe et croate,<br />

qui maintiennent encore la perspective du développement de la structure<br />

sociale exclusivement dans une optique ethnique.<br />

Que tu te sentes, quelque part, citoyen d’un monde globalisé, n’est-ce pas<br />

aussi lié au fait que tu as émigré, tout simplement ?<br />

Étrangement, ça aide, mais en même temps, c’est très dangereux, parce<br />

que les personnes qui sont exilées ou réfugiées, souvent, se rattachent<br />

à la chose la plus facile : l’identité. Ce qui amène aussi le phénomène de<br />

communautarisme.<br />

Est-ce que tu penses que ton trajet, avec ce rejet de toutes ces notions iden-<br />

titaires, est quelque chose qu’on observe chez de nombreux artistes bosniaques<br />

qui ont émigré ?<br />

Quand je vois le travail de Nebojsa Seric-Soba, ces questions restent<br />

présentes quand même. Mais après, chacun a eu un parcours différent.<br />

Soba était dans les rangs de l’armée bosniaque pendant toute la guerre.<br />

Il a vécu les tranchées, ce qui n’est pas mon cas. <strong>Mo</strong>i, j’ai eu beaucoup<br />

de chance, à part quelques petites séquellesJe fais partie de cette couche<br />

de réfugiés qui s’en sont le mieux sorti.<br />

Est-ce que ça veut dire que tenter de faire le portrait-robot de l’artiste<br />

bosniaque émigré est voué à l’échec ?<br />

Oui, c’est impossible. Un an dans un centre de réfugiés à Chalon-sur-<br />

Saône ou un an de tranchée, que ce soit sur le front de Sarajevo, de<br />

Krajina ou de Goražde, ça n’a rien à voir ! Même une journée Soba a<br />

abordé cette question avec un recul très astucieux, assez joli. L’une des<br />

pièces qui a donné raison à l’importance de son œuvre, c’est un diptyque<br />

photographique qui le montre deux fois dans la même position. La<br />

première photographie a été prise dans la tranchée pendant la guerre<br />

avec son arme. La seconde le montre à Venise, au bord de l’eau, avec<br />

des lunettes de soleil. Il parle presque de la différence qu’il pourrait y<br />

avoir entre lui et moi dans cette histoire de comment les gens ont vécu<br />

la guerre. Je ne dis pas que je n’ai pas vécu des choses dures, mais ce<br />

n’est pas comparable avec quelqu’un qui a fait la guerre pendant quatre<br />

ans. Parce que moi, en 1995, j’étais bien habillé et dans une école<br />

d’art. Je ne me sens pas plus bosniaque que ça. La plupart des gens<br />

ne savent même pas si je suis serbe, bosniaque, ou croate, parce que<br />

je n’en parle jamais.<br />

C’est sans doute aussi un réflexe de survie, parce qu’il y a un danger<br />

à continuer à s’identifier à cette histoire, de rester dans cette identité<br />

qu’on t’a forcé à avoir. Ce sont des fascistes qui m’ont forcé à devenir<br />

non pas yougoslave ou bosniaque, mais musulman. Ça ne peut pas<br />

être sain. Dans bien des cas, soit tu t’en détaches complètement, soit,<br />

pour te rassurer du manque de repères en exil, tu t’accroches avec les<br />

pieds et les mains a une identité, quelle qu’elle soit, au risque de devenir<br />

sectaire, voire intégriste.<br />

entretien réalisé en avril 2010.<br />

Sanjin Cosabic est peintre. Il est né le 21 avril 1977 à Banja Luka en<br />

Bosnie-Herzégovine. Il vit et travaille à Tours (37), en France.

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