PDF - 7.1 Mo - Numéro Zéro #1

(p. 48), et qui le replace dans le champ élargi de l’ensemble non hiérarchisé
et horizontal des formes d’interaction entre l’être vivant et son environnement,
relativement au champ réduit et spécifique que représente la pratique
proprement artistique. Interaction entre l’être vivant et son environnement,
et entre les différentes formes, matérielles, sociales et politiques, que revêt
cette interaction. L’art est à la vie ce que l’être vivant est à son environnement :
interaction, communication, et participation. L’interaction qui existe entre l’art
et la vie, de façon corollaire, situe l’art dans le lien direct qu’il noue avec son
autre, la vie, et l’ensemble des pratiques qui lui donnent un corps : la pédagogie,
le politique, la technique, la mécanique, etc. À strictement parler, nous dit
John Dewey, « le produit de l’art – temple, peinture, statue, poème – n’est pas
l’œuvre d’art. » (p. 255) L’art qualifie une activité avant de dénoter un objet.
L’art, avant de dénoter une « chose faite », qualifie un « acte de faire ». Il est
adjectif avant d’être substantif : « L’art qualifie aussi bien l’acte de faire que la
chose faite. Ce n’est donc qu’en apparence que l’on peut le désigner par un
substantif. Puisqu’il correspond à un contenu et à une manière de faire, il est
naturellement un adjectif. Lorsque nous disons que faire du tennis, chanter,
jouer la comédie et se livrer à une multitude d’autres activités sont de l’art,
nous supposons, de façon elliptique, qu’il y a de l’art dans la conduite de ces
activités 10 . » En tant qu’activité, l’art n’est donc pas réductible à l’activité des
artistes : « Le mécanicien intelligent impliqué dans son travail, cherchant à
bien le faire et trouvant de la satisfaction dans son ouvrage, prenant soin de
ses matériaux et de ses outils avec une véritable affection, est impliqué dans
sa tâche à la manière d’un artiste. » (p. 23) Toute forme d’activité, c’est-à-dire
non seulement spécifiquement artistique, peut être réalisée avec art. Aucune
séparation réelle ne peut donc être posée entre l’activité artistique et l’ensemble
des autres activités, et toute forme d’activité peut, d’une certaine manière,
relever de l’art et de la création.
« J’ai à l’esprit, de plus en plus présente, l’image d’une école ; une école où
quelque activité véritablement constructive sera le centre et la source de
tout, et à partir de laquelle le travail se développera toujours dans deux
directions : d’une part la dimension sociale de cette activité constructive,
d’autre part, le contact avec la nature lui fournissant sa matière première. Je
vois très bien, en théorie, comment l’activité de menuiserie mise en œuvre
pour construire une maquette de maison, par exemple, sera le centre d’une
formation sociale, d’une part, scientifique, de l’autre, tout cela dans le cadre
d’un entraînement physique, concret et positif, de l’œil et de la main. » John
Dewey, 1894, correspondance avec Alice Dewey.
Le lieu de la rencontre décloisonnée entre l’art et la pédagogie, dont l’énonciation
constituait l’entame de cet article, est l’expérience de la communauté
sous toutes ses formes d’activité.
Si l’art et la pédagogie sont reliés aux autres modes de l’expérience, ils
n’existent plus de compartimentation et de séparation qui les placent dans un
domaine détaché de l’expérience commune : ils font corps avec elle.
La pédagogie, au même titre que l’art, n’est réellement pédagogie
que lorsqu’elle se manifeste sous les formes de la vie et de l’activité
communes. De la même manière que l’art est compris comme interaction
entre l’être vivant et son environnement, le processus pédagogique
« se fait par la participation de l’individu à la conscience
sociale 11 […]. »
Les institutions que sont l’école et le musée tendent à isoler l’art et la pédagogie
du reste de l’expérience. Or, c’est cette dernière qui fait la vitalité et la
réalité de l’art tout autant que de la pédagogie : « […]l’éducation actuelle
échoue surtout parce qu’elle néglige ce principe fondamental de l’école
considérée comme une forme de la vie en commun 12 . »
Il y a continuité entre le processus pédagogique et l’ensemble des processus
qui lui sont extérieurs : la vie, dans sa totalité, avec sa couche sociale,
matérielle et politique. « Je crois que l’éducation qui ne se présente pas
sous les formes de la vie, formes qui valent la peine d’être vécues pour
elles-mêmes, est toujours une pauvre substitution à la réalité naturelle
et tend à la gêner et à l’amortir 13 . »
J. Dewey critique l’école dans la mesure où celle-ci isole le processus pédagogique
des autres modes de l’expérience, et appauvrit du même coup
la vitalité de cette expérience. C’est dans ce sens que l’école « doit représenter
la vie présente – vie aussi réelle et vitale pour l’enfant que celle qu’il
mène dans sa famille, dans le voisinage, sur le théâtre de ses jeux 14 . ».
La pédagogie, comme pratique commune, s’oppose à la fragmentation
du savoir et à sa transmission en unités spécialisées, sans rapport direct
avec la vie pratique. C’est en ce sens qu’elle « est un processus de la vie,
et non une préparation à la vie 15 . »
En outre, le processus pédagogique est une activité collective « qui
se fait », c’est-à-dire pratique. Une pédagogie qui se manifeste sous les
formes de la vie, c’est une pédagogie de l’activité et de l’action, par opposition
à la réception passive d’un savoir spécialisé. C’est en ce sens que
la pédagogie résulte moins de la transmission d’un savoir que de l’expérimentation
de l’ensemble non hiérarchisé et horizontal des pratiques de
la communauté. La pédagogie est donc moins du côté du savoir comme
forme désincarnée et séparée des formes dites plus « prosaïques » de
l’expérience.
À la fragmentation de l’expérience moderne en sphères d’activités spécifiques
correspond, dans le domaine de la pédagogie, la fragmentation du
savoir en unités spécialisées. Or, « nous violons la nature de l’enfant […]
en jetant l’enfant trop brusquement dans certaines études spéciales : de
lecture, d’écriture, de géographie, etc. sans rapport avec la vie sociale 16 . »
La séparation et la fragmentation des pratiques en unités spécialisées ne
correspondent pas à la réalité de l’expérience commune et la façon dont
elle se vit : « […] le vrai point de corrélation des sujets scolaires n’est pas
la science, ni la littérature, ni l’histoire, ni la géographie, mais les propres
activités sociales de l’enfant 17 . »
« La couture, la cuisine 18 », le travail du bois ou de la terre, sont « activités
expressives constructives 19 », dont l’exercice constitue « comme centres
de corrélation 20 », tout autant que l’étude des mathématiques ou la
lecture, les façons par lesquelles une communauté habite son environnement.
Mieux, nous dit J. Dewey, ce sont elles qui expriment en premier
lieu « comme types, les formes fondamentales de la vie sociale, et qu’il
est possible et désirable que l’initiation de l’enfant aux sujets plus formels
du curriculum soit faite par le moyen de ces activités 21 . »
« Je crois finalement que l’éducation doit être conçue comme une reconstruction
continuelle de l’expérience ; que le processus et le but de l’éducation
ne font qu’un 22 . » La pédagogie, en tant que forme de l’expérience
commune, ne doit pas être une préparation à cette expérience, mais, pour
ainsi dire, une expérimentation de cette expérience. Elle a sa fin en dehors
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