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western, traverse la ch<strong>au</strong>ssée. Je reconnais là un avis de raid, rempli de mots impossibles à<br />

pronon<strong>ce</strong>r, expliquant qu'il est légal de suspendre les droits de tout un chacun pour la soirée.<br />

Sans <strong>ce</strong> bout de papier, il pourrait s'agir d'une nuit comme une <strong>au</strong>tre : ordinaire, paisible,<br />

morte. Sans <strong>ce</strong> papier, et l'écho distant des bottes, accompagné d'une plainte aiguë, pareille<br />

à un sanglot, que m'apporte la brise. Les bruits sont si étouffés qu'on pourrait presque les<br />

confondre avec les sons de l'océan et du vent. Presque.<br />

Les patrouilles ont avancé.<br />

Je file vers Deering Highlands. Je suis bien trop paniquée pour prendre mon vélo : les<br />

petits catadioptres sur les roues risqueraient d'attirer l'attention. Je ne dois pas penser à <strong>ce</strong><br />

que je suis en train de faire, <strong>au</strong>x conséquen<strong>ce</strong>s si je suis prise. J'ignore d'où me vient <strong>ce</strong>tte<br />

résolution inébranlable. Je n'<strong>au</strong>rais jamais cru avoir le courage de quitter la maison par une<br />

nuit pareille, jamais de la vie.<br />

Peut-être que Hana avait tort à mon sujet. Peut-être que je n'ai pas peur en permanen<strong>ce</strong>.<br />

Au moment où je dépasse un sac-poubelle noir abandonné sur le trottoir, une faible<br />

lamentation m'arrête dans mes pas. Je pivote, tous les sens en alerte. Rien. Le geignement<br />

sinistre se répète, hérissant les poils sur mes bras. Puis le sac-poubelle à mes pieds se met à<br />

bouger.<br />

Non... il ne s'agit pas d'un sac. Il s'agit de Riley, le chien des Richardson. Je m'approche<br />

d'une démarche mal assurée. Il me suffit d'un regard pour comprendre qu'il est mourant. Il<br />

est entièrement recouvert d'une substan<strong>ce</strong> gluante et luisante : du sang. Voilà pourquoi j'ai<br />

confondu son pelage avec de la matière plastique. Un de ses yeux est pressé contre le<br />

bitume, l'<strong>au</strong>tre est ouvert. Sa boîte crânienne a été enfoncée. Le sang, noir et visqueux,<br />

coule par son muse<strong>au</strong>.<br />

Je repense <strong>au</strong>x voix que j'ai entendues (« Je te parie qu'il a des pu<strong>ce</strong>s, en plus ») et <strong>au</strong>x<br />

coups sourds qui les ont accompagnées.<br />

Riley me fixe avec une expression de souffran<strong>ce</strong> et de reproche telle que je jurerais,<br />

pendant quelques secondes, qu'il est humain et essaie de me dire : « C'est toi qui m'as fait<br />

ça. » Secouée par un h<strong>au</strong>t-le-cœur, je suis à deux doigts de m'agenouiller pour le ber<strong>ce</strong>r dans<br />

mes bras ou de déchirer mes vêtements pour éponger le sang. Simultanément, pourtant, je<br />

suis comme paralysée. Je ne poux pas bouger.<br />

Alors que je reste plantée là, pétrifiée, un long frisson le parcourt, de l'extrémité de la<br />

queue <strong>au</strong> muse<strong>au</strong>. Puis il s'immobilise.<br />

Aussitôt, mes bras et mes jambes reprennent vie. Je m'élan<strong>ce</strong> en vacillant, la bouche<br />

envahie par la bile. Je décris un <strong>ce</strong>rcle complet, emplie de la sensation d'avoir perdu le<br />

contrôle de mon corps, comme la fois où je m'étais enivrée avec Hana. La fureur et le dégoût<br />

me lacèrent, me donnent envie de hurler.<br />

Je trouve un carton aplati derrière une poubelle et je le traîne jusqu'<strong>au</strong> cadavre de Riley<br />

pour l'en recouvrir. J'essaie de ne pas me représenter les insectes qui se seront attaqués à sa<br />

dépouille <strong>au</strong> matin. Je suis décon<strong>ce</strong>rtée de sentir des larmes me brûler les yeux. Je les essuie<br />

du revers de la main, mais, tout en me remettant en route pour Deering, une seule pensée<br />

m'obsède et je me la répète à la façon d'un mantra, ou d'une prière : « Je suis désolée, je

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