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Le%20Pigeon%20-%20Patrick%20Suskind.pdf

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« D’où vient ce pigeon, monsieur ?<br />

— Je n’en sais rien, dit Jonathan. Sans doute est-il entré par<br />

la fenêtre du couloir. Cette fenêtre est ouverte. Cette fenêtre<br />

devrait rester toujours fermée. C’est ce qui est dit dans le<br />

règlement de l’immeuble.<br />

— C’est sans doute un des étudiants qui l’a ouverte, dit<br />

Mme Rocard, à cause de la chaleur.<br />

— C’est bien possible, dit Jonathan. Il n’empêche qu’elle doit<br />

toujours rester fermée. Surtout en été. Quand il fait un orage,<br />

elle peut battre et se briser. C’est arrivé une fois, dans l’été 1962.<br />

À l’époque, cela a coûté cent cinquante francs de remplacer la<br />

vitre. Depuis, le règlement de l’immeuble stipule que cette<br />

fenêtre doit toujours rester fermée. »<br />

Il se rendait bien compte que cette façon de se référer sans<br />

cesse au règlement avait quelque chose de ridicule. Et d’ailleurs<br />

cela ne l’intéressait nullement de savoir comment le pigeon était<br />

entré. Il ne voulait pas parler plus en détail de ce pigeon, car<br />

enfin cet affreux problème ne concernait que lui. Il voulait<br />

donner libre cours à l’indignation que lui causaient les regards<br />

indiscrets de Mme Rocard, et voilà tout, et c’était chose faite<br />

depuis ses premières phrases. L’indignation était à présent<br />

retombée. Maintenant, il ne savait plus comment continuer.<br />

« Eh bien, il faut chasser ce pigeon, et refermer la fenêtre »,<br />

dit Mme Rocard.<br />

Elle disait cela comme si c’eût été la chose la plus simple du<br />

monde, et comme si tout, alors, pouvait rentrer dans l’ordre.<br />

Jonathan ne disait rien. Son regard était pris au piège au fond<br />

de ces yeux marron, et il avait le sentiment de s’y enfoncer<br />

comme dans un marécage doux et marron ; il fut obligé de<br />

fermer les yeux une seconde pour échapper à ce risque et se<br />

dégager, puis de se racler la gorge pour retrouver sa voix.<br />

« Ce qu’il y a, commença-t-il en se raclant encore la gorge,<br />

c’est que c’est déjà taché partout. Rien que des taches vertes. Et<br />

aussi des plumes. Il a sali tout le couloir. C’est surtout ça, le<br />

problème.<br />

— Naturellement, monsieur, dit Mme Rocard, il faut nettoyer<br />

le couloir. Mais d’abord on doit chasser ce pigeon.<br />

— Oui, dit Jonathan. Oui, oui… »<br />

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