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Le%20Pigeon%20-%20Patrick%20Suskind.pdf

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PENDANT la pause de midi, il alla chercher dans le placard<br />

métallique sa valise, son manteau et son parapluie, et il se<br />

rendit dans la rue Saint-Placide toute proche, où se trouvait un<br />

petit hôtel hébergeant surtout des étudiants et des travailleurs<br />

immigrés. Il demanda la chambre la moins chère, on lui en<br />

proposa une à cinquante-cinq francs, il la prit sans la voir, paya<br />

d’avance et laissa son bagage à la réception. Dans un stand, sur<br />

le trottoir, il s’acheta deux petits pains aux raisins et un carton<br />

de lait, puis gagna le square Boucicaut, devant les grands<br />

magasins du Bon Marché. Il s’assit sur un banc à l’ombre, et<br />

mangea.<br />

Deux bancs plus loin, un clochard s’était installé. Il avait une<br />

bouteille de vin blanc entre les cuisses, une demi-baguette dans<br />

une main et, à côté de lui sur le banc, un sachet en papier avec<br />

des sardines fumées. Il tirait les sardines du sachet l’une après<br />

l’autre par la queue, puis d’un coup de dent il leur coupait la<br />

tête, la crachait au loin et mettait tout le reste d’un seul coup<br />

dans sa bouche. Là-dessus une bouchée de pain, une bonne<br />

gorgée au goulot, et un soupir de contentement. Jonathan<br />

connaissait l’homme. En hiver, il était toujours assis devant<br />

l’entrée des livreurs du grand magasin, sur les grilles de la<br />

chaufferie ; et, en été, devant les boutiques de la rue de Sèvres,<br />

ou le porche du foyer, ou à côté du bureau de poste. Il vivait<br />

depuis des dizaines d’années dans ce quartier, depuis tout aussi<br />

longtemps que Jonathan. Et Jonathan se rappelait qu’à<br />

l’époque, trente ans plus tôt, lorsqu’il l’avait vu pour la première<br />

fois, il avait senti une espèce de furieuse jalousie monter en lui,<br />

une jalousie pour la manière insouciante dont cet homme<br />

menait sa vie. Tandis que Jonathan prenait son service tous les<br />

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