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Le%20Pigeon%20-%20Patrick%20Suskind.pdf

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Mme Topell était à sa place ! Il la vit de l’entrée du rayon<br />

« alimentation », assise à sa machine et en train de coudre. Oui,<br />

on pouvait compter sur Mme Topell, même pendant la pause de<br />

midi elle était à son travail, rapide et soigné. Il courut jusqu’à<br />

elle, se planta près de la machine à coudre, ôta la main de sa<br />

cuisse, jeta un coup d’œil sur sa montre-bracelet, il était<br />

quatorze heures cinq, il se racla la gorge et commença :<br />

« Madame… »<br />

Mme Topell termina le plissé d’une jupe rouge qu’elle avait<br />

en chantier, arrêta la machine et releva le pied-de-biche pour<br />

dégager le tissu et couper les fils. Après quoi, elle leva la tête et<br />

regarda Jonathan. Elle portait une très grande paire de lunettes<br />

à grosse monture nacrée, avec des verres fortement bombés qui<br />

lui faisaient des yeux immenses et transformaient ses orbites en<br />

des lacs profonds et pleins d’ombre. Ses cheveux châtains<br />

tombaient droit jusque sur ses épaules et ses lèvres étaient<br />

fardées de violet argenté. Elle pouvait avoir dans les cinquante<br />

ans, ou peut-être cinquante-cinq, son allure était celle des<br />

dames capables de lire votre destinée dans les boules de verre<br />

ou les cartes, l’allure de ces dames qui ont connu des temps<br />

meilleurs et à qui cette appellation de « dame » ne convient plus<br />

vraiment, mais avec qui l’on se sent néanmoins tout de suite en<br />

confiance. Ses doigts aussi – elle repoussa un peu ses lunettes<br />

du bout des doigts vers le haut de son nez, pour mieux<br />

considérer Jonathan –, ses doigts aussi, courts, boudinés et<br />

pourtant – en dépit de tout ce travail manuel – soignés et vernis<br />

de violet argenté, étaient d’une semi-élégance qui inspirait<br />

confiance. « Vous désirez ? » dit Mme Topell d’une voix<br />

légèrement rugueuse.<br />

Jonathan se présenta de biais, montra l’accroc de son<br />

pantalon et demanda ; « Pouvez-vous réparer ça ? »<br />

Et comme sa question lui parut formulée d’une manière un<br />

peu rogue qui pouvait trahir l’excitation due à l’adrénaline, il<br />

ajouta pour l’atténuer, sur un ton aussi anodin que possible :<br />

« C’est un accroc, une petite déchirure… un incident stupide.<br />

Est-ce qu’on peut y faire quelque chose ? »<br />

Mme Topell déplaça le regard de ses yeux immenses le long<br />

de Jonathan, découvrit l’accroc sur la cuisse et se pencha en<br />

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