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là-bas, sur le banc. Comme cela pouvait vous arriver vite, de<br />
devenir pauvre et de sombrer ! Comme il s’effritait vite, le<br />
fondement apparemment bien assis de toute une existence !<br />
« Tu as raté la limousine de M. Roedel », songea-t-il à nouveau<br />
en un éclair. « Ce qui ne s’était jamais passé et n’aurait jamais<br />
dû se passer, c’est tout de même arrivé aujourd’hui : tu as raté la<br />
limousine. Et si aujourd’hui tu rates la limousine, peut-être que<br />
demain tu rateras ton service tout entier, ou bien que tu perdras<br />
la clé de la grille articulée, et le mois suivant tu es licencié de<br />
façon infamante, et tu ne trouves pas de nouveau travail, car qui<br />
voudrait d’un employé capable de telles défaillances ? Personne<br />
ne peut vivre de l’indemnité de chômage ; ta chambre, tu l’as de<br />
toute façon perdue depuis longtemps, elle est habitée par un<br />
pigeon, par une famille de pigeons qui salit et dévaste ta<br />
chambre ; les notes de l’hôtel atteignent des sommes énormes,<br />
tu te soûles pour oublier tes soucis, tu bois de plus en plus, tu<br />
bois toutes tes économies, tu deviens définitivement esclave de<br />
la bouteille, tu tombes malade, c’est la déchéance, la pouillerie,<br />
la décrépitude, on te met à la porte de la dernière et la moins<br />
chère des pensions, tu n’as plus un sou, tu n’as devant toi que le<br />
néant, tu es à la rue, tu dors et tu habites dans la rue, tu<br />
défèques dans la rue, c’est la fin, Jonathan, avant moins d’un an<br />
ce sera la fin, tu seras un clochard en haillons couché sur un<br />
banc de square comme cette loque, là-bas, qui est ton frère.<br />
Il avait maintenant la bouche sèche. Il détourna les yeux du<br />
spectre terrible qu’était l’homme endormi, et il avala la dernière<br />
bouchée de son petit pain aux raisins. Cela dura une éternité<br />
avant que cette bouchée ne soit dans l’estomac, elle descendait<br />
l’œsophage à la vitesse de l’escargot, parfois elle semblait même<br />
s’arrêter en chemin, elle oppressait et faisait mal, comme un<br />
clou enfoncé dans la poitrine, et Jonathan croyait que cette<br />
répugnante bouchée allait l’étouffer. Mais ensuite la chose<br />
repartait, faisait un petit bout de chemin, puis un autre, et enfin<br />
elle eut fini sa descente, et la douleur convulsive se dissipa.<br />
Jonathan respira un grand coup. À présent, il voulait partir. Il<br />
ne voulait pas rester plus longtemps, bien que sa pause de midi<br />
ne se terminât que dans une demi-heure. Il en avait assez. Il<br />
était dégoûté de cet endroit. Du dos de la main, il balaya les<br />
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