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DEHORS, dans la rue, il se trouva plongé dans la lumière<br />
fraîche et gris-bleu du matin. Il ne pleuvait plus. Seuls les toits<br />
s’égouttaient encore, et les auvents ruisselaient, et les trottoirs<br />
étaient pleins de flaques. Jonathan descendit vers la rue de<br />
Sèvres. À perte de vue, on ne voyait personne, et pas une auto.<br />
Les immeubles étaient là, silencieux et modestes, dans une<br />
innocence presque touchante. C’était comme si la pluie les avait<br />
lavés de leur fierté, de leur arrogance pompeuse et de tout ce<br />
qu’ils avaient de menaçant. De l’autre côté, devant le rayon<br />
d’alimentation du Bon Marché, un chat fila le long des vitrines<br />
et disparut sous les éventaires de fruits et légumes vides. À<br />
droite, dans le square Boucicaut, les arbres craquaient<br />
d’humidité. Quelques merles commençaient à siffler, leurs<br />
roulades se répercutaient contre les façades, amplifiant encore<br />
le silence qui régnait sur la ville.<br />
Jonathan traversa la rue de Sèvres et prit par la rue du Bac,<br />
pour rentrer chez lui. À chaque pas, ses semelles trempées<br />
faisaient « floc » sur l’asphalte trempé. C’est comme de marcher<br />
pieds nus, pensa-t-il, songeant plus encore au bruit qu’à la<br />
sensation poisseuse d’humidité dans ses chaussures et ses<br />
chaussettes. Il eut soudain grande envie de quitter chaussures et<br />
chaussettes, et de continuer nu-pieds ; et s’il n’en fit rien, ce ne<br />
fut que par paresse, et non parce qu’il trouvait cela inconvenant.<br />
Mais il pataugeait avec application dans les flaques, flanquant<br />
ses pieds en plein milieu, marchant en zigzag d’une flaque à<br />
l’autre ; à un moment, il changea même de trottoir parce qu’il<br />
avait vu de l’autre côté une flaque particulièrement belle et<br />
grande, et il y posa bien à plat ses semelles clapotantes, faisant<br />
gicler l’eau contre les vitrines d’un côté et les voitures garées de<br />
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