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Le%20Pigeon%20-%20Patrick%20Suskind.pdf

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trente et dix-sept heures, il y avait une petite diversion,<br />

provoquée par l’arrivée ou bien le départ de la limousine de<br />

M. Roedel, le directeur. Il s’agissait alors de quitter sa faction<br />

sur la marche de marbre, de longer rapidement, sur douze<br />

mètres environ, la façade de la banque jusqu’au porche qui<br />

donnait accès à la cour intérieure, d’en ouvrir la lourde grille de<br />

fer, de porter la main à la lisière de sa casquette en un<br />

respectueux salut, et de faire entrer la limousine. Une procédure<br />

analogue pouvait aussi se dérouler en début de matinée ou en<br />

fin d’après-midi, quand se présentait la camionnette blindée<br />

bleue de la Brink’s, pour les transports de fonds. Ce véhicule<br />

aussi exigeait qu’on ouvrit la grille, ses occupants aussi avaient<br />

droit à un salut, mais ce n’était pas le salut respectueux, la main<br />

bien tendue portée à la lisière de la casquette, c’était le petit<br />

salut plus expéditif, de collègue à collègue, l’index seul venant<br />

effleurer la casquette. À part cela, il ne se passait rien. Jonathan<br />

restait là debout, regardait fixement devant lui, et attendait.<br />

Parfois, il regardait ses pieds ; parfois, il regardait le trottoir ;<br />

parfois, il regardait le café, de l’autre côté de la rue. Parfois, sur<br />

la plus basse des marches, il faisait sept pas vers la gauche et<br />

sept pas vers la droite, ou bien il quittait la marche du bas et se<br />

mettait sur celle du milieu, et parfois, quand le soleil tapait trop<br />

fort et que la chaleur faisait sourdre la sueur contre le cuir de sa<br />

casquette, il gravissait même la troisième marche, qui était à<br />

l’ombre du fronton de la grande porte, et, après s’être<br />

brièvement découvert pour s’essuyer le front du bas de sa<br />

manche, il y restait debout, regardait fixement devant lui, et<br />

attendait.<br />

Il avait calculé un jour que, jusqu’à sa retraite, il aurait passé,<br />

debout sur ces trois marches de marbre, soixante-quinze mille<br />

heures. Il serait alors à coup sûr la personne qui dans tout<br />

Paris – et sans doute aussi dans toute la France – serait restée le<br />

plus longtemps debout à un seul et même endroit. C’était<br />

vraisemblablement déjà le cas, bien qu’il n’eût encore passé que<br />

cinquante-cinq mille heures sur les marches de marbre. Car il<br />

n’y avait plus que de très rares vigiles à être ainsi, dans la ville,<br />

employés à poste fixe. La plupart des banques avaient passé<br />

contrat avec des sociétés de gardiennage et se faisaient fournir<br />

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