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Le%20Pigeon%20-%20Patrick%20Suskind.pdf

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maison de tes parents, à Charenton… Non, ce n’est pas la<br />

chambre d’enfant, c’est la cave, oui, la cave, tu es dans la cave de<br />

la maison de tes parents, tu es un enfant, tu n’as fait que rêver<br />

que tu étais devenu une grande personne, un vieux vigile<br />

répugnant, à Paris, mais tu es un enfant et tu es dans la cave de<br />

la maison de tes parents, et dehors c’est la guerre, et tu es<br />

prisonnier sous les décombres, et oublié. Pourquoi n’arrivent-ils<br />

pas ? Pourquoi ne viennent-ils pas me sauver ? Pourquoi ce<br />

silence de mort ? Où sont les autres hommes ? Mon Dieu, où<br />

sont donc les autres hommes ? Je ne peux tout de même pas<br />

vivre sans les autres hommes !<br />

Il était sur le point de crier. Il allait lancer dans le silence<br />

cette phrase criant qu’il ne pouvait tout de même pas vivre sans<br />

les autres hommes, tellement sa détresse était grande, tellement<br />

était désespérée cette peur d’être abandonné qu’éprouvait<br />

l’enfant sénile Jonathan Noël. Mais au moment où il allait crier,<br />

il reçut une réponse. Il entendit un bruit.<br />

On frappait. Tout doucement. Et l’on frappait encore. Puis<br />

une troisième fois et une quatrième fois, quelque part en haut.<br />

Et puis, au lieu de frapper, on se mit à tambouriner<br />

délicatement et régulièrement, et ce roulement de tambour<br />

devint de plus en plus fort, et finalement ce ne fut plus un<br />

roulement, mais un crépitement puissant et opulent, et<br />

Jonathan reconnut le crépitement de la pluie.<br />

Alors l’espace se remit tout d’un coup en ordre, et Jonathan<br />

reconnut dans la petite tache claire et carrée la lucarne donnant<br />

sur le puits à poussière, et reconnut dans la pénombre les<br />

contours de la chambre d’hôtel, le lavabo, la chaise, la valise, les<br />

murs.<br />

Il détacha du matelas ses mains crispées, il ramena ses<br />

jambes contre sa poitrine et les enserra dans ses bras. Ainsi<br />

replié sur lui-même, il resta assis longtemps, peut-être une<br />

demi-heure, à écouter le crépitement de la pluie.<br />

Puis il se leva et s’habilla. Il n’eut pas besoin d’allumer, il s’y<br />

retrouvait tout à fait dans la pénombre. Il prit sa valise, son<br />

manteau, son parapluie, et quitta la chambre. Il descendit sans<br />

bruit l’escalier. Le portier de nuit, à la réception, dormait.<br />

Jonathan passa devant lui sur la pointe des pieds et, pour ne pas<br />

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