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La Spruce Falls,<br />
alimentée par une<br />
main-d’œuvre japonaise<br />
Nombreux sont les Japonais qui ont travaillé dans les<br />
camps de bûcheronnage de la papetière Spruce Falls,<br />
notamment au camp 5A. Photo : Fonds Germaine<br />
Campbell, musée commémoratif Ron-Morel.<br />
Un an après la fermeture du camp de<br />
prisonniers de guerre de Kapuskasing,<br />
9 021 Japonais d’origine habitent le<br />
Canada, et 95 % de ceux-ci résident en<br />
Colombie-Britannique 1 . Mais l’opinion<br />
publique et politique ne joue pas en<br />
leur faveur. Pendant la Dépression,<br />
notamment, leurs conditions de vie,<br />
leurs salaires, leur réputation de<br />
travaillants acharnés et consciencieux,<br />
et leur ghettoïsation déplaisent aux<br />
travailleurs comme aux politiciens.<br />
Les Japonais d’origine nés au Canada<br />
et les naturalisés ne jouissaient pas des<br />
pleins droits de tout citoyen canadien 2 .<br />
L’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre<br />
1941, a été un prétexte idéal<br />
pour disperser partout au Canada<br />
les quelque 27 000 Japonais d’origine<br />
vivant en Colombie-Britannique. Au<br />
printemps suivant, la majorité d’entre<br />
1 Ken Adachi, The Enemy That Never Was. A<br />
History of the Japanese Canadians, Toronto,<br />
McClelland and Stewart, 1976.<br />
2 À ce sujet, lire Ken Adachi.<br />
eux est rassemblée dans un champ<br />
de foire – des granges et des étables<br />
– avant d’être déplacée dans des<br />
camps intérieurs dans la région du<br />
Kootenay, dans des camps routiers ou<br />
à l’est des Rocheuses.<br />
En fait, le 4 août 1944, le premier<br />
ministre canadien Mackenzie King<br />
somme les Japonais d’origine, confinés<br />
aux camps intérieurs, de quitter la<br />
Colombie-Britannique. On leur a<br />
offert la déportation vers le Japon ou<br />
le déménagement ailleurs au Canada.<br />
Ils ont été nombreux à se rendre à<br />
Toronto ou dans les terres agricoles du<br />
Sud ontarien.<br />
Ken Adachi, Barry Broadfoot et J.L.<br />
Granatstein, pour ne nommer qu’eux,<br />
ont beaucoup parlé de la situation des<br />
Japonais d’origine de la Colombie-<br />
Britannique; d’autres historiens se<br />
sont penchés sur celle de ces mêmes<br />
groupes, œuvrant dans les champs de<br />
betterave à sucre et les vergers du Sud<br />
ontarien, mais l’histoire de ceux du<br />
Nord demeure négligée. Il y a pourtant<br />
beaucoup de matière, pour les<br />
historiens – notamment à Opasatika,<br />
un village sur le corridor de la route<br />
11. On y accueille, de 1946 à 1949, une<br />
vingtaine de familles.<br />
Mais il ne s’agissait pas d’un premier<br />
influx de Japonais d’origine dans la<br />
région. Selon les rapports annuels<br />
de la division de la foresterie à la<br />
Spruce Falls Power and Paper Co.,<br />
53 employés « Jap-Nisei 3 » y ont<br />
travaillé, soit quelques mois après<br />
que la guerre du Pacifique a éclaté, en<br />
1942-1943. L’année suivante, ils sont<br />
34. Puis, selon ces mêmes rapports<br />
annuels, à la levée de la Loi sur les<br />
mesures de guerre, l’usine Spruce Falls<br />
en vient à une entente avec la division<br />
3 Les Nisei sont les enfants des immigrants<br />
japonais, la première génération de Canadiens<br />
d’origine japonaise.<br />
Notre communauté, nos institutions<br />
japonaise du ministère fédéral du<br />
Travail. On s’engage à aménager un<br />
établissement permanent pour loger<br />
les travailleurs et leurs familles, mais<br />
des arrangements leur permettent de<br />
se loger, entre-temps, dans un camp<br />
de Hearst, dans un camp de Val Côté<br />
et au camp 32 de la Spruce Falls.<br />
L’année suivante, la papetière<br />
investit 47 700 $ dans la construction<br />
de ce hameau, sur les terres d’un<br />
M. Isabelle, sur le chemin Crow Creek,<br />
à Opasatika.<br />
L’agglomération se compose de 11 résidences<br />
à deux appartements pouvant<br />
héberger deux familles, une école<br />
à deux pièces, payée par le ministère<br />
de l’Éducation, un lot de 100 acres<br />
pour l’aménagement de jardins.<br />
Quelques familles y resteront pendant<br />
10 ou 12 ans, d’autres se déplaceront<br />
rapidement vers Kapuskasing, où<br />
les adolescents peuvent poursuivre<br />
des études secondaires, et d’autres<br />
préféreront s’établir à Toronto.<br />
Si la Première Guerre mondiale est<br />
à l’origine même de Kapuskasing,<br />
la Deuxième Guerre mondiale aura<br />
permis à sa principale industrie de se<br />
trouver un bassin de main-d’œuvre<br />
à une époque où celle-ci était très<br />
recherchée. Preuve faite, on recense<br />
des dizaines de contrats forestiers de<br />
la sorte, dans le nord de l’Ontario.<br />
Serait-ce alors correct – politiquement<br />
comme historiquement – de conclure<br />
que Kapuskasing doit sa naissance et<br />
le maintien de son tissu économique<br />
aux grands conflits mondiaux? Il<br />
s’agit peut-être de facteurs parmi tant<br />
d’autres, mais certainement d’événements<br />
qui ont contribué à la diversité<br />
ethnique qui existe aujourd’hui dans<br />
ce village nord-ontarien.<br />
Le Chaînon, <strong>Automne</strong> <strong>2009</strong><br />
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