T4 - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée
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l’inaliénabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés foncières, suj<strong>et</strong>te à beau-coup <strong>de</strong> graves<br />
inconvénients.<br />
C’est à coup sûr un fait très remarquable, <strong>et</strong> qui jusqu’ici avait échappé à<br />
l’observation, que c<strong>et</strong>te espèce <strong>de</strong> substitution appliquée à tout un peuple.<br />
Cependant c<strong>et</strong>te mesure reçut une exécution complète à Rome pendant <strong>de</strong>ux<br />
cent trente ans ; ce qui prouve combien l’état social <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens différait du<br />
nôtre, où une pareille loi serait à <strong>la</strong> fois ridicule <strong>et</strong> inexécutable.<br />
Jusqu’ici il me semble que Tiberius ne pouvait être blâmé : il rétablissait une loi<br />
qui était en quelque sorte née avec Rome, une loi dont les eff<strong>et</strong>s salutaires,<br />
pendant <strong>de</strong>ux siècles, avaient été appréciés par tous les <strong>hommes</strong> éc<strong>la</strong>irés,<br />
vertueux <strong>et</strong> impartiaux. Q. Cincinnatus, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> soutiens du parti aristocratique<br />
<strong>et</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus violents adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> tribuns, se conformait exactement à <strong>la</strong><br />
loi agraire <strong>et</strong> ne possédait que sept jugères en fonds <strong>de</strong> terre. Fabricius,<br />
Coruncanius, Emilius Papus, avaient conservé <strong>la</strong> même modération, <strong>et</strong> ils<br />
cultivaient leurs sept journaux sans esc<strong>la</strong>ves.<br />
Manius Curius, le vainqueur <strong>de</strong> Pyrrhus, refusa <strong>la</strong> part du butin <strong>et</strong> le don <strong>de</strong><br />
cinquante jugères que le peuple lui offrit en reconnaissance <strong>de</strong> ses grands<br />
services. Le célèbre Regulus ne possédait aussi que sept jugères dans le<br />
territoire insalubre <strong>et</strong> stérile <strong>de</strong> Pupinies.<br />
Fabius Cunctator, celui qui arrêta le premier les progrès d’Annibal, le grand<br />
Fabius, <strong>de</strong>ux fois dictateur <strong>et</strong> cinq fois consul, n’avait en propriété que sept<br />
journaux <strong>de</strong> terres, qu’il vendit pour rach<strong>et</strong>er <strong><strong>de</strong>s</strong> prisonniers <strong>et</strong> acquitter ses<br />
conventions avec Annibal.<br />
Les <strong>de</strong>ux Scipion morts en Espagne, Tubéron, tous les Ælius, s’honoraient <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
même modération dans les désirs, <strong>et</strong> regardaient l’obéissance exacte aux lois<br />
liciniennes comme un <strong>de</strong>voir sacré envers <strong>la</strong> patrie1.<br />
Il nie paraît donc évi<strong>de</strong>nt que les écrivains <strong>la</strong>tins qui ont blâmé les premières<br />
propositions <strong>de</strong> Tiberius parlent plutôt le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> leurs intérêts que celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
justice <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’utilité publique. D’ailleurs ces auteurs, peu nombreux, étaient liés<br />
au parti oligarchique, qui prédomina dans Rome jusqu’au second consu<strong>la</strong>t <strong>de</strong><br />
César.<br />
Les historiens neutres, tels que Polybe, Salluste, Pline, Tacite, <strong>et</strong> les écrivains qui<br />
ont traité <strong>de</strong> l’agriculture, Caton, Varron, Columelle, s’accor<strong>de</strong>nt à vanter les<br />
avantages <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi agraire <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> division <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés.<br />
Tiberius épuisa tous les moyens <strong>de</strong> conciliation ; il consentit à rem<strong>et</strong>tre sa loi au<br />
jugement du sénat ; mais <strong>la</strong> faction <strong><strong>de</strong>s</strong> riches, détenteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés<br />
publiques, l’accab<strong>la</strong> d’injures <strong>et</strong> ne voulut rien cé<strong>de</strong>r. Enfin, après plusieurs<br />
tentatives infructueuses pour ramener son collègue Octavius aux intérêts du<br />
peuple <strong>et</strong> le faire désister <strong>de</strong> son opposition, il rendit une ordonnance par<br />
<strong>la</strong>quelle il défendait à tous les magistrats <strong>de</strong> faire aucun exercice <strong>de</strong> leurs<br />
charges jusqu’à ce que le peuple eût délibéré sur <strong>la</strong> loi2. C<strong>et</strong>te ordonnance<br />
n’ayant produit aucun eff<strong>et</strong>, il proposa <strong>la</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>titution <strong>de</strong> son collègue, mesure qui<br />
passa d’une voix unanime.<br />
La loi ne trouva plus d’obstacle : le partage <strong><strong>de</strong>s</strong> terres fut ordonné, <strong>et</strong> l’on<br />
nomma trois commissaires pour en faire l’inventaire <strong>et</strong> <strong>la</strong> distribution, savoir :<br />
1 Voyez le chap. sur <strong>la</strong> popul. servile.<br />
2 Appien, Bell. civ., I, 12. Plutarque, Tib. Gracchus, c. IX, sqq. Freinshem, Suppl., liv. LVIII, 20, sqq.