Le mystère du verbe - Contrepoint philosophique
Le mystère du verbe - Contrepoint philosophique
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texte n'apparaît véritablement qu'au travers <strong>du</strong> style, de la formulation. <strong>Le</strong> mouvement de la<br />
langue révèle la substance <strong>du</strong> texte et la forme rend compte en elle-même <strong>du</strong> contenu. Si le<br />
Monologue est d'une richesse inépuisable, cela est dû essentiellement à la force de son<br />
expression et à la puissance des mots qui le constituent. Autrement dit, ce n'est pas à<br />
proprement parler la pensée qui est l'aimant de ce texte, mais sa formulation. Cette dernière<br />
donne réellement vie et sens au texte et incarne les idées que Novalis défend.<br />
Voici de manière intégrale le texte tra<strong>du</strong>it par A. Guerne:<br />
«C'est au fond une drôle de chose que de parler et d'écrire; la vraie conversation, le<br />
dialogue authentique est un pur jeu de mots. Tout bonnement ahurissante est l'erreur ridicule<br />
des gens qui se figurent parler pour les choses elles-mêmes. Mais le propre <strong>du</strong> langage, à<br />
savoir qu'il n'est tout uniment occupé que de soi-même, tous l'ignorent. C'est pourquoi le<br />
langage est un si merveilleux <strong>mystère</strong>, et si fécond: que quelqu'un parle tout simplement<br />
pour parler, c'est justement alors qu'il exprime les plus originales et les plus magnifiques<br />
vérités. Mais qu'il veuille au contraire parler de quelque chose de précis, voilà tout aussitôt<br />
la langue malicieuse qui lui fait dire les pires absurdités, les bourdes les plus grotesques.<br />
Aussi est-ce bien de là que vient la haine que tant de gens sérieux ont <strong>du</strong> langage. Sa<br />
pétulance et son espièglerie, ils la remarquent; mais ce qu'ils ne remarquent pas, c'est que le<br />
bavardage à bâtons rompus et son laisser-aller si dédaigné sont justement le côté infiniment<br />
sérieux de la langue. — Si seulement on pouvait faire comprendre aux gens qu'il en va <strong>du</strong><br />
langage comme des formules mathématiques: elles constituent un monde en soi, pour elles<br />
seules; elles jouent entre elles exclusivement, n'expriment rien sinon leur propre nature<br />
merveilleuse, — ce qui, justement, fait qu'elles sont si expressives, que justement en elles se<br />
reflète le jeu étrange des rapports entre les choses. Membres de la nature, c'est par leur<br />
liberté seulement qu'elles le sont, et c'est seulement par leurs libres mouvements que<br />
s'exprime l'âme <strong>du</strong> monde, en en faisant tout ensemble une mesure délicate et le plan<br />
architectural des choses. De même en va-t-il également <strong>du</strong> langage: celui qui a le sens et un<br />
fin sentiment de l'âme musicale <strong>du</strong> langage, de sa cadence et <strong>du</strong> doigté requis; celui qui sait<br />
entendre en soi sa subtile exigence, qui bien saisit la tendre volonté de sa nature intime avant<br />
d'abandonner à leur autorité ou sa plume ou sa langue: celui-là, oui, ce sera un prophète.<br />
Celui, par contre, qui en connaît bien savamment tout aussi long, mais qui n'a ni assez<br />
d'oreille, ni le sens suffisant <strong>du</strong> langage pour écrire des vérités comme celles-ci, le <strong>verbe</strong>,<br />
alors, se moquera de lui, et comme Cassandre chez les Troyens, il sera la risée des hommes.<br />
Je puis bien croire avec cela, avoir donné l'idée la plus précise et la plus claire de l'essence<br />
et de la fonction de la poésie, je sais aussi qu'il n'y a pas un homme pour le comprendre et la<br />
saisir, et que, l'ayant voulu dire, j'ai dit quelque chose de complètement idiot, d'où toute<br />
1 Notre analyse doit beaucoup au travail très fouillé et intelligent d'Ingrid STROHSCHNEIDER-KOHRS, Die<br />
romantische Ironie in Theorie und Gestaltung, Niemeyer, Tübingen, 1977, p. 249-273.