Lettre de Jean-Léon Prevost – avec illustrations

Maître, qui allait le rappeler à Lui, avait mis dans ses dernières inspirations celle dʹencou‐
rager notre petite famille et dʹaccroître son espérance et sa confiance dans lʹavenir. Soyons
donc bien paisibles, très chers amis, nos travaux, nos épreuves sont lʹœuvre de Dieu en
nous, ne nous tourmentons pas, nʹempêchons pas lʹopération divine, elle façonne ainsi nos
âmes et, je lʹespère aussi, lʹédifice de miséricorde et de salut quʹelle prépare dans notre pe‐
tite famille. Avec cette confiance, chers amis, vous porterez courageusement le surcroît de
difficultés et de peines que les rigueurs de lʹhiver ajoutent à vos travaux, vous traverserez
dans la patience ces jours durs et sombres, puis le printemps reviendra, nous respirerons
un peu, le soleil nous réjouira et, je lʹespère aussi, chers amis, la douce joie de nous revoir
épanouira nos cœurs. Je vous recommande à vous en particulier, bien cher f. Paillé, de se‐
couer vos humeurs noires, dʹavoir un visage agréable, beaucoup dʹaménité et toutes ces
suavités que vous aviez mises dans vos résolutions à cette mémorable conférence qui vint
un peu après celle de lʹâne et du bœuf logés dans votre cœur; nʹoubliez pas quʹil y avait là
aussi un mouton; cʹest une aimable bête, tâchez de lui ressembler.
Jʹai bien négligé mes pauvres enfants Emile et Jean‐Marie, mais je leur écrirai à
quelques bons moments que le bon Dieu me donnera; quʹils sachent bien, en attendant,
que je les suis des yeux, que je sais tout ce quʹils disent et font, parce que mon cœur est
avec eux, que le cœur voit de loin quand il aime beaucoup et que le mien leur est tendre‐
ment attaché. Vous voyez bien, chers enfants, que le bon Dieu est avec nous puisque sa
charité nous unit si affectueusement et, sʹIl est avec nous, que pouvons‐nous craindre? Al‐
lons donc en avant, malgré le froid, le brouillard et la boue; vive le Seigneur, que le froid et
le chaud le bénissent, et que nos cœurs soient toujours pour Lui, quoi quʹil arrive,
confiants, reconnaissants et pleins dʹamour.
Je vous remercie, mon f. Paillé, de
votre bonne pensée de mʹenvoyer la vie de
la chère sœur Rosalie 275 (je viens de le rece‐
voir; lʹautre livre Rio pourra, sʹil y a lieu,
être envoyé avec le vin). Je voudrais bien
que vous mʹenvoyiez les Quatre martyrs de
M. Rio 276 , chez Bray, édition à 2f prix fort,
mais je désirerais avant savoir un peu par
quelquʹun qui lʹaurait lu ce que cʹest que ce
livre et quels sont ces quatre martyrs.
Jʹestime le talent et le bon esprit de M. Rio,
mais il est toujours bon de sʹinformer un
peu. Je pense bien dʹailleurs que ce nʹest
quʹun livre de délassement. Le petit livre
La Présence de Dieu de Gonnelieu, est une perle; jʹen fais ma nourriture, je remercie Dieu de
me lʹavoir envoyé. Je vous demanderai un peu de vin bientôt, sans doute, tant de Vaugi‐
rard que de celui de M. Dupuis; en tout, une vingtaine de bouteilles, jʹattends encore un
peu pour bien préciser. Le vin à 1f me va autant que celui à 2f, ce sera une économie. Je
nʹai pas encore besoin dʹargent; jʹespère, à moins dʹaccidents, nʹen avoir besoin que pour
275 L'apôtre du quartier Mouffetard, à Paris, sœur Rosalie Rendu, était décédée le 7 février 1856. Le jour de ses obsèques, le vicomte
de Melun décidait de rédiger sa biographie. Peut-être est-ce ce livre que M. Paillé a fait envoyer à MLP.?
276 Alexis-F. Rio, (cf. lettre 20) appartenait au groupe de Lamennais, qu'il accompagna à Rome en 1832. Auteur d'ouvrages d'histoire
de l'art chrétien. Son livre Les Quatre martyrs venait de paraître en 1856.
567