Serge Viau : : : Chien d'écrivain
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−−− <strong>Chien</strong> d’écrivain −−−<br />
H. V. : La nécessité qui pousse un homme<br />
à choisir, pour vivre, une figure de la<br />
mort, doit être une bien grande nécessité.<br />
L. J. : La nécessité est la nécessité, c’est<br />
tout. Dans la vie, seule la vie elle-même n’a<br />
rien de nécessaire. On s’arrange comme on<br />
le peut avec le reste, avec tout le reste – les<br />
souliers, la fête de Noël, les hémorroïdes et<br />
les poignées de porte.<br />
H. V. : Pourquoi le couturier fou était-il<br />
persuadé qu’il pouvait voler ?<br />
L. J. : Eh bien, peut-être n’était-il pas<br />
fou. Peut-être avait-il eu le malheur de ne<br />
pas naître parmi la bonne espèce. Il devait<br />
avoir une tête, une cervelle d’oiseau. La<br />
nature avait dû fourrer cette cervelle dans<br />
de la mauvaise carcasse, à laquelle il manquait<br />
une paire d’ailes, noires, sans doute,<br />
puisque c’est la couleur dans laquelle il a<br />
choisi de tailler sa cape fabuleuse. Il était<br />
fait pour voler ; comme il ne le pouvait pas,<br />
il en est mort, d’une façon spectaculaire, il<br />
faut bien le reconnaître, mais mort tout de<br />
même. Il s’est jeté, il a plongé, pour ainsi<br />
dire du haut de lui-même, du haut de sa<br />
cervelle d’oiseau, dans ce qui était peut-être<br />
sa plus authentique intimité – ou sa plus<br />
intime authenticité.<br />
H. V. : Peut-être était-il simplement fou.<br />
L. J. : C’est plus probable, en effet. S’il<br />
ne l’avait pas été, je suppose qu’il aurait<br />
vraiment pu voler.<br />
H. V. : Mais il en serait mort.<br />
L. J. : Il en serait mort tout de même.<br />
Comme tout le monde. Que ça leur apprenne<br />
à vivre, bande de caves.<br />
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