Serge Viau : : : Chien d'écrivain
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−−− <strong>Chien</strong> d’écrivain −−−<br />
catholique de mes ancêtres, parmi la classe<br />
moyenne, en Amérique du Nord. C’est ce<br />
qui fait de moi un écrivain de race blanche<br />
et de sexe masculin, né au milieu du XXe<br />
siècle de l’ère chrétienne et élevé dans la<br />
religion catholique de ses ancêtres, parmi la<br />
classe moyenne, en Amérique du Nord.<br />
7 avril<br />
Deux années, trois années, peut-être, je<br />
ne sais plus, je ne l’ai jamais su, comment<br />
pourrait-on savoir à quelle heure, quelle<br />
journée, un cancer a commencé, c’était un<br />
voyage dans la mort, c’était ma première<br />
mort, incestueuse petite sœur, Petite Mort<br />
aux joues roses, proprette et riante, une<br />
mort à fossettes, pétante de santé, vive et<br />
claire et gaie, sans rien de celle de M.<br />
Freud, non, et puis ç’a été ne plus pouvoir<br />
travailler, ne plus connaître comment vivre,<br />
ne plus jamais rire du fond du cœur, ne<br />
plus rien décider, ne plus écrire sur du<br />
papier, mais boire de la bière et regarder la<br />
télévision, sans la voir, du fond du gros<br />
fauteuil brun où elle m’était apparue, le<br />
premier soir, moderne visage de la mort,<br />
sans le son, molle mort à l’œil chatoyant,<br />
dans l’œil d’un écran, bas de gamme de la<br />
Mort au fauteuil, le fauteuil couleur de terre<br />
meuble, petite mort froide, cool, sans<br />
couilles, sans douleur, sans angoisse ni<br />
désespérance, mort de brouillard anglais et<br />
d’indifférence, l’argent jeté par les fenêtres,<br />
la Mort disant « Abandonne tous tes biens<br />
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