zad moultaka - Le Parvis

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2 Le zajal est une forme de poésie populaire dialectale qui remonte à la nuit des temps, et en tout cas aux temps anté-islamiques. Né peut-être dans le souffle poétique du chant de saint Ephrem et des pères de l’église ancienne, l’influence de la langue syriaque et de ses hymnodies y est encore perceptible : métrique, expressions, empreinte des accents régionaux… D’autres formes - le hoda (le chant des chameliers), la zalghouta (iodle), le nadb (l’élégie), la ateba (reproche, lamentation), le mijana, le chrouki, le begdadi - témoignent de son enracinement dans les traditions sociales et culturelles des bédouins des tribus de la péninsule arabe. On lui attribue aussi - c’est l’opinion la plus répandue en occident - une seconde naissance dans l’Andalousie de l’âge d’or (XI e -XII e siècles) où l’on devrait son invention à Ibn Quzman, né en 1078 et décédé en 1160 à Cordoue et surnommé le Prince du Zajal. Le zajal s’est répandu au fil des siècles dans le monde arabe. Il ne survit aujourd’hui de façon vivace qu’en Egypte, au Maghreb, au Liban, en Syrie, en Iraq et en Palestine… Zajal ou le défi De zajila : chanter, fredonner, élever la voix, parler haut, jouer, s’amuser... désigne la poésie dialectale populaire mais aussi le jeu, la joie bruyante, le vacarme... Il appartient à la grande famille des joutes oratoires méditerranéennes qu’on retrouve en Grèce, en Italie, en Espagne, en Sardaigne, en Sicile, en Corse, en Occitanie, au pays basque… Le principe est identique : souvent ritualisée, la joute naît d’un affrontement verbal, la plupart du temps autour d’une table garnie et festive. improvisations, invectives, surenchères métaphoriques en langue dialectale, devant un public partisan, bruyant et enthousiaste. Parole ludique, art de la controverse et de la dialectique, elle est contre culture par rapport au discours dominant et savant, lieu d’affranchissement de l’expression. Enjeux Pour Zad Moultaka aussi cette forme zajal remonte à la nuit des temps, aux soirées perdues de son enfance à Beyrouth. Le zajal se pratiquait alors dans les villages, à la montagne et à la télévision nationale il était omniprésent, du programme thématique à l’interlude avant les informations ou palliant les pannes techniques. L’enfant baignait ainsi dans cet univers où les poètes rivalisent, chacun soutenu par son «clan», «commenté» par les 3
4 percussions et quelques instruments traditionnels. Zad Moultaka, installé à Paris depuis le milieu des années quatre-vingt, a emprunté le chemin de l'écriture musicale. Il tend toutes ses réflexions, voire ses obsessions, vers un lieu de rencontre, ou une synthèse, improbables. Profondément enraciné dans le monde arabe et la culture occidentale, il cherche dans cette formule du zajal, si conviviale, si populaire et si cultivée, une matière à explorer sur le plan de la forme et de l’écriture. Il lit dans cette tradition toujours vivante une combinaison de multiples modes d’expressions et notamment une forme très archaïque de l'opéra conjuguant poésie, musique, improvisation, scénographie et écriture. Il y trouve également l'écho de diverses préoccupations contemporaines, que ce soit dans le rapport au texte - chez Berio, Aperghis, Leroux, Nono… -, ou dans les formes musicales populaires actuelles telles que le rap ou le slam... Les textes de zajal en arabe dialectal, la plupart du temps improvisés, sont élaborés par rapport à leur sonorité, à la dynamique et à la rythmique de la langue, par l’agencement des mots, les audaces syntaxiques, les choix lexicaux, les césures… Ces jeux n’occultent pas pour autant le sens. Il est une manière toute acrobatique de composer et d’énoncer les poèmes, où la théâtralisation prend tout son sens dramatique et musical. D’où le projet de Zad Moultaka d’enrichir sa réflexion sur les langages contemporains, de travailler à partir de cette forme spécifique, d’en garder la substance, le goût de la langue, l’ambiance, la dramaturgie primitive. C'est un zajal contemporain que propose le compositeur en interrogeant la mémoire collective et la relation entre tradition et modernité, initiant une réflexion sur les racines populaires, en même temps que sur la possibilité d'une forme d'opéra arabe. On y retrouvera les ingrédients du zajal populaire : la table du banquet, l’assistance, les rivaux, le rythme, la métrique, la gouaille d’un texte original...Mais ces éléments sont transmués, mis en scène, en musique et en espace de façon épurée, minimaliste et radicale. Comme disait Béla Bartók au sujet de la musique populaire, le compositeur «l'absorbe complètement dans son essence et l'utilise comme sa langue maternelle musicale…». Zad Moultaka obtient ainsi un « effet profond » en utilisant ce matériau, faisant resurgir ce « quelque chose qui se terre dans la musique paysanne ». Accessible, drôle, nostalgique, poétique, il s'agit ainsi d'un hommage vibrant à la tradition qui lui ouvre des perspectives nouvelles.... Cet hommage est particulièrement manifeste au cours du 2 e acte dans lequel l'apparition et la disparition des visages et des voix de Zaghloul el Damour, Khalil Roukouz, Zein Sh'eyb, Talih Hamdan... témoignent de façon poignante de l'admiration que porte le compositeur à ces zajalistes extraordinaires des années quatre-vingt. Argument Le livret raconte un épisode de la vie, au début du XX e siècle, du surnommé «Chahrour el-Wadi » (Le merle de la vallée), de son vrai nom Assaad Khoury el-Feghali (1894-1937), jeune homme parti à l’aventure depuis quelques années et qui revient au village un jour au cours d’une fête de mariage. Le visage masqué, il va défier son propre père, créant un échange délicieusement dynamique et virtuose. Cette soirée qu’on situe aux alentours de 1909, a été retranscrite puis publiée récemment par les soins de Nabil el Feghali, fils du Chahrour. L’histoire se passe à Wadi Chahrour, un village de la région de Baabda, riche en oliviers et en poètes et célèbre pour ses joutes oratoires. Le prêtre Louis el-Feghali, de son vrai nom Khalil Semaan, personnage un peu fantasque et grand zajaliste, reçoit un jour de noces la visite d’un étranger venu le provoquer. Stupéfait par l’audace du jeune homme, Khalil Seeman accepte. Le village se rassemble, on apprête sur la grande place l’espace de la lutte. Le public s’installe avec des verres d’arak et quelques mezzés. Dans un premier temps, le prêtre met le jeune homme à l’épreuve, lui imposant des contraintes rhétoriques de plus en plus ardues à respecter. Mais le jeune homme est virtuose, il s’en tire avec brio. Il allie à la dextérité poétique une voix extraordinaire et force l’admiration générale. La tension monte, la foule est presque en transe. Après une pause que Zad Moultaka transforme en épisode onirique, le vieux jouteur va, au terme d’un dernier échange vif et délicieux, abdiquer et sommer le jeune homme de se découvrir. Révélation. Il s’agit en vérité de son propre fils qu’il n’a pas reconnu et dont il conviendra qu’il est celui « qui a envoûté les Arabes ». On entre ici de plain-pied dans l’espace du conte et son épilogue symbolique. Une histoire vraie Dans les faits, Assaad el-Khoury el-Féghali, sera sacré plus tard «émir du Zajal» et «Chahrour el-Wadi » (le merle de la vallée) par le public et par ses pairs. Il aura joué un rôle très important dans l’essor du zajal. C’est lui, qui l’a professionnalisé en lui donnant des règles strictes et en créant la première troupe de zajal en 1928 en compagnie d’Amin Ayyoub, Youssef Abdallah el-Kehali, Elias el-Kahwaji. 5
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