22THÉÂTRETri sélectifTout l’art du théâtreLe Costume, tiré d’une nouvelle de Can Thembaécrite juste avant l’Apartheid, et de quelquestextes des années 70 qui imprim<strong>en</strong>t le reculhistorique nécessaire, dit l’oppression sans ytoucher, par la misère. Car la ségrégation estdéjà à l’œuvre dans cette Afrique du sud desannées 50, mais pr<strong>en</strong>d ici la forme d’un dramebourgeois : un mari trompé, une femme qui subitsans mot dire sa v<strong>en</strong>geance, et <strong>en</strong> meurt.Peter Brook repr<strong>en</strong>d ce texte, qu’il avait monté<strong>en</strong> français 1999, <strong>en</strong> anglais cette fois, avec desacteurs sud africains, une spl<strong>en</strong>dide chanteuse,divine actrice, et trois musici<strong>en</strong>s. La simplicitéde la scénographie, fondée sur deux chaises,une petite table, trois portants qui délimit<strong>en</strong>tl’espace, ti<strong>en</strong>t de l’épure miraculeuse. Sophiatownest là, pas <strong>en</strong>core township mais déjàmisérable, et l’espace privé d’un couple, un barclandestin, un arrêt de bus, un club culturel oùl’esprit un instant croit s’échapper d’un réel quicourt vers une omniprés<strong>en</strong>te catastrophe. Prisau piège d’une cruauté qu’il subit et fait subir lemari désespéré se transforme <strong>en</strong> bourreau desa femme. L’Apartheid est là, <strong>en</strong> filigrane, dansce bonheur bourgeois désiré et impossible.Les comédi<strong>en</strong>s sont d’une justesse rarem<strong>en</strong>tatteinte. D’un geste, un cou qui s’affaisse, d’uneposition dans un bus imaginaire, d’un sil<strong>en</strong>cejuste un peu trop pesant ils parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à communiquerlittéralem<strong>en</strong>t au public, qui l’éprouve,l’effondrem<strong>en</strong>t des rêves, l’angoisse, la noirceur,puis la mort qui happe. Une subtilité constanteachemine chaque spectateur vers une émotion© V. Arbelet© Johan PerssonAu diable la philosophie dans le boudoir etbi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue au bonheur, toujours une idée neuvedans ce monde sans Lumières. On se pr<strong>en</strong>d àrêver à la scène d’après, celle qui suivrait ladernière de Que Faire ? le retour qui nous prometde sacrés illuminations et surtout un Boum <strong>en</strong>avant plus radical que celui de Charles Tr<strong>en</strong>et !En voilà une soirée qui relance la machine -façonnostalgie c’est vrai mais avec des trucs dethéâtre pas grippés– à bricoler son monde devigueur, de rigueur et de fantaisie !Si Lénine est dans son mausolée, sa questioncourt <strong>en</strong>core sur les jambes de François Chattotet Martine Schambacher dont l’imm<strong>en</strong>setal<strong>en</strong>t consiste à littéralem<strong>en</strong>t rajeunir sur scènedans la liberté suprême de leurs corps : maisque font-ils donc justem<strong>en</strong>t dans cette cuisinede vieux couple ? Elle ramène du marché les Méditationsmétaphysiques de Descartes p<strong>en</strong>dantqu’il démonte un réveil ; du fond du cabas,l’injonction à détruire les anci<strong>en</strong>nes opinions queB<strong>en</strong>oît Lambert dans une mise <strong>en</strong> scèneépoustouflante pr<strong>en</strong>d au pied de la lettre : leslivres vals<strong>en</strong>t au gré de «on garde» «on jette» etles grands textes dans la bouche de nos deuxhéros dansants retrouv<strong>en</strong>t une saveur oubliée.Mickeymousing ou music-hall à paillettes façonNina Hag<strong>en</strong>, performances conceptuelles parodiques(Semiotics in the Kitch<strong>en</strong> et son alphabetdécapant ; Joseph Beuys, son feutre et soncoyotte) chansons t<strong>en</strong>dres de nos années, toutest bon pour dire et provoquer le plaisir dep<strong>en</strong>ser <strong>en</strong>semble à deux ou à dix mille.Traiter les idées avec t<strong>en</strong>dresse et les spectateursavec respect est donc <strong>en</strong>core possible :merci de l’avoir rappelé avec un tel brio !MARIE JO DHOQue faire ? le retour a été prés<strong>en</strong>té par les ATPd’Aix-<strong>en</strong>-Prov<strong>en</strong>ce et joué au Théâtre AntoineVitez les 2 et 3 avrilint<strong>en</strong>se, tout <strong>en</strong> ménageant des temps délicieuxde dét<strong>en</strong>te, de rire, de complicité, de chants etde musique… À 87 ans, Peter Brook est au sommetde son art, imm<strong>en</strong>se.AGNÈS FRESCHELThe Suit, créé <strong>en</strong> 2012, était au Jeu de Paume,Aix, du 19 au 23 marsL’aubergeitali<strong>en</strong>neElle a le verbe haut et la robe froufroutante, sourireaux lèvres et idée dans la tête… Car si Mirandolinaest courtisée par tous les hommes quilog<strong>en</strong>t dans son auberge, c’est surtout celui quirésiste à son charme, un chevalier misogyne quis’est juré de ne jamais donner son cœur à unefemme, qu’elle cherchera à mettre à g<strong>en</strong>ou. Unpiège brillamm<strong>en</strong>t orchestré dans lequel elletombera aussi, victime des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts aveclesquels elle aura imprudemm<strong>en</strong>t joué.La mise <strong>en</strong> scène simple et efficace de MarcPaqui<strong>en</strong> laisse libre cours au jeu des comédi<strong>en</strong>squi évolu<strong>en</strong>t dans une scénographie réduite àl’ess<strong>en</strong>tiel, quelques meubles déplacés par lescomédi<strong>en</strong>s eux-mêmes transformant la sallecommune <strong>en</strong> chambre ou buanderie, par simpletransposition d’actions. Dans les rôles-titres,Dominique Blanc, éblouissante de malice etrouerie, et André Marcon, touchant dans ledoute, sont implacables de précision, s’affront<strong>en</strong>ttandis qu’autour virevolt<strong>en</strong>t le marquis et lecomte, cocasses amoureux transis, mais ignorés.La supplique ultime du Chevalier amoureuxne saura faire basculer la raison de cette femmelibre, <strong>en</strong> appar<strong>en</strong>ce seulem<strong>en</strong>t...DOMINIQUE MARÇONLa Locandiera a été joué le 12 marsà L’Olivier, Istres, du 25 au 27 marsau Théâtre de NîmesÀ v<strong>en</strong>irle 30 avrilPalais des Congrès, Saint-Raphaël04 98 11 89 00www.agglosc<strong>en</strong>es.comles 21 et 22 maiThéâtre de Grasse04 93 40 53 00www.theatredegrasse.comles 30 et 31 maiThéâtre Liberté, Toulon04 98 00 56 76www.theatre-liberte.fr© Pascal Victor
Émoi picardLe Théâtre Durance a eu la bonneidée de faire v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> Prov<strong>en</strong>ce cespectacle à l’acc<strong>en</strong>t d’ailleurs : cemonologue écrit et interprété parBernard Crombey, salué partoutoù il a été représ<strong>en</strong>té, a peu tournépar ici. Il repose sur un fait diverstransposé au cinéma par Doillondans la Drôlesse, adapté dans leroman Le Ravisseur de Paul Savatin,et porté ici par le tal<strong>en</strong>t d’uncomédi<strong>en</strong> hors du commun. Lemonologue retrace par anamnèsessuccessives l’histoire de cet hommesimple, sans sexualité, qui avaitabrité une petite fille maltraitéedans son gr<strong>en</strong>ier durant un mois,sans abuser d’elle, mais <strong>en</strong> l’<strong>en</strong>levant.Depuis sa prison il raconte,bouleversant, et nous plongeonsdans sa psyché d’homme ému,impuissant à résister aux demandesd’Amandine, <strong>en</strong>vahi d’angoisseet d’affects jamais exprimés. L’acteur,emprisonné comme son personnagedans un espace de 9m 2 , devantsa Motobécane susp<strong>en</strong>due commeun souv<strong>en</strong>ir, incarne son personnageavec une vérité désarmante,dans un parler picard recréé, marquémais toujours compréh<strong>en</strong>sible.Une performance d‘écriture et dejeu impressionnante, par son humanités<strong>en</strong>sible, ses choix dramatiques,et l’inv<strong>en</strong>tivité langagière dece dialogue intérieur, transcriptiond’un parler qui sonne vrai…AGNÈS FRESCHELMotobécane s’est joué le 29 marsau Théâtre Durance,Château-ArnouxCandidature imposéeUn flash. Le son d’un générateur <strong>en</strong>recharge. Dos au mur, la comédi<strong>en</strong>ne(L<strong>en</strong>a Chambouleyron),l’impétrante, se prépare à la mise ànu de l’audition. Un passage <strong>en</strong>chambre obscure pour combler ledésir d’un réalisateur, puis le si<strong>en</strong>,démultiplié dans un lars<strong>en</strong> dereflets. «Ce que je veux c’est ce queje suis dans ma tête mais ce que j<strong>en</strong>e suis pas <strong>en</strong>core dans la vie.»Danse de la mort pour avoir le rôle,l’angoisse, l’affolem<strong>en</strong>t. Puis lachute et la pellicule qui brûle. Jouer,est-ce se donner corps et âme ?Devant elle, assise, l’autre figureféminine (Sharmila Naudou), l’alterego, qui écoute l’actrice «par oùpasse le monde» avant de luiopposer ses questionnem<strong>en</strong>tsexist<strong>en</strong>tiels, dans un monologue àla déclinaison alphabétique. Gueuledu rôle, physique de l’emploi, profiltype ? Chacune coincée dans saposture et son rapport au monde,sa réalité ou sa fiction, <strong>en</strong>tre nonditset solitude.Mise <strong>en</strong> scène par Olivier Barrereet <strong>en</strong> scénographie par ErickPriano, pour la Cie Art 27, lapièce d’Enzo Cormann t<strong>en</strong>te unedéfinition du désir et des limites del’intime. «Qui voudrait tourner unfilm sur une fille qui voudrait tournerdans un film ?»… épineuse questionqui reste susp<strong>en</strong>due aux fils del’expéri<strong>en</strong>ce des protagonistes.DELPHINE MICHELANGELILe dit de l’impétrance s’est jouédu 28 au 31 marsau théâtre des Carmes, Avignon© X-D.R© E.PDéplacéShakespeare ne se doutait certainem<strong>en</strong>t pasqu’<strong>en</strong> terminant Othello, le Maure de V<strong>en</strong>ise ilavait écrit un vaudeville ! Car c’est un (mauvais)vaudeville que Razerka B<strong>en</strong> Sadia-Lavant etManuel Piolat-Soleymat ont commis <strong>en</strong> adaptantl’une de ses plus remarquables tragédies !À croire qu’ils n’ont ret<strong>en</strong>u de la pièce qu’unebanale intrigue amoureuse, minimisant les ambitionsdéçues, l’imposture, la lâcheté, l’échec.La chute du héros et sa desc<strong>en</strong>te aux <strong>en</strong>fers.Bi<strong>en</strong> sûr, chez Shakespeare la farce n’est jamaistotalem<strong>en</strong>t abs<strong>en</strong>te, et ses héros tragiques ontla faiblesse des hommes simples. Leur âme s<strong>en</strong>oie dans de viles bassesses… Mais fallait-ilpour autant affubler les acteurs de déguisem<strong>en</strong>tscriards (au croisem<strong>en</strong>t d’une pièce durépertoire et du cabaret), intégrer des saynètesdansées absconses, confier à Sapho les intermèdesmusicaux et faire vociférer Othello dudébut à la fin ? Poussif et sans modulation, Disizdemeure brut de forme, dégrossi comme unbloc de marbre. Sans oublier l’intrusion bruyanted’un groupe d’amateurs qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t gonfler lesallées du marché nocturne et de la fête : parfois,l’évocation plutôt que l’illustration est le meilleurdes choix… Il manque à cet Othello la finesse etl’ironie que requiert cette farce politique, etl’interprétation de D<strong>en</strong>is Lavant n’y change ri<strong>en</strong> :il faut des nerfs solides pour <strong>en</strong>durer le spectaclep<strong>en</strong>dant 2h45...MARIE GODFRIN-GUIDICELLILes amours vulnérables de Desdémone et Othellofut joué les 26 et 27 marsau Théâtre Liberté, Toulon© Jean-Claude Azria23THÉÂTRE