30(A)More à mortMUSIQUE© Christian Dresse 2013Le Verdi imaginé par Nadine Duffaut est gris ! Ces deux-là, leur improbable amour, font tache !Dans le décor stylisé d’Emmanuelle Favre, Elle s’efface au souffle des trois derniers baisersintemporel, les pans de murs, colonnes angulaires,sont lisses, anthracite, les costumes nos joues… du dos de la main.déchirants… comme des larmes qu’on biffe surd’esprit R<strong>en</strong>aissance de Katia Duflot se dessin<strong>en</strong>tdans le même ton, plus clair : matière Impérieux Vladimir Galouzine : dans le rôle-Phénomènes vocaux !grise d’Iago, habile à p<strong>en</strong>ser… le Mal ! Tout titre, il est puissant, sombre, émouvant, héroïque,Chypre semble <strong>en</strong>v<strong>en</strong>imée par sa parole manipulatrice,monochrome d’où deux êtres émerg<strong>en</strong>t. baryton, mordant à pleins décibels dans sonrare… Impressionnant S<strong>en</strong>g-Hyoun Ko : fortAu rouge : Otello ! Son visage est argile, sa vêtureun clin d’œil au «Méphisto» de Boito toute une palette de timbres. Leurs duos cou-maléfique Credo ; excell<strong>en</strong>t acteur, il joue sur(musici<strong>en</strong>/librettiste qui, <strong>en</strong> 1887, adapte Shakespeare): incarnat, symbole de son amour pour parvi<strong>en</strong>t à rester légère, aéri<strong>en</strong>ne, à faire aussip<strong>en</strong>t le souffle ! Impeccable Inva Mula : elleDesdémone, du sang invoqué <strong>en</strong> châtim<strong>en</strong>t, claironner son soprano face à un excell<strong>en</strong>tde l’<strong>en</strong>fer où le conduit la jalousie. Au blanc : Orchestre (dir. Friedrich Pleyer) volontierssa jeune épouse, pure, injustem<strong>en</strong>t soupçonnée.Comm<strong>en</strong>t le More peut-il ne pas croire à Pierre Iodice) ajout<strong>en</strong>t leur part à la réussite«sonophage» ! Et les artistes du Chœur (dir.son innoc<strong>en</strong>ce ? Le Démon n’est sans doute de ce Verdi qui restera dans les mémoires.pas là où on l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d : s’il cède au fiel d’Iago, JACQUES FRESCHELc’est que le Diable est déjà <strong>en</strong> lui, dès l’ouverture-éclair,comme son spectre mortuaire figé Otello de Verdi a été joué jusqu’au 5 avrilsur le gaillard d’un navire <strong>en</strong> pleine tempête, à l’Opéra de Marseilleavant son victorieux «Esultate» !Évocation andalouseJouer <strong>en</strong> intégralité Iberia d’Albéniz est uneperformance pianistique : difficulté acrobatiquedes rythmes, subtilité des variations decouleurs, équilibre délicat <strong>en</strong>tre une factureclassique et l’évocation d’une certaine couleurlocale avec les échos des différ<strong>en</strong>ts g<strong>en</strong>res musicauxpopulaires de l’Andalousie. Les quatrecahiers écrits <strong>en</strong>tre 1905 et 1908 nous <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>tdu port de Sainte Marie de la Province deCadix, au quartier gitan El Albaicin de Gr<strong>en</strong>adepuis dans une auberge, Eritaña, aux abords deSéville, où l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d l’air d’une procession.Aux lieux aimés correspond<strong>en</strong>t les parfums demusiques traditionnelles, Almeria, Ronda, ElPolo, flam<strong>en</strong>co, ou les mélodies de Jerez deMalaga… Jean-François Heisser nous emmènede ses doigts dans ce voyage où les tableauxde g<strong>en</strong>re se conjugu<strong>en</strong>t, avec une élégante légèreté,à de douces rêveries peuplées d’instantméditatifs, de retournem<strong>en</strong>ts calmes, d’interrogationsétonnées, d’échos de fêtes. Le quatrièmecahier, le plus ardu, permet au virtuose uneinterprétation éblouissante.Cet hymne à l’Espagne se complétait de la prés<strong>en</strong>cede la guitare flam<strong>en</strong>ca de Chaparro deMalaga, et des colpas de la chanteuse AntoniaContreras : le jeu perlé de la guitare quisonne parfois comme une mandoline, la voixrauque de la chanteuse, particulièrem<strong>en</strong>t bellequand elle s’intériorise, r<strong>en</strong>forçai<strong>en</strong>t l’ancragepopulaire de ces pages, sans <strong>en</strong> trahir l’écrituresavante, <strong>en</strong> remontant à sa source. En bisun Gracias a la vida façon flam<strong>en</strong>co a clos ceconcert du partage…MARYVONNE COLOMBANIIberia a été joué le 25 marsau Théâtre du Jeu de Paume, AixCrimeet châtim<strong>en</strong>tAtroce scelus nefas que celui de la Sacristinequi tue le propre <strong>en</strong>fant de sa fille, J<strong>en</strong>ufá,avant de plonger dans une culpabilité qui larongera jusqu’à la folie. Le roman de GabrielaPreissova est une histoire familiale tragique,sous fond de tares héréditaires, d’alcoolisme,de relations quasi incestueuses ; Steva, pèrede l’<strong>en</strong>fant, est le cousin de J<strong>en</strong>ufá et le frèrede Laca, autre prét<strong>en</strong>dant à sa cousine ! Tragédiefamiliale typique d’un naturalisme finde siècle (le XIX e ) qui transpirait jusqu’à l’opéra !Ce sujet complexe fut l’occasion pour Janácek,dans cet opéra composé <strong>en</strong> 1903, deposer des traits d’écriture qui définiront sonstyle dans les œuvres suivantes, telles que lesdeux Quatuors ou la Petite R<strong>en</strong>arde Rusée :la technique de la segm<strong>en</strong>tation, l’utilisationde motifs rythmiques très courts (xylophonedans le premier acte), la prolifération d’idéesmélodiques qui se substitue à la notion classiquede développem<strong>en</strong>t, d’où la difficulté àret<strong>en</strong>ir des mélodies, les sonorités abruptes…autant de déviations de la syntaxe musicaledominante, qui a créé le langage très particulierde Janácek… qui lui a valu d’être à la foisrejeté par les hommes de son temps, puis parles «contemporains» qui suivir<strong>en</strong>t comme troptonal.Balàzs Kocsàr, à la tête de l’Orchestre et duChœur de l’Opéra d’Avignon, eut du mal, dufait de cette écriture complexe, à trouver unéquilibre <strong>en</strong>tre l’orchestre et les chanteurs,voire à r<strong>en</strong>dre perceptible cette formidablepalette sonore prés<strong>en</strong>te dans l’orchestration.La distribution, comme très souv<strong>en</strong>t à Avignon,était <strong>en</strong> revanche très bonne : ChristinaCarvin dans le rôle principal, et les deux ténors,Martin Miller, Laca, et Florian Laconi, Steva,insufflèr<strong>en</strong>t à cette tragédie toute leur énergie.Quant à la mère diabolique, GéraldineChauvet, elle fut un peu <strong>en</strong>-deçà au niveaude la puissance, mais à fond dans l’incarnationde son rôle. Glaçant !CHRISTOPHE FLOQUETJ<strong>en</strong>ufà a été donné le 17 marsà l’Opéra-Théâtre d’Avignon© Cedric Delestrade - ACM Studio - Avignon
Où sont les femmes ?Par la grâce d’une élégante et discrète mise <strong>en</strong>scène, les interprètes du Concert Privé àL’Ospedale Immaginario ont r<strong>en</strong>du un vibranthommage aux femmes innombrables qui ontpeuplé durant l’époque Baroque ces mêmesédifices véniti<strong>en</strong>s. Constitué pour la plupartd’orphelines, ces vénérables institutions où officièr<strong>en</strong>td’illustres compositeurs, à l’image dufameux Vivaldi, offrai<strong>en</strong>t à la g<strong>en</strong>t féminine uneformation musicale de haut vol. Étrange paradoxelorsqu’on sait que les femmes étai<strong>en</strong>talors interdites de scène par l’Eglise catholiqueelle-même, vocalem<strong>en</strong>t mises à l’index et remplacéesde la manière la plus barbare qui soitpar des castrats.Pour ce concert inaugural du Festival Prés<strong>en</strong>cesFéminines, à l’exception du violoncellisteEti<strong>en</strong>ne Mangot prés<strong>en</strong>t sur scène, touchant luiaussi de délicatesse, le plateau musical étaitexclusivem<strong>en</strong>t composé d’interprètes féminines.Au continuo et des claviers, Claire Bodin,la fondatrice du Festival, dirigeait l’<strong>en</strong>sembleLes Bijoux Indiscrets. Le timbre rond etchaleureux de la soprano Anne Magouët étaitmagnifiquem<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> valeur, interrompuparfois par des lectures <strong>en</strong>voûtantes <strong>en</strong> formede courriers intimes imaginaires par la comédi<strong>en</strong>neVéronique Dimicoli. Au final, on regretterajuste que dans ce beau mom<strong>en</strong>t de poésie susp<strong>en</strong>dueà la gloire de ces femmes oubliées,preuve que l’histoire de la musique est un longchemin <strong>en</strong>taché de machisme, plusieurs ouvragesai<strong>en</strong>t été <strong>en</strong>core… d’origine masculine.Mais la suite du festival a fait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ClaraSchuman et Louise Farr<strong>en</strong>c, qui composèr<strong>en</strong>tmalgré les hommes !ÉMILIEN MOREAUCe concert a eu lieu le 15 marsau Théâtre liberté, ToulonVeronique Dimicoli © X-D.R31MUSIQUEEsprit des Lumières…Pas un bémol pour le récital de musique de chambre de l’Ensemble Pythéas,donné le 17 mars à Notre-Dame du Mont ! Nonobstant, si leurprestation n’<strong>en</strong> mérite pas, les partitions à l’affiche, pour clarinette,signées Mozart ou Haydn, <strong>en</strong> comportai<strong>en</strong>t de fait… des bémols… à laclé ! C’est que ce tuyau d’ébène s’accordait naturellem<strong>en</strong>t, à l’époqueclassique, aux tonalités de si ou mi bémol majeur.Linda Amrani, belle anche virtuose, a <strong>en</strong>filé des guirlandes de sons,suaves ou brillants, à l’<strong>en</strong>vi, sautillant, rebondissant telle une funambulesolidem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cordée par un beau trio d’archets : Yann Le Roux-Sédes(violon), Pascale Guérin (alto) et Xavier Chatillon (violoncelle). Leprogramme exposait une pertin<strong>en</strong>te unité vi<strong>en</strong>noise, avec aussi Beethov<strong>en</strong>ou Hoffmeister, contemporain méconnu de cette première«école» qui fonda, sur le Danube, l’esthétique classique, ses formes etses g<strong>en</strong>res, tout <strong>en</strong> clarté, élégance, s<strong>en</strong>s du jeu… Un esprit épris desLumières fort bi<strong>en</strong> transmis par le quatuor de musici<strong>en</strong>s.JACQUES FRESCHELL'<strong>en</strong>semble Pytheas © X-D.R© Irmeli JungTour de forceLa v<strong>en</strong>ue pour le Festival de Musique de Toulon d’un artistetel que Giovanni Bellucci, pianiste peu médiatisé <strong>en</strong> noscontrées, a bi<strong>en</strong> mérité le concert de louanges qui auréole sesprestations tant il a fait preuve de maestria <strong>en</strong> interprétantdeux des plus grands monum<strong>en</strong>ts du piano romantique. Auprogramme figurai<strong>en</strong>t des transcriptions de Franz Lisztd’œuvres de Mozart et Verdi où l’on pouvait déceler unevirtuosité cont<strong>en</strong>ue. Haute technicité qui fut confirmée dansla Sonate n° 2 opus 35 de Chopin où le piano semblait à peinesupporter la charge acoustique que lui imposait la puissancedu pianiste ! Mais l’apogée fut incontestablem<strong>en</strong>t atteintlorsque résonnèr<strong>en</strong>t les premières notes de l’impressionnanteSonate <strong>en</strong> Si mineur du hongrois. Le mélange d’ombres et delumières qu’offre la partition était traduit avec une rareint<strong>en</strong>sité : les pianissimo semblai<strong>en</strong>t fragiles et dérisoiresaux côtés des passages fortissimo tonitruants ! L’impressionfut confirmée avec une Rhapsodie hongroise généreusem<strong>en</strong>tofferte <strong>en</strong> bis. Magistral, somptueux, explosif, merveilleux,sublime, fantastique, transc<strong>en</strong>dantal… une démonstration<strong>en</strong> quelque sorte.EMILIEN MOREAUCe concert a eu lieu au palais Neptune, Toulon, le 4 avril