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Zibeline n° 62 en PDF

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72LIVRESConsci<strong>en</strong>ce humanisteOn ne classe pas Montaigne parmi les p<strong>en</strong>seurspolitiques. On sait qu’il fut maire de Bordeauxp<strong>en</strong>dant 4 ans, qu’il avait ses <strong>en</strong>trées à la cour deParis et qu’il servit souv<strong>en</strong>t de négociateur <strong>en</strong>treelle et le futur H<strong>en</strong>ri IV dont il était proche ;mais on le perçoit davantage comme un sceptique,réfugié le plus souv<strong>en</strong>t dans sa tour,précurseur <strong>en</strong> cela du romantique Vigny. Maiselle n’est pas d’ivoire pour Montaigne ! Elle estfaite de livres, de s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ces gravées sur les poutresde sa «librairie». Et son étude de soi t<strong>en</strong>d à l’universelpuisque «chaque homme porte la forme<strong>en</strong>tière de l’humaine condition».Biancamaria Fontana apporte un regard nouveausur l’auteur des Essais, <strong>en</strong> la passant au criblede l’histoire, <strong>en</strong> contextualisant l’écriture dansune étude précise et érudite. S’appuyant surl’évolution des textes, elle montre à quel point lap<strong>en</strong>sée de Montaigne est impliquée dans l’histoirede son temps, bouleversée par les guerres deLe récit de Furukawa Hideo, magnifiquem<strong>en</strong>ttraduit chez Picquier par Patrick Honnoré,approche avec une imm<strong>en</strong>se subtilité du cœurde la catastrophe. Né dans la province de Fukushima,abs<strong>en</strong>t lorsqu’elle a été ravagée, leromancier figé dans un prés<strong>en</strong>t incompréh<strong>en</strong>sibleraconte comm<strong>en</strong>t il est retourné quelquesjours après dans son pays dévasté, comm<strong>en</strong>t ils’est irradié de son réel, pour compr<strong>en</strong>dre ce quiétait adv<strong>en</strong>u. Sa démarche est telle que pas à pason le suit, on s’imprègne à son rythme de cettemort absolue, sans s’y <strong>en</strong>gloutir, parce que sonrécit est fait d’allers retours <strong>en</strong>tre ses propresromans et le prés<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>tre souv<strong>en</strong>ir et brusquessurgissem<strong>en</strong>ts du réel, <strong>en</strong>tre ce qu’il s’att<strong>en</strong>d àdécouvrir et ce qui est, brut, et qui nous faitcompr<strong>en</strong>dre chaque fois, comme autant d’épiphanies,l’insondable. Une tranchée dans lebéton explosé comme un château de sable. Unarrêt dans le paysage brisé. Un sil<strong>en</strong>ce absolu,religion qui serv<strong>en</strong>t les intérêts de chefs de guerresans scrupules. On s<strong>en</strong>t, à relire les additions successivesdes essais, la corruption grandissante dudiscours public, la distorsion de la vérité, la confianceabolie.Par la fréqu<strong>en</strong>tation intime des textes de l’antiquitéet de ses contemporains, par ses <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>tset sa constante réflexion sur son temps, Montaigneest bi<strong>en</strong> un p<strong>en</strong>seur politique : il n’érige pasde système, semble préférer la République, maisréfléchit sur les pratiques politiques et le pouvoirroyal, souligne l’imbrication des responsabilitésindividuelles et des vertus. Son travail s’attache àdémonter les mécanismes du principe d’autoritéainsi que ceux qui régiss<strong>en</strong>t l’opinion. Ainsi Fontanavoit <strong>en</strong> Montaigne et son indép<strong>en</strong>dance dep<strong>en</strong>sée, sa consci<strong>en</strong>ce individuelle qui est aussipolitique, une préfiguration des Lumières, plutôtque d’isolem<strong>en</strong>t romantique ! Elle nous incite àrev<strong>en</strong>ir aux textes de Montaigne, qui s’avèr<strong>en</strong>tAu cœur nucléaire de nos actescomme si le son avait été coupé, parce que lesanimaux ne sont plus. Des chevaux que l’on nepeut plus approcher, symboles d’une cette provinceoubliée, domptée puis r<strong>en</strong>due à la sauvagerie.Des bateaux <strong>en</strong>tassés loin des côtes comme parune main géante. Des corbeaux, infinim<strong>en</strong>t. Et,partout, lorsqu’ils rest<strong>en</strong>t, des hommes hagards,vidés par la disparition absolue de tout ce quiavait fait leur réel.Pour les habitants de Fukushima le souv<strong>en</strong>ir d’avantest impossible, sans réalité, sans appui géographique,physique, parce tout a disparu jusqu’auxêtres, jusqu’aux murs, jusqu’au tracé même despaysages. Le roman peut-il <strong>en</strong>core s’écrire sedemande Furukawa au long de sa traversée ? Lafiction même, les mythes emportés par la vague ?Ô Chevaux, la lumière est pourtant innoc<strong>en</strong>te. Desferm<strong>en</strong>ts de révolte sont là. Parce que cette provinceoubliée, qui a toujours fourni nourritureet énergie au reste d’un pays riche, doit trouverLa prétérition de CassandreLa lecture de Karl Kraus fait l’effet d’un coupde poing ; parce que, à la suite de l’annonce programmatique<strong>en</strong> forme de prétérition Je n’aiaucune idée sur Hitler, sont annoncés les prémicesde l’apocalypse que décl<strong>en</strong>che le IIIe Reich. Quelleimpitoyable lucidité de ce texte, écrit <strong>en</strong> 1933 !Agone édite ici la version abrégée, adaptée à lascène par José Lillo (voir Zib’28), de La Troisièm<strong>en</strong>uit de Walpurgis (Agone 2005) écrite <strong>en</strong>référ<strong>en</strong>ce au Second Faust de Goethe. Ce véritablepamphlet pratique une cinglante ironie.Écrivain et journaliste, Kraus oppose la presse quiapparaît comme un organe de propagande, m<strong>en</strong>songer,abrutissant, à la solde d’un pouvoir qui vad’ailleurs l’écraser et la littérature, seule formed’expression libre, visionnaire, capable d’analyse.Il <strong>en</strong>trelace ses propos d’extraits du Faust deGoethe ou du Macbeth de Shakespeare. Terriblessont les r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>ts immondes, où le bourreause pose <strong>en</strong> victime et la victime <strong>en</strong> bourreau,la destruction systématique des intellectuels, lavolonté d’abrutissem<strong>en</strong>t de la population par unlavage de cerveau à grande échelle (temps decerveau disponible ?), <strong>en</strong>fin, la capacité incroyabled’aveuglem<strong>en</strong>t alors que les premiers campsfonctionn<strong>en</strong>t, que les commerces t<strong>en</strong>us par desJuifs sont détruits, que les jeunes filles allemandesqui sort<strong>en</strong>t avec un Juif ont la tête rasée… toutceci, déjà, <strong>en</strong> 33. Comm<strong>en</strong>t oser dire que l’on nesavait pas ! Les mécanismes de l’installation de ladictature et de la terreur sont démontés, lesexactions dénoncées…À lire absolum<strong>en</strong>t, pour appr<strong>en</strong>dre à être att<strong>en</strong>tifsaux signes.M.C.d’une stupéfiante actualité, dans leur descriptionde la consci<strong>en</strong>ce individuelle <strong>en</strong> prise avec unesociété <strong>en</strong> crise…MARYVONNE COLOMBANIMontaigne <strong>en</strong>politiqueBiancamariaFontanatraduit de l’anglaispar FrançoiseStonboroughAgone, coll. Bancd’essais, 24 €une voix. Mais celle-ci est aussi brisée que le récit,qui ne peut <strong>en</strong>visager la moindre bribe de linéarité,<strong>en</strong>tre l’impuissance de l’imprécation contrela vague, et la révolte impossible contre un étatlointain qui remettra les c<strong>en</strong>trales <strong>en</strong> route.AGNÈS FRESCHELÔ chevaux, la lumièreest pourtant innoc<strong>en</strong>teFurukawa HideoPhilippe Picquier,17,50 €Je n’ai aucune idéesur HitlerKarl KrausAgone, 10 €

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