Découvertes Culturel Art | ExpositionGérôme anticipSofie Muller, “Smoke drawing”, <strong>2010</strong>. Courtesy Geukens & De Vil, Anvers.l Expo | Art actuelBel hommageau dessinP Les dessins originaux deplus de soixante artistesactuels. A ne pas manquer !Les foires spécifiques qui se sontouvertes à Paris, avec grand succès,puis à Bruxelles ont sans doutejoué un rôle important dans l’attentiondésormais r<strong>et</strong>rouvée pour le dessin quia toujours constitué une des bases del’expression artistique. L’ère conceptuelle,installationniste <strong>et</strong> antipicturalea, par contre, contribué jusqu’à la fin dusiècle dernier à son éloignement des cimaises…mais pas des ateliers des artistes!On le r<strong>et</strong>rouve donc aujourd’huiavec d’autant plus de plaisir qu’il s’affirmeà nouveau comme un genre à partentière <strong>et</strong> non comme un simple supportde préparation à d’autres œuvres,affirmant par là sa pleine spécificité, aumême titre que la peinture, la gravureou la photographie. Et l’une des donnéesne tient pas seulement dans lestechniques <strong>et</strong> les outils employés,crayons, encres ou autres, mais dans lesupport papier qui offre à lui seul unegamme incomparable de possibilités denuances sensibles. Et comme le souligneEric Rinckhout dans le texte d’introductiondu catalogue, “le dessins estl’art le plus intime. Il ne peut exister de lienplus direct entre l’artiste <strong>et</strong> le travail, entrela main <strong>et</strong> la ligne”.L’exposition qu’offre la galerie anversoise,on s’attendrait à la trouver dansun musée tant elle relève d’une démarchecuratoriale qui montre à la fois larichesse <strong>et</strong> la diversité de la matière <strong>et</strong>parce qu’elle sort très n<strong>et</strong>tement desseuls artistes habituellement représentéspar la galerie. Et MariePaule De Vilde préciser que tous ceux, artistes, galeriesou collectionneurs, qui ont étésollicités ont répondu avec enthousiasme!Voici donc une exposition depremier choix où la sérénité extrêmed’un Renaat Ivens rencontre l’expressionnismed’un Koen Vanmechelen, oùl’œil en gros plan d’une Cindy Wrightpourrait fixer la participation picturaleminimaliste de Pi<strong>et</strong>er Vermeersch, oùles traces crayonnées <strong>et</strong> collages d’AngelVergara sont l’antithèse des plansaquarellés de Wesley Meuris. Ceci pourconfirmer qu’aucune orientation n’estexclue!Particulièrement riche, l’exposition àlaquelle participent les Delvoye, Fabre,Eerdekens, Panamarenko, Bert DeBeul, Koen Van Den Broek, Tuymans(p<strong>et</strong>it dessin de 1982), Walter Swennen,Ronny Delrue… révèle aussi desartistes moins connus tels Sofie Muller,P<strong>et</strong>er Morrens, Kati Heck ou CarolineCoolen. On s’en voudrait de ne pas citerles participations de David Claerbout,Francis Alÿs, P<strong>et</strong>er Buggenhout,Thierry De Cordier, Berlinde De Bruyckere…Claude LorentUDessins contemporains. Plus desoixante artistes. Geukens & De Vil ContemporaryArt, Pourbusstraat, 19,2000 Anvers. Jusqu’au 22 janvier 2011.Du je au sa de 14h à 18h. Cat. ill.D.R.P Le musée d’Orsay présentela première expositionGérôme depuis 1904!P C<strong>et</strong> académique fut unprécurseur de notre mondedu cinéma <strong>et</strong> de la BD.Guy DuplatEnvoyé spécial à ParisLapremière grande rétrospectivedepuis 1904 (!) de JeanLéonGérôme (18<strong>24</strong>1904), <strong>et</strong> qui s<strong>et</strong>ient au musée d’Orsay à Paris, est ensoi un événement. Relégué depuisplus d’un siècle dans les poubelles del’histoire de l’art, taxé d’académisme,d’art pompier, de chromos, voilà sesœuvres pour que chacun puisse jugersur pièces. Coïncidence? Au mêmemoment, le musée bruxellois desBeauxArts propose une expositionsur “L’Orientalisme” qui, elle aussi,tente un réexamen de c<strong>et</strong> art décrié.JeanLéon Gérôme fut l’un despeintres français les plus célèbres deson temps. Une star, riche <strong>et</strong> adulée(chaque musée se devait d’avoir unGérôme). Il fut aussi, durant sa longuecarrière, l’obj<strong>et</strong> de critiques acerbespour avoir défendu, contre les générationsréalistes <strong>et</strong> impressionnistes,les codes d’une peintureacadémique essoufflée. Mais Gérômefut plus que cela, il fut l’inventeur descénographies inédites, d’imagesplus vraies que nature, répondantparfaitement aux fantasmes du public.Il avait compris ce que cherchaitle grand public <strong>et</strong> assimilé les rouagesde la diffusion, vendait ses “images”sous forme de gravures ou de photographies,imposant “sa” vision spectaculairede l’histoire, alors qu’ellen’était souvent qu’un habile travailde recadrage. La “modernité” de Gérôm<strong>et</strong>ient à son exceptionnelle capacitéà transformer un tableau enune image efficace <strong>et</strong> vraisemblable.Peindre l’histoire, peindre des histoires,tout peindre, ce fut sa grandepassion. Il joua en permanence dumélange des valeurs <strong>et</strong> des genresdans une esthétique du collage <strong>et</strong> dudécalage qui ne laisse d’intriguer.L’habil<strong>et</strong>é à créer des images, à donner“l’illusion du vrai” par l’artifice <strong>et</strong>le subterfuge allant de pair avec unepeinture très léchée.Comme son maître le peintre PaulDelaroche, il sut m<strong>et</strong>tre l’histoire enspectacle, de l’Antiquité au mondequi lui fut contemporain, <strong>et</strong> placer,par des images particulièrement efficaces,le spectateur en témoin oculaire:vues des jeux sanglants du cirqueromain, les massacres des chrétiens, leslions affamés, les gladiateurs. Mais aussil’assassinat de César, le monde grec <strong>et</strong>un orientalisme à la fois très bien documenté<strong>et</strong> rêvé, mêlé d’érotisme <strong>et</strong> dedanger, de femmes lascives <strong>et</strong> de sultansdangereux. Ses images s’imposerontpartout, y compris dans les livresd’histoire, devenant des motifs iconiquesde la culture visuelle populaire sesubstituant à la réalité comme le ferontaprès lui les films hollywoodiens (“Quovadis?”) ou la BD (Jacques Martin).Gérôme était un grand peintre quandil le voulait, comme le montre, à la findu parcours de l’expo, son tableau surl’exécution du maréchal Ney. Ici, pas depathos. On est juste après sa mortquand Ney, héros déchu de l’épopéenapoléonienne, est laissé mort dans laboue <strong>et</strong> que le peloton d’exécution s’enva. Utilisant la photo, il renouvela l’idéedu cadrage comme dans sa “Crucifixion”où les croix sont hors champ <strong>et</strong>n’apparaissent que sous la forme d’ombressur le Golgotha.La rétrospective montre l’œuvre deGérôme sous tous ses aspects, peinture,dessin <strong>et</strong> sculpture, du début de sa carrièredans les années 1840 jusqu’auxtoutes dernières années, <strong>et</strong> souligne lerapport singulier qu’il entr<strong>et</strong>int avec laphotographie. Il fut le premier à se basersur ses nombreux voyages en Orientqui lui donnèrent des arguments pourcréer des images vraisemblables. Mêmes’il faisait des mélanges, plaçant ainsiun mur de Topkapi dans une rue égyptienneoù des notables observent unjeune montreur de serpents, nu, dansune troublante proximité entre érotisme<strong>et</strong> mort.Gérôme fut fasciné par le mythe dePygmalion insufflant la vie à Galathée.Il se représenta ainsi luimême ensculpteur, donnant vie à ses œuvres.Zola pointa ironiquement son appétitcommercial: “Evidemment, M. Gérôm<strong>et</strong>ravaille pour la maison Goupil (grandmarchand d’art dont il avait épousé lafille), il fait un tableau pour que ce tableausoit reproduit par la photographie<strong>et</strong> la gravure <strong>et</strong> se vende à des milliersd’exemplaires.” En eff<strong>et</strong>, il arriva souventque l’artiste reprit ou copia certainesde ses toiles pour en faciliter la reproduction.Certaines devinrent desimages mondialement connues, appartenantà l’imaginaire populaire. L’expose termine par sa passion tardive pourla sculpture en marbre qu’il peignait decouleur chair. Ici aussi, le résultat esttroublant. Sa grande “Corinthe”, nue,hyperréaliste, semble annoncer JeffKoons.UGérôme, jusqu’au 23 janv. au muséed’Orsay. A Paris, avec Thalys en 1h20 <strong>et</strong>plus de <strong>25</strong> traj<strong>et</strong>s par jour.48 La Libre Belgique - <strong>vendredi</strong> <strong>24</strong>, <strong>samedi</strong> <strong>25</strong> <strong>et</strong> <strong>dimanche</strong> <strong>26</strong> décembre <strong>2010</strong>© S.A. <strong>IPM</strong> <strong>2010</strong>. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable <strong>et</strong> écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.
ait Hollywoodl ConcertUne découverte peuten cacher une autreJean-Léon Gérôme, “Bain turc” ou “Bain maure”.ÉpingléUn étonnant trio à ParisNoël. Pour les fêtes, le visiteur à Paris, peut s’offrir trois expositions importantes<strong>et</strong> bien différentes: Mon<strong>et</strong> au Grand Palais (mais attention aux files),Mondrian <strong>et</strong> de Stijl au Centre Pompidou (lire à la page précédente) <strong>et</strong> Gérômeau musée d’Orsay. On peut ainsi redécouvrir trois époques très contrastées del’histoire de l’art <strong>et</strong> trois destins faits de hauts <strong>et</strong> de bas. Gérôme, adulé de sontemps, est tombé aux enfers. Mon<strong>et</strong>, fêté dans sa tanière de Giverny, tombadans un relatif oubli avant de r<strong>et</strong>rouver la gloire au lendemain de la guerre,pour être ensuite un peu boudé par les élites françaises <strong>et</strong> de revenir maintenanten force. Et Mondrian, qui influença tout l’art contemporain, semble subirmaintenant une sorte de r<strong>et</strong>our de flamme, à voir l’art actuel r<strong>et</strong>rouver lechemin d’un réalisme <strong>et</strong> d’une narration qu’il vouait aux gémonies.Si Gérôme, aussi intéressant soit-il, tient plus difficilement la route face à nosyeux contemporains que des géants comme Mon<strong>et</strong> <strong>et</strong> Mondrian, c’est peut-êtrelui qui a le mieux anticipé la culture populaire d’aujourd’hui. La radicalitéreligieuse de Mondrian reste réservée à une élite. Gérôme, lui, avait comprisles ressorts du “people”, l’envie d’avoir des images, la littérature de gare bienfaite, le film de péplum, les grandes productions de Cameron, la nécessitéd’avoir des agents commerciaux pour envahir le marché. S’il vivaitaujourd’hui, Gérôme organiserait de grands shows à Las Vegas <strong>et</strong> l’ouverturedes J.O. à Pékin. G.Dt© <strong>2010</strong> MUSEUM OF FINE ARTS, BOSTONP Face à une Vivica Genauxsouveraine, les Agrémens àla traîne.Mercredi soir, la salle M du palaisdes BeauxArts avait exceptionnellementouvert sesportes à la musique. On y donnait lacréation mondiale de deux airs manuscritsconsidérés comme perdusd’Antonio Vivaldi (r<strong>et</strong>rouvés dans lesarchives de la famille Arenberg), avecl’orchestre les Agrémens <strong>et</strong> la mezzoaméricaine Vivica Genaux, placéssous la direction de Guy Van Waas.L’occasion faisant le larron, le concertfêtait également la fin de la présidencebelge de l’Union européenne.Scientifiques, mélomanes <strong>et</strong>politiques s’y étaient donc donnérendezvous, jusque sur la scène, oùEtienne Davignon (président du CAde Bozar), Mark Eyskens (converti enportedrapeau de la musique <strong>et</strong> desarts) <strong>et</strong> Marie Cornaz (celle par qui lemiracle est arrivé, aujourd’hui conservatricedu département musiquede la Bibliothèque nationale) se succédèrentau micro.Il s’en fallut pourtant de peu que lamontagne accouchât d’une souris.On sait que l’acoustique de la salle M(destinée au cinéma <strong>et</strong> à la musiqueamplifiée) est ingrate pour la musiqueinstrumentale, mais cela n’expliquepas tout. Le brillant concertopour deux tromp<strong>et</strong>tes RV 537 de Vivaldiavait d’ailleurs bien commencé,les deux solistes – JeanFrançois Madeuf<strong>et</strong> Joël Lahens – avaient fière allure,se faisant face de part <strong>et</strong> d’autrede la scène, la main droite sur la hanche,<strong>et</strong> jouant de mémoire, mais dèsle largo, les accrocs se multiplièrent,déstabilisant l’orchestre (à moinsque ce ne fût le contraire) <strong>et</strong> créant lemalaise. L’arrivée de Vivica Genauxrelança la bonne humeur : silhou<strong>et</strong>tede rêve dans sa robe de soie couleurmiel, sourire glamour <strong>et</strong> talent enrapport, la mezzo américaine fitpreuve tout au long du concert d’unegénérosité <strong>et</strong> d’une sûr<strong>et</strong>é artistiquesqui justifièrent amplement le battagefait autour de sa personne tout enconsolant de nouveaux ratés dans lespièces instrumentales dont c<strong>et</strong> “Inverno”extrait des “Quattro Stagioni”(de Vivaldi) conduit par le premierviolon, Flavio Losco, de façon imaginative,certes, mais impulsive <strong>et</strong> décousue,avec eff<strong>et</strong>s de bords sur l’ensembledes cordes. L’impression futheureusement corrigée, un peu plustard, par la Sinfonia en si mineur,RV 169, “Al santo Sepolcro”, pleinede mystère <strong>et</strong> de recueillement.Et c<strong>et</strong>te “Incroyable découverte” ?Dans les deux airs concernés, on entenditdu joli Vivaldi, défendu avecpanache par la fée du jour – avec, aucontinuo, l’archiluth <strong>et</strong> parfois laguitare de Nicolas Achten, visiblementaux anges – mais sans comparaisonavec les airs, également inédits,de deux compositeurs beaucoupmoins connus, GeminianoGiacomello (16921740) <strong>et</strong> GiovanniBattista Pesc<strong>et</strong>ti (17041766), quiprovoquèrent la surprise par leur richessed’écriture <strong>et</strong> leur pouvoir expressif,en particulier l’air de Pesc<strong>et</strong>ti,héroïque <strong>et</strong> raffiné, où mêmeles tromp<strong>et</strong>tes trouvèrent leurs marques(enfin…). Notons qu’un autreinédit fut également “créé”, de JohannAdolf Hasse (16991783), extraitde “Catone in Utica”. Et que VivicaGenaux offrit en bis un dernierair de Vivaldi, le plus éblouissant d<strong>et</strong>ous, qui lui valut une nouvelle <strong>et</strong>longue ovation.Martine D. MergeayLa mezzo Vivica Genaux était en concert à Bozar avec l’orchestre les Agrémens.D.R.<strong>vendredi</strong> <strong>24</strong>, <strong>samedi</strong> <strong>25</strong> <strong>et</strong> <strong>dimanche</strong> <strong>26</strong> décembre <strong>2010</strong> - La Libre Belgique49© S.A. <strong>IPM</strong> <strong>2010</strong>. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable <strong>et</strong> écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.