Découvertes DébatsDRDRNicolas GAZONProfesseur de religion <strong>et</strong> d’histoireà l’Institut de l’Assomption (Watermael-Boitsfort)Uwww.assomption-edu.bel Opinion SociétéA qui appartient NoP Coincé entre la crèche <strong>et</strong> la racl<strong>et</strong>te, entre l’appel des centres commerciaux <strong>et</strong> la messe de minuit, que fêteton ?P Noël a été “folklorisé”, ach<strong>et</strong>é <strong>et</strong> a perdu son âme. Croyants ou pas, tous nous pouvons lui donner du sens.Al’approche du <strong>24</strong> décembre, cesdernières années, les médias ontpris l’habitude de s’agiter autourd’une question qu’ils présententcomme essentielle : “Les Belgesaurontils le cœur à dépenser?”Les reportages <strong>et</strong> les spéculations semultiplient: en ces temps de crise,on espère que les ménages, ragaillardis par l’esprit deNoël, ne regarderont pas à leurs dépenses <strong>et</strong> ferontchauffer les Bancontacts. A la veille du réveillon, lesjournalistes sont sur le pont pour commenter la frénésiedes achats, m<strong>et</strong>tre en évidence les cadeaux à lamode <strong>et</strong> comptabiliser le montant des transactions.Oui, c’est une évidence, les fêtes de fin d’année sontdevenues un des rouages importants de notre sociétéde consommation. Le phénomène, depuis une trentained’années, a pris de l’ampleur, Noël,aujourd’hui, se fête d’abord dans les galeries commerciales<strong>et</strong>, à l’instar des autres fêtes du calendrier,l’événement est devenu “folklorique”. En caricaturant,on pourrait presque dire que la crèche, Jésus <strong>et</strong>les rois mages sont devenus un prétexte pour testerle nouvel appareil à racl<strong>et</strong>te <strong>et</strong> offrir une console dejeu Wii à la famille. Le conte de Noël, ce qu’on appellela Nativité, est passé au second plan. D’ailleurs pourquoise raconter une énième fois l’histoire, puisqu<strong>et</strong>out le monde la connaît, <strong>et</strong> que, selon les sondages,de moins en moins de monde y croit…Prenons le temps, ici, de réfléchir à ce constat, essayonsde lui donner une signification. Qu’estce quecela nous dit sur l’état actuel de notre société, sur nosvaleurs, sur nos croyances? Si on accepte que Noël serésume de plus en plus à une course aux magasins,on accepte alors que c<strong>et</strong>te fête soit de moins enmoins celle de tous. Dans ce contexte, Noël devientindirectement un facteur de rupture sociale <strong>et</strong> d’exclusion.C<strong>et</strong>te fête qui se veut généreuse <strong>et</strong> pleine debons sentiments, m<strong>et</strong> cruellement en évidence lefossé qui sépare ceux qui peuvent consommer deceux qui ne peuvent que sentir <strong>et</strong> regarder. Ironiquement,elle distingue ceux qui peuvent avoir le plaisird’offrir <strong>et</strong> ceux qui, par voie de charité, ne peuventque recevoir.Et si on y réfléchit bien, le matraquage publicitaire,en détournant nos valeurs à coup de millionsd’euros, résume Noël en une seule <strong>et</strong> unique démarchefinale: ach<strong>et</strong>er! A la grandmesse commercialede fin d’année, le bonheur consumériste est finalementla croyance partagée par tous. Quoi qu’on endise, Noël reste donc bien une affaire de foi, <strong>et</strong> m<strong>et</strong>toujours en évidence, d’une certaine manière, notreidéal… Aussi matérialiste soitil.Toutefois, je ne veux pas croire que l’esprit de Noëlait complètement été rattrapé par la société marchande.Il faut sans doute comprendre l’évolutionque je viens de décrire comme –pour reprendre uneformule d’Ivan Illich– “une corruption du meilleurqui engendre le pire”. Je m’explique. Au départ,qu’estce que Noël? C’est avant tout c<strong>et</strong>te histoir<strong>et</strong>ouchante qui vient nous percuter comme une promesse;on y raconte que Dieu se fait homme dans laplus grande humilité. C<strong>et</strong>te incarnation n’est pas réfléchieni calculée. Elle est l’eff<strong>et</strong> d’une liberté pure <strong>et</strong>sans contrainte, un don gratuit <strong>et</strong> joyeux d’un Dieuqui vient nous rejoindre dans notre réalité. Fêter laNativité, c’est au départ fêter la joie de l’espérance;l’espérance d’une vie nouvelle construite surl’amour. Noël est donc, avant tout, un moment spirituel,la volonté de vivre concrètement c<strong>et</strong> amour gratuit,en se rassemblant joyeusement, en s’écrivant,en se réconciliant ou en se voulant solidaire. Il s’agitd’un moment privilégié pour partager des valeursqui nous rapprochent. Et je le crois, c’est ce Noël,c<strong>et</strong>te espérance du cœur, que beaucoup cherchentencore en fêtant le réveillon.S’il est heureux de se rencontrer autour d’un bon repas,s’il est agréable d’offrir <strong>et</strong> de recevoir de belleschoses, s’il est joyeux que les commerçants illuminentleurs boutiques, ce serait malheureux de fêterNoël sans espérer… Plutôt que de comptabiliser lesbénéfices des achats de fin d’année, voilà peutêtre ceà quoi les médias doivent s’intéresser: quelles sontaujourd’hui nos espérances?Noël est devenu aujourd’hui le symptôme d’une desimpasses de notre modernité: nous avons “folklorisé”nos anciennes croyances tout en perdant leurâme <strong>et</strong> leur sens profond. Nous avons ironisé sur lescoutumes des générations précédentes en oubliantl’utilité <strong>et</strong> la force de leurs gestes. Toutefois, en ba54 La Libre Belgique - <strong>vendredi</strong> <strong>24</strong>, <strong>samedi</strong> <strong>25</strong> <strong>et</strong> <strong>dimanche</strong> <strong>26</strong> décembre <strong>2010</strong>© S.A. <strong>IPM</strong> <strong>2010</strong>. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable <strong>et</strong> écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.
l Opinion NoëlQu’as-tu appris àl’école, mon enfant?ël?Dans lagrand-messecommercialede find’année, Noëlest uneaffaire defoi… en notreidéalmatérialiste.Illu Blaise DEHONlayant ces croyances, en nous désenchantant, nousavons laissé un grand vide, difficile à combler. Estced’ailleurs pour cela que nous devons tant allumer delumières, tant remplir nos sacs à Noël? Répondre àl’absence de conviction par la sensation <strong>et</strong> la consommation?Pour certains, nous voilà donc aujourd’hui un peuperdus, le cœur un peu sec ou à fleur de peau, fragilisésau milieu d’une société qui a de plus en plus dedifficultés à donner du sens, à créer du lien. Dès lorson peut s’interroger sur la manière de fêter collectivementNoël au XXI e siècle, alors que la population estplus individualiste <strong>et</strong> de moins en moins pratiquante.Qui pour transm<strong>et</strong>tre les valeurs? Qui pour donnerdes lieux de partage? Qui pour nous rassembler?Peuton laisser ce travail aux centres commerciaux?Que l’on soit croyant ou pas, la réponse à ces questionsest nécessaire. Mon avis personnel est celuid’un jeune professeur de religion, souvent interpellépar les remarques de ses élèves. Collectivement, jepense qu’on ne peut pas fêter Noël sans un encadrementdes communautés locales: écoles, quartiers,paroisses, associations… Que faisonsnous pour dynamiserses lieux de rencontre?D’autre part, individuellement, on ne peut pas vivreNoël sans un peu d’introspection : “Pour Noël,qu’estce que je fais <strong>et</strong> qu’estce que j’espère pour toi,pour moi <strong>et</strong> pour nous…”Mais entre le travail <strong>et</strong> le divertissement permanentestce que l’on se donne encore aujourd’hui le tempsnécessaire à l’engagement local <strong>et</strong> à la spiritualité?Pour ma part, mes corrections d’examens tombentassez mal, je l’avoue. Et à l’heure où je vous écris, j’yr<strong>et</strong>ourne. En vous souhaitant un joyeux Noël à tous.Il vous appartient d’en profiter pour espérer… Et ences temps incertains, nous en avons bien besoin.Père Charles DELHEZ (S.J.)JOHANNA DE TESSIÈRESResponsable de l’aumôneriedes Facultés universitairesNotre-Dame de la Paix (Namur)Rédacteur en chefdu journal “Dimanche”Uwww.<strong>dimanche</strong>.beP C’est l’histoire d’un enfantqui apprend aux hommesà aimer jusqu’au bout,sans calculer.Qu’astu appris à l’école,mon enfant ?” Unequestion si souventposée au r<strong>et</strong>our de laclasse. Ce jourlà, le20 décembre, c’étaitrelâche. Les enfants dela 5 e primaire, aidés par leur maîtresse,avaient confectionné la crèchede Noël. Les personnagesétaient placés, chacun là où il étaitattendu, <strong>et</strong> personne ne manquait àl’appel. Quand tout fut terminé, expliqueElliot à ses parents, l’institutricea demandé : “Savezvous ce queMarie a dit ce jourlà ?” Personne n’atrouvé la bonne réponse. “Je croisqu’elle s’est tue, a repris la jeunedame. Elle était trop émerveillée. Parfois,on ne trouve rien à dire tellementc’est beau.”“Et alors ?”, firent les parents d’Elliot.“Eh bien ! Nous avons fait la mêmechose, nous avons regardé la crèchesans parler.” Au bout d’un long moment,Madame nous a encore interrogés: “Et comment s’appelle c<strong>et</strong> enfant?” Bien sûr, on connaissait la réponse: “Jésus !” Mais l’institutrice asouhaité un autre nom. Le p<strong>et</strong>it Bastiena risqué : “Emmanuel ?” Toutecontente, Madame a commenté :“Oui, Emmanuel ! Dans la langue desJuifs, cela veut dire “Dieu avec nous”.Les chrétiens, qui sont toujours un peufous de Jésus, disent depuisdeux mille ans que c’est enfantlà, c’estDieu luimême qui est venu parminous.”Elliot a senti, alors, l’émotion de soninstitutrice. “Vous vous rendezcompte ? Si c’est vrai, c’est merveilleux !Dieu aime tellement les hommes qu’iln’est pas resté dans son ciel, là où oncroit qu’il habite, mais il est venu vivrenotre vie, sans avoir peur de nous. Il nes’est pas présenté avec sa cape de guerrier<strong>et</strong> son épée à la main. Il n’avait pasrevêtu ses habits de Dieu. C’est un p<strong>et</strong>itbébé, emmailloté, couché dans unemangeoire pour les animaux.” Profitantd’un instant où l’institutrice reprenaitson souffle, Emilie a apportéson commentaire : “Mais alors, il n’y apas de quoi avoir peur de Dieu, s’il estcomme un enfant. Moi, je croyais qu’ilétait tout grand <strong>et</strong> toutpuissant.”Prenant la balle au bond, l’enseignantea poursuivi sa méditation : “Ils’est fait homme de A à Z, expliquatelleà mivoix. Du ventre de sa maman,jusque dans le tombeau. Vous savez, lesenfants, c’est le même Jésus qui étaitcouché dans la mangeoire <strong>et</strong> qui seraétendu sur la croix. Il faut que Dieu nousaime très fort pour aller jusquelà. SiDieu peut vivre comme les hommes,c’est peutêtre que les hommes peuventvivre comme Dieu.”Les enfants étaient subjugués par l<strong>et</strong>émoignage de leur institutrice quilevait un coin de voile sur sa foi.L’heure étant à la confidence, la p<strong>et</strong>itePauline osa poser une question :“Mais, Madame, c’est qui, ça, Dieu ?C’est quoi, être Dieu ?” Et Madame derépondre : “Etre Dieu, c’est tout simplementse donner soimême totalement.Regardezle bien dans sa mangeoired’animaux. B<strong>et</strong>hléem, vous le savez,peutêtre, signifie “maison du pain”.Or, la veille de sa mort, Jésus a pris dupain <strong>et</strong>, en le partageant, il a dit à sesdisciples : “Prenezle, mangezle, ceci,c’est tout moimême donné pourvous.” Etre Dieu, voistu, Pauline, c’esttout simplement aimer jusqu’au bout,sans calculer.” Pauline écoutait. Toutle monde se taisait. C’est que l’institutricen’avait jamais parlé comme ça.Pauline se risqua encore : “C’est biende Dieu que tu nous parles, de celui qui atout créé, même le Big Bang ?” “Eh oui,Pauline, tout vient de l’amour, rien quede l’amour, <strong>et</strong> pour l’amour. C’est toutcela que je lis dans le grand livre deNoël.”Elliot finit ainsi le récit de sa journéeà l’école. Ses parents l’avaient écoutéavec le même silence que ses copains<strong>et</strong> copines, quelques heures plus tôt,avaient réservé à l’institutrice. Sansdoute fallaitil un cœur d’enfant pourcroire à tout cela. Mais on peut l’avoirà tout âge…<strong>vendredi</strong> <strong>24</strong>, <strong>samedi</strong> <strong>25</strong> <strong>et</strong> <strong>dimanche</strong> <strong>26</strong> décembre <strong>2010</strong> - La Libre Belgique55© S.A. <strong>IPM</strong> <strong>2010</strong>. 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