Représentation graphique de débris spatiaux de plus de 10 centimètres vus à une distance de 10 rayons terrestres La place pourrait manquer dans l’espace L’espace semble infini. Pourtant, l’astronautique produit des débris spatiaux depuis ses débuts, ce qui représente un problème croissant. Une approche plus consciente de l’espace comme «ressource» est indispensable. Prof. Thomas Schildknecht, Institut d’astronomie de l’Université de Berne, directeur de l’observatoire de Zimmerwald Photos: ESA 22 5/20 VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal
Point de mire Dans l’après-midi du 10 février 2009, à environ 800 km audessus de la Sibérie, le satellite de téléphonie en activité Iridium 33 a heurté l’ancien satellite de télécommunication Cosmos 2251. La collision s’est produite à une vitesse de 11,7 km/s et a provoqué un nuage de débris composé de plus de 2000 fragments de plus de 10 cm. En l’espace de quelques mois, ces débris se sont disséminés sur une grande région orbitale et menacent depuis lors de heurter d’autres satellites opérationnels. Cet accident a été un signal d’alarme pour tous les opérateurs de satellites, mais aussi pour les milieux politiques. La problématique de ce que l’on appelle les débris spatiaux, c’est-à-dire d’anciens objets artificiels polluant l’espace, a atteint une nouvelle dimension. Cela fait bientôt 50 ans que les experts et agences spatiales se penchent sur la question. La recherche suisse fournit des bases scientifiques et empiriques pour les modèles et mesures visant à stabiliser le nombre d’objets dans le but d’assurer une utilisation sûre et durable de l’espace à l’avenir. Principalement des déchets dans l’espace Depuis le lancement du premier satellite artificiel Spoutnik 1 le 4 <strong>octobre</strong> 1957, l’astronautique a inévitablement laissé des déchets en orbite basse. A chaque lancement, la charge utile active ne représente qu’une petite partie de la charge globale envoyée dans l’espace. Souvent, une grande partie de la masse se transforme très rapidement en débris spatial, par exemple l’étage supérieur d’un lanceur que l’on abandonne sur une orbite terrestre. A la fin de sa vie, la charge utile initiale se transformera aussi en débris spatial si elle reste en orbite. Rien d’étonnant donc que les environ 2500 satellites actifs représentent actuellement moins de 10% du nombre total d’objets artificiels de plus de 10 centimètres identifiés dans l’espace. La plupart des débris avec des diamètres de plus de quelques centimètres sont des fragments provoqués par des explosions ou collisions dans l’espace. A ce jour, plus de 300 évènements de ce type sont survenus. Parmi ceux-ci également des explosions d’étages supérieurs de lanceurs, de moteurs auxiliaires et même de satellites. Elles peuvent se produire par exemple si des résidus de carburant s’enflamment après plusieurs années ou si des batteries dans des satellites morts sont surchargées et se désintègrent. Les orbites d’environ 25 000 objets sont connues Pour mieux comprendre la population actuelle des débris spatiaux, il faut procéder à de fastidieuses observations au moyen d’installations radar et de télescopes optiques. Ces mesures permettent de suivre régulièrement les objets de grande taille et de déterminer leurs orbites. Aujourd’hui, nous connaissons les orbites d’environ 25 000 objets à des altitudes de 300 à 40 000 kilomètres. Quant aux objets de moins de 10 centimètres, on ne dispose que d’indications statistiques. Les mesures indiquent un nombre total d’environ 900 000 débris spatiaux d’une taille de 1 à 10 centimètres. Même si ces pièces sont petites, elles ne sont pas inoffensives: une collision avec une pièce de 1 centimètre de diamètre libère l’équivalent énergétique d’une grenade. Dans certaines orbites, le risque de collision atteint déjà aujourd’hui un tel niveau que les satellites actifs doivent régulièrement faire des manœuvres pour éviter les débris. L’Agence spatiale européenne (ESA) traite chaque semaine environ deux alertes anticollision pour chaque satellite de sa flotte. Elle réalise donc des dizaines de manœuvres d’évitement par année. Cela permet certes d’éviter les collisions avec des objets dépassant la taille d’environ 10 centimètres susceptibles de détruire en- tièrement les satellites et provoquer d’innombrables fragments, mais pas les impacts «mortels» de plus petits objets dont nous ne connaissons pas l’orbite. Pour les exploitants de satellites, le risque pour la mission n’est que marginalement réduit, mais – et c’est décisif – on évite l’apparition d’autres débris qui pourraient entrer en collision avec d’autres objets et ainsi provoquer une réaction en chaîne dévastatrice. Ce phénomène appelé «syndrome de Kessler», du nom de Donald Kessler qui a été le premier à le décrire en 1978, reste une réalité, étant donné que nous ne pouvons actuellement pas éviter les collisions entre de plus gros débris. Aujourd’hui, la situation est aggravée par la forte augmentation des petits satellites. Ainsi, l’entreprise SpaceX lance actuellement plus de 60 satellites par mois. L’objectif est d’établir une constellation de plus de 1500 satellites pour proposer un internet rapide dans le monde entier. D’autres constellations avec plusieurs dizaines de milliers de satellites sont en préparation. La miniaturisation et les économies ainsi réalisées pour les frais de lancement ont d’ailleurs aussi permis à des entreprises et universités suisses de lancer leurs propres petits satellites dans l’espace. A la recherche de débris A l’Institut d’astronomie de l’Université de Berne, nous cherchons des débris spatiaux au moyen de télescopes situés au Swiss Optical Ground Station and Geodynamics Observatory à Zimmerwald près de Berne et d’un télescope de l’ESA installé à Ténériffe en Espagne pour mieux comprendre la population actuelle (nombre, taille, types d’objets, orbites, etc.). <strong>No</strong>us nous concentrons sur les débris spatiaux de petite taille sur des orbites terrestres hautes. Outre les orbites des satellites de navigation (à une altitude d’environ 20 000 km), la région de l’anneau géostationnaire à 36 000 kilomètres d’altitude est examinée en détail. Les satellites s’y trouvent sur un point fixe au-dessus de l’équateur et observent constamment la même partie de la surface terrestre (satellites météorologiques) ou envoient en permanence des signaux sur la même région (satellites de communication). L’orbite géostationnaire est fortement sollicitée, mais l’espace disponible est limité, ce qui peut provoquer des tensions entre les exploitants de satellites voire même entre les Etats. Au cours des 20 dernières années, nous avons découvert d’innombrables débris à l’aide de ces mesures, dont une nou- VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal 5/20 23