Point de mire Le regard d’un blogueur sur le monde Il suffit d’un clic pour qu’une photo fasse le tour du monde. Grâce aux réseaux sociaux, les frontières entre vie publique et vie privée s’effacent. Mais comment faut-il utiliser l’espace numérique? Comment gérer ce large public? Michael Schneider est un blogueur amateur qui tient le blog de photos et de textes Michael’s Beers & Beans. Cette photo a circulé dans l’espace numérique mondial pour finir par atterrir dans les médias classiques. Photo: màd 26 5/20 VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal
Point de mire Le brouillard glacé était en train de se dissiper sur le Hörnligrat, au-dessus d’Arosa. Le soleil matinal hivernal était à l’horizontale et ses rayons traversaient les restes du brouillard glacé. D’instinct, j’ai allumé mon smartphone car, à ce moment-là, un halo incroyablement beau s’est formé. En un éclair, j’ai pris des photos avec mon smartphone et, à ma grande surprise, capté la totalité de cet effet lumineux sur la puce. En quelques minutes seulement, l’une des photos de ce halo s’est retrouvée dans l’espace numérique sur WhatsApp et Twitter. Je n’aurais jamais imaginé que ce tweet-là, qui a été liké et retweeté des milliers de fois, allait finalement atteindre de manière virale des millions de lecteurs via des blogs, des portails d’actualité et des quotidiens. «Un photographe dans les Alpes suisses a saisi l’image remarquable d’un ‹halo de glace› à l’instant où les cristaux de glace gèlent dans l’air, ce qui crée un effet de halo autour du soleil», a rapporté notamment la chaîne d’informations américaine Fox News. En quelques heures, le petit univers de mes réseaux sociaux est devenu gigantesque! Tout n’est que narcissisme? Et maintenant? J’ai eu trois minutes de gloire! Et aussi beaucoup de travail non rémunéré pour traiter toutes les demandes des services photo. Pourquoi ai-je posté cette photo, pourquoi les gens comme moi partagent-ils des photos et des pensées sur le Net et pourquoi aimons-nous voir ou lire des choses venant d’autres personnes? Bien entendu, on peut se demander si les personnes qui postent des photos et des pensées dans l’espace numérique ont toutes des dispositions narcissiques. Les réseaux sociaux ne sont-ils pas même éventuellement des incubateurs de narcissiques? Ou bien Instagram & co. ne représentent-ils pas simplement la scène nécessaire à tous ceux qui se donnent en spectacle? Pour moi, cette vision est trop simpliste. Le seul fait que j’aime photographier et diffuser mes œuvres avec de petites histoires sur mon blog et ainsi sur Twitter, Instagram & co. ne fait pas de moi quelqu’un d’imbu de lui-même. Ou même de narcissique! Est-ce que ce n’est pas plutôt parce que nous vivons aujourd’hui à une époque où la société attend que nous commercialisions notre propre personne et nos propres actions? Et ce, aussi bien en face à face que sur le Net. Le tweet du halo met nettement en évidence la manière dont je peux atteindre différents utilisateurs dans l’espace numérique et dont je peux échanger avec eux. Je peux me déplacer dans de propres espaces définis. J’y utilise la communication et la mise en réseau d’une part afin d’échanger des connaissances, des opinions et d’autres informations, d’autre part pour avoir des avis sur mes photographies. Bien entendu, il y a des groupes de personnes qui se déplacent dans leurs propres espaces numériques, qui s’entraînent mutuellement à l’autoprésentation et s’occupent principalement de choses matérielles – comme dans la vie réelle. «Vraiment, toutes les photographies sont des autoportraits.» Elizabeth Opalenik, artiste photographe Apprendre à naviguer dans l’espace numérique Il y a quelques années, il m’a fallu néanmoins d’abord apprendre à bien utiliser les réseaux sociaux car au début, Twitter et Instagram m’ont attiré de manière subtile et toujours plus profondément dans leur monde, notamment parce qu’ils profitaient d’une de mes faiblesses: avec ma manière d’être toujours actif et productif, ils touchaient une corde sensible. Au final, je suis effectivement tombé dans le panneau de la reconnaissance. Un beau divertissement est devenu une perte de temps! J’ai ainsi appris à connaître la face sombre des réseaux sociaux et je suis simplement parti, j’ai quitté ce monde numérique, j’ai coupé les accès et j’ai simplement laissé les canaux continuer à bruisser sans moi. J’ai ainsi gagné du temps. Pour réfléchir. Pour lire. Ou simplement pour ne rien faire. J’ai mieux dormi, au bout de quelques jours, je me suis senti plus calme et plus concentré. Mon intellect s’est ralenti et j’étais davantage présent à ce que je faisais. Mes espaces ne se limitaient plus qu’au monde réel. Je me suis alors rendu compte, au bout de quelques semaines, que je ne pouvais me passer entièrement de vie numérique. L’abstinence totale n’est pas la bonne démarche pour moi. WhatsApp fait partie de ma communication personnelle, et en tant que blogueur amateur, je suis de toute façon présent dans l’espace numérique. Un blog sans les canaux des réseaux sociaux n’a actuellement que peu de sens. Je ne voulais pas revenir à mon ancien schéma, plusieurs choses s’étant mal déroulées. Et je voulais conserver ce temps chèrement gagné. Le point positif était que j’avais reçu des suggestions de la part de nombreux lecteurs et lectrices de mon blog sur la manière «saine» d’utiliser les réseaux sociaux. A partir de cela, j’ai bricolé mon propre code de conduite numérique et aujourd’hui j’aime toujours me servir des réseaux sociaux. Mon tweet sur le halo d’Arosa m’a montré les possibilités et les surprises qu’offrent les réseaux sociaux, de manière saisissante. Et pendant la pandémie de coronavirus, j’ai commencé à apprécier tout cela encore plus. Certes, les médias classiques, comme la presse quotidienne, étaient mes sources d’information. Mais les réseaux sociaux m’ont permis de maintenir mes contacts personnels. A côté de mon activité professionnelle quotidienne, il y avait un espace parallèle dans lequel je puisais de la distraction, de l’espoir et de l’inspiration. Et pendant ce temps, je pouvais voir le monde avec un autre regard. VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal 5/20 27