JOURNAL ASMAC No 5 - octobre 2020
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Point de mire<br />
Créer la nature<br />
Dans le conflit hiérarchique éternel entre<br />
peinture et sculpture, la peinture a toujours<br />
été perdante. On peut peindre une<br />
statue pour qu’elle ait l’air plus fidèle à<br />
la nature, mais une peinture ne peut<br />
s’étendre dans l’espace tridimensionnel.<br />
Dorénavant, l’invention de la perspective<br />
centrale allait enfin permettre de créer artificiellement<br />
l’espace: de le concevoir à<br />
plat, sur le tableau et enfin, de le peindre<br />
de manière étonnamment réaliste.<br />
La fascination que les peintres italiens<br />
nourrissaient pour la géométrie exacte<br />
peut aujourd’hui paraître absurde, mais<br />
elle cachait l’idée que ces nouvelles<br />
connaissances acquises permettraient de<br />
calculer encore plus précisément la nature<br />
et ainsi de la représenter de manière encore<br />
plus réaliste. Les peintres de l’antiquité<br />
grecque étaient considérés comme<br />
l’idéal: Zeuxis qui pouvait peindre une<br />
grappe de raisin de manière si authentique<br />
que les oiseaux la picoraient, ou Parrhasios<br />
qui peignit un voile fin sur son tableau<br />
si bien qu’un spectateur lui demanda de<br />
bien vouloir enfin enlever le rideau devant<br />
celui-ci. Ce talent que l’on connaissait seulement<br />
par la tradition, on espérait le réacquérir<br />
à la Renaissance avec la perspective<br />
centrale.<br />
Parfois, la tendance à la perspective<br />
mathématiquement juste pouvait également<br />
conduire à des excès comme par<br />
exemple chez le talentueux peintre Paolo<br />
Uccello, qui s’efforçait principalement de<br />
créer des modèles de perspective nouveaux<br />
à tel point que même les théoriciens<br />
de l’art endurcis trouvèrent qu’il «violait la<br />
nature avec ses études terriblement exagérées».<br />
Art et géométrie<br />
La perspective centrale a longtemps été<br />
raillée en dehors de Florence. Beaucoup de<br />
peintres d’Amsterdam à Istanbul en passant<br />
par Paris et Venise avaient déjà leurs<br />
méthodes pour représenter la profondeur<br />
spatiale sans se perdre dans des calculs<br />
mathématiques chronophages. Ils créaient<br />
la perspective uniquement par la couleur<br />
en peignant par exemple les objets plus<br />
éloignés plus sombres ou en étirant des<br />
ombres croissantes ou en imitant parfaitement<br />
les reflets de lumière sur les surfaces.<br />
Pourquoi devrait-on passer des heures à<br />
calculer laborieusement les lignes de fuite<br />
alors que l’on pouvait également résoudre<br />
le problème avec des moyens que la peinture<br />
offrait de toute façon? Bien entendu,<br />
la perspective n’était pas correcte du point<br />
Grâce à la perspective centrale, non seulement les espaces semblent réels mais de nouveaux angles<br />
de vue deviennent possibles, comme dans la représentation de la dépouille du Christ.<br />
de vue mathématique, mais l’effet spatial<br />
était malgré cela présent.<br />
Pourtant, la perspective centrale a pu<br />
s’imposer malgré toutes les critiques.<br />
Dans toute l’Europe, on commença à<br />
étudier les théories d’Alberti et de Brunelleschi,<br />
à les expérimenter et à les dé -<br />
velopper. Andrea Mantegna peignit la<br />
dépouille du Christ en contre-plongée<br />
comme si l’on était soi-même agenouillé et<br />
que l’on pleurait devant sa civière. Albrecht<br />
Dürer se servit de fils et de cordons<br />
pour construire une camera obscura qui<br />
devait l’aider à représenter la perspective<br />
avec une précision extrême. Le premier<br />
manuel de géométrie en langue allemande<br />
découla également de ses calculs.<br />
Cependant même les artistes très forts<br />
en mathématiques comme Léonard de<br />
Vinci ne se fiaient pas exclusivement à la<br />
perspective centrale pour créer un espace.<br />
Léonard a pendant des années étudié l’effet<br />
tridimensionnel de l’ombre et de la lumière.<br />
Il peignit les fonds d’autant plus<br />
clairs et bleuâtres qu’ils étaient éloignés et<br />
enfin, il inventa également la technique<br />
du sfumato avec laquelle il estompait les<br />
lignes de contour du fond pour que le lointain<br />
semble lentement disparaître dans le<br />
brouillard. Les trois méthodes sont totalement<br />
indépendantes de la perspective<br />
centrale mais produisent également une<br />
impression de spatialité.<br />
Au cours des siècles suivants, l’enseignement<br />
de la perspective et d’autres méthodes<br />
d’illusion spatiale ont été intégrés<br />
dans le socle de formation des artistes. La<br />
perspective centrale n’est pas tombée dans<br />
l’oubli, contrairement à La Trinité de Masaccio.<br />
Le tableau a été recouvert d’une<br />
autre peinture dès les années 1570. L’artiste<br />
en charge de la commande reconnut<br />
cependant l’importance historique de<br />
l’œuvre de Masaccio et fit tendre une nouvelle<br />
toile en conservant un espacement<br />
pour que La Trinité parvienne à la postérité.<br />
Elle ne fut redécouverte par hasard<br />
qu’en 1860, seulement quelques années<br />
avant la prochaine grande invention en<br />
peinture: l’abstraction de l’art moderne.<br />
VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal 5/20 29